La science a-t-elle découvert le secret du cancer ?

par Bernard Dugué
mardi 17 septembre 2019

 

 Malgré de notables avancées sur le cancer depuis plus d’un siècle, la recherche médicale bute sur des obstacles, à la fois thérapeutiques et scientifiques. Près d’un cancer sur deux s’avère fatal au bout d’un à cinq ans. Et la compréhension profonde de la cancérogenèse reste inachevée pour ne pas dire incomplète. La recherche de nouvelles thérapies occupe des milliers de chercheurs et s’effectue dans les laboratoires. En revanche, si la quête d’une explication des mécanismes tumoraux nécessite des expériences en laboratoire, elle se dessine également dans le cerveau de savants capables de tracer des idées, notions, pistes, théories inédites. Frédéric Thomas appartient au cercle des scientifiques passionnés autant par les éprouvettes que par les idées. Il vient de publier un livre présentant L’abominable secret du cancer (HumenSciences, 2019) tel qu’il se dévoile en interprétant les connaissances actuelles en cancérologie sous le miroir de l’évolutionnisme darwinien. La méthode employée est classique, il suffit de changer de regard, d’angle de vue, d’éclairage. C’est en faisant le tour d’une situation complexe que l’on finit par voir ce qui avait échappé en attaquant frontalement le problème.

 

 Le fil directeur des thèses présentées par Thomas se situe à l’interface de deux disciplines, la biologie cellulaire du cancer et l’évolutionnisme. Le point de départ est clair. Au lieu de concevoir la tumeur comme étant causée par des cellules déréglées, il faut prendre le cancer sous un angle évolutionniste, comme une sorte d’organisme devenant indépendant et amené à évoluer dans les tissus humains ; à l’instar d’une espèce se reproduisant, vivant dans un milieu, déployant des actions pour survivre résumées en deux volets, trouver la nourriture et échapper aux prédateurs. Ce point de vue signifie alors que le cancer suit des principes et stratégies comparables à ceux empruntés par les espèces dans leur environnement. Ce chemin de pensée s’avère prometteur si l’on admet que la vie puisse être expliquée par l’évolution. C’est un pari du même genre qu’a relevé Jean-Jacques Kupiec dans ses recherches ontophylogénétiques. L’organisme se développerait alors à la faveur d’un processus d’expression génétique plus ou moins aléatoire et une sélection finale des cellules triées pour fonctionner dans l’organisme. Les cellules sont gouvernées par un darwinisme cellulaire. Et selon Thomas, le cancer obéirait lui aussi au darwinisme cellulaire. Avec une différence de taille. Le cancer ne cherche pas à fonctionner de concert avec les autres tissus mais à se développer en parasite. Et si c’est le cas, il faut prendre le cancer sous l’angle de la biologie évolutive. Des avancées importantes furent réalisées et publiées dans les années 1970, mais sont passée inaperçues. Elles reviennent d’actualité depuis une bonne décennie, ce qui fait l’intérêt du livre de Thomas qui nous livre une somme de détails racontant les tactiques suivies par les cellules pour s’organiser en parasites, et coloniser pour ainsi dire nos tissus. Il faut savoir que les tissus sont différents et que selon leur fonction, ils nécessitent un renouvellement des cellules. Ce qui est réalisé à partir d’un stock de cellules souches capables de se diviser. Mais lorsque ces cellules ne suivent pas les instructions pour participer à la fonction organique qui leur est impartie, elles se développement indépendamment, puis intempestivement et passé un certain seuil évalué au millier, le parasite devient robuste et forme une micro-tumeur dont le développement peut être considérable. Sans oublier les cellules migrantes amenées à produire des métastases.

 

 Le secret du cancer serait accessible en considérant les cellules tumorales comme une sorte de corps d’armée cherchant à conquérir un territoire dans l’organisme et y demeurer tout en accroissant la population de cette armée parasitaire. Le développement « normal » des cellules utilise un frein mais dans le cancer, tout se passe comme si les freins régulateur avaient lâché. A l’instar des plantes poussant près des cours d’eau dans le désert, le cancer doit se placer aux bons endroits pour détourner les flux sanguins à son profit. Il doit aussi ruser et se masquer pour éviter la surveillance du système immunitaire. Autrement dit, le cancer tend à tricher à l’image d’un pêcheur utilisant un filet aux mailles non réglementaires. Il y aurait même des éléments génétiques présentant un comportement égoïste pouvant alors détourner le cours normal des cellules en sautant d’un génome à un autre selon leur « bon plaisir » et peut-être, détourner les cellules du « droit chemin ». Dans ce livre, nombre d’allégories et de métaphores confèrent un sens au récit de la tumeur mais elles ont une limite épistémologique. Elles laissent penser que les cellules auraient une stratégie sociale comme nous, humains, en disposons pour organiser la cité. Même si les métaphores ne permettent pas d’obtenir une explication à l’énigme, elles ont au moins un intérêt heuristique, présent dans cet ouvrage en maintes occasions.

 

 Les aspects plus scientifiques sont explicités. Le cancer utilise les informations génétiques. Il n’a pas besoin d’invoquer des mutations génétiques car les régulations épigénétiques, liées à l’environnement cellulaire, sont suffisantes pour expliquer comment le développement tumoral est possible avec un génome intact. Des signaux épigénétiques interviennent et servent à interpréter la lecture du génome. Par la suite, des désordres génétiques sont parfois observés mais ils sont le résultat et non la cause du cancer (propos tenus par Henry Heng). L’apparition du cancer repose ainsi sur un déséquilibre explicité comme une altération dans les relations cellulaires. Selon le lieu où elle se développe, la tumeur prend une forme spécifique parmi plus d’une dizaine de types répertoriés, chaque situation étant affectée d’une histoire dont l’issue définit un pronostic. N’oublions pas que si le cancer se raconte, l’objectif premier est de trouver les voies de guérison ou à défaut, de rémission.

 

 En 1971, le président Nixon déclara « la guerre au cancer », allouant à la recherche des fonds sans précédents, pensant en finir avec le crabe en une décennie. Si le cancer n’a pas été vaincu, la métaphore reste d’actualité. Les thérapies anticancéreuses sont calquées sur le principe de la guerre. Opération chirurgicale pour enlever la tumeur, attaques des cellules avec des rayonnements ou alors avec des armes chimiques ciblant les cellules cancéreuses en épargnant les cellules saines. La métaphore fonctionne si bien que si une guerre engendre des effets collatéraux sur les villes bombardées, les armes chimiques tuent les cellules cancéreuses en générant des effets secondaires. Pourtant, le cancer ne peut pas être considéré comme un ennemi nous dit Thomas, soulignant que les cellules tumorales ne sont pas un envahisseur externe mais une production issue de l’organisme. Néanmoins, sous d’autres angles, il est considéré comme un ennemi à abattre, ou à combattre. Quelques pistes sont envisagées. Une tendance forte consiste à apprendre aux cellules saines à affronter l’ennemi intérieur, à activer des systèmes naturels de défense, à ruser avec les cellules en jouant sur les gènes. L’immunothérapie entre dans ce cadre ; son principe est de détourner les défenses naturelles en leur apprenant à attaquer une cible et pour ce faire, il faut user de stratagèmes pour faire « voir » la cible, la désigner, à l’image d’un bunker repéré par l’aviation et prêt à recevoir un missile guidé par laser. Pourquoi pas une ruse de guerre face à un ennemi capable de saboter le fonctionnement gène T53 assurant la veille anticancéreuse, une ruse consistant à mettre en état de marche les freins naturels sabotés par le cancer.

 

 Thomas conclut son livre sur une note d’espoir. Il a raison de parier sur la transdisciplinarité, les angles de vue transversaux, les chemins de transverse et les idées nouvelles, y compris lorsqu’elles semblent saugrenues. En revanche, il n’est pas certain que les analogies guerrières ou sociétales expliquent le cancer. La science moderne doit apprendre à se défaire de l’anthropocentrisme et de croire que l’homme est la mesure des choses. Enfin, il n’est pas certain que l’évolution serve de principe universel. C’est certainement l’inverse qu’il faut suivre, la vie qui explique l’évolution. Pour le reste, saluons ce livre et enrichissons-nous des pistes et des chemins de pensée sans lesquels la science n’avance pas. Ouvrir les chemins, les pratiquer et s’il y a lieu les suivre ou rebrousser chemin, telle est la Voie !

 

 Pour conclure, on rappelle les deux réserves sur le fond. Un anthropocentrisme implicite est présent à travers les nombreuses métaphores sur les « tactiques » du cancer. L’évolutionnisme comme référentiel épistémologique ne conduit pas vers les causes profondes mais a le mérite de l’intérêt heuristique. Malgré ces deux réserves, l’ouvrage a le mérite de changer notre regard philosophique et scientifique en mettant en évidence la trace d’une stratégie cellulaire permettant aux cellules cancéreuses de se développer. Cette stratégie joue sur les communications intercellulaires. La tumeur est un organisme possédant une intention et disposant d’un système cognitif lui permettant d’arriver à ses fins. Peut-être que cet abominable secret du cancer nous amène à changer de stratégie en prenant à rebours l’auteur et en suggérant que la méthode offensive, qu’elle soit exogène ou endogène, risque d’échouer car les tumeurs, du moins solides, disposent d’un arsenal moléculaire conséquent, celui des possibilités du génome. Si bien que la loi stochastique de l’expression des gènes s’appliquerait à la tumeur qui tenterait alors toutes les possibilités que recèle le génome, en triturant le texte génétique pour trouver les moyens d’affronter le milieu des cellules saines et sélectionner les cellules les plus combatives. Si l’évolution s’applique, en ce cas ce n’est pas la logique de la spéciation mais celle de l’adaptation. Le désordre génétique est bien la réponse de la stratégie cancéreuse et non l’inverse (C’est comme si une armée mal formée puisait aléatoirement dans tous les stocks d’armes, pour tenter de les utiliser et de gagner un guerre improbable).

 

 Merci à Frédéric Thomas de nous avoir livré ses points de vue utilisables comme autant de prises pour gravir l’Everest menant vers la compréhension et qui sait, la solution pour le cancer. Une solution qui pourrait passer par l’étude du magnétisme car n’oublions pas que mécanique quantique et magnétisme sont à la base du réglage des communications matérielles et moléculaires. Au lieu d’attaquer l’ennemi, l’endormir !

 


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