La science dans 30 ans. Visions quantiques, cosmologiques et biologiques

par Bernard Dugué
vendredi 13 septembre 2013

Il paraît maintenant fort peu probable que la science contemporaine reste en l’état. Beaucoup de choses vont changer mais le dispositif techno-scientifique persistera avec des progrès sans doute étonnants mais certainement inutiles pour rendre l’homme heureux. Prenez cette voiture qui se gare automatiquement. Je ne vois pas l’intérêt, sauf pour les énervés qui pètent un câble lorsque le créneau doit être recommencé. On peut être certain que d’ici 30 ans, des tas d’objets technologiques seront disponibles pour servir de diversion, de jeu, de prothèses, dans un monde dont l’issue politique est incertaine tant les penchants autoritaristes se précisent. Mais ne prophétisons pas sur l’Histoire. Souvent, elle surprend, pour le meilleur et parfois le pire. Ce qui pourrait changer, c’est la science et la connaissance qu’elle produit. Je ne parle pas du savoir-faire mais d’une compréhension du monde et même de la place de la science dans certains processus d’acquisition des connaissances.

A mon avis, deux grands enjeux se présentent aux savants de notre époque. Premièrement, la compréhension de l’univers physique avec la mécanique quantique, la cosmologie et une nouvelle science de l’entropie information. Deuxièmement, le vivant, son origine et son évolution. Je crois que si la question du vivant est élucidée, celle de la conscience humaine le sera en même temps. Les deux champs sont indissociables du point de vue ontologique.

Commençons par la cosmologie qui semble achevée avec les équations d’Einstein, les spéculations sur les trous noirs quantiques, les impasses de la théorie des cordes pour unifier gravitation et physique quantique. L’état actuel des sciences physiques en ce début de 21ème siècle n’est pas sans rappeler le stade achevé de la scolastique médiévale avec ses impasses dont la science moderne a pu sortir. C’est maintenant la science moderne qui est dans une impasse dont on sortira sans doute mais avec quelques surprises. La piste la plus prometteuse est la conception entropique du phénomène de gravitation, non pas décrit comme une force mais comme le résultat d’un processus entropique de déformation d’un champ fondamental où les singularités matérielles et l’espace-temps prennent forme en jouant sur le principe universel de la l’énergie libre. Lequel principe est aussi impliqué dans les processus perceptifs cérébraux (Friston). Alors, peut-être un pont entre la cosmologie et les sciences cognitives ?

La conception entropique du cosmos pourrait avoir d’autres conséquences importantes si l’on suppose que les lois d’Einstein ne sont pas si universelles mais valides à l’échelle locale de notre système solaire ou de notre galaxie. Auquel cas, les spéculations sur l’univers entiers, sa fin et son origine, pourraient devenir invalides. Le big bang apparaissant alors comme un mythe rationnel daté du 20ème siècle, autrement dit une théorie aussi incertaine que l’a été celle de Ptolémée avec ses épicycles. Je vous parle évidemment de la physique dans 30 ans. Rien ne vous empêche de croire au big bang actuellement.

La théorie quantique réservera quelques surprises aussi. Non pas qu’elle soit invalidée mais plutôt interprétée car pour l’instant, depuis la sentence facétieuse de Feynman il y a plus de 50 ans, personne n’a encore compris ce que représente le formalisme quantique. Quelques pistes intéressantes sont à suivre. La décohérence, les états intriqués, les états superposés. Une lecture inédite du réel en résultera. Rendez-vous dans 30 ans. La connaissance en sera toute retournée (à prendre dans les deux sens, retourner le réel, retourner vers les pensées métaphysiques d’il y a deux millénaires). Juste un indice en guise de scoop. La théorie de l’entropie-information sera aussi pertinente dans le champ théorique quantique, avec les trois « entropies ».

Trois entropies ? Mon Dieu, quelle audace ! Pourtant c’est ce qu’il faut, et encore, pour comprendre le fonctionnement des systèmes vivants (Auletta). La vie, substance technique et cognitive (Dugué). Et l’origine de la vie, algorithmique (Davies). L’évolution et l’énigme de la spéciation. La biologie du 20ème siècle est au stade de la cosmologie de Ptolémée. Mais d’ici 30 ans, les théories alternatives vont se dessiner et livrer une nouvelle vision du vivant. Et à la clé, une nouvelle alliance de l’homme avec la nature. Le cancer sera-t-il vaincu ? Ce n’est pas sûr car il se peut bien que cette pathologie apparaisse comme définitivement incurable. Tout dépendra des options thérapeutiques rendues possibles par la compréhension nouvelle du fonctionnement des composants cellulaires et physiologiques. Peut-être que les multiples codes moléculaires seront déchiffrés. Permettant de trouver la sémantique moléculaire en œuvre dans les multiples dispositifs épigénétiques et protéiques, avec les ARN non codants, petits et grands, les ribonucléoprotéines et j’en passe.

La nouvelle science nous apprendra aussi sur l’homme et le mal dont il a hérité non pas de facéties divines mais d’un processus évolutif où, devenant l’espèce dominante il en est venu à dominer ses congénères mais ce constat n’économise par les investigations ontologiques permettant d’asseoir une théorie universelle de la puissance et de l’harmonie. J’en ai assez dit pour exciter la curiosité mais pas assez pour répondre aux interrogations. Les nouvelles connaissances vont arriver progressivement. Je ne dispose pas des moyens et de la position pour contribuer à cette grande aventure. Cela ne changera rien à l’issue des sciences, sauf s’il s’avérait que je suis au cœur du basculement des connaissances avec la géniale envergure d’un Newton ou d’un Darwin. J’avoue que je tiens cette hypothèse pour plausible mais tout aussi plausible est l’hypothèse d’un rendez-vous raté d’un génie dans un monde tout aussi raté. Alors dans 30 ans, la question de la science n’aura pas d’intérêt car l’humanité se sera détruite.


Lire l'article complet, et les commentaires