Le 21ème siècle sera-t-il épigénétique, voire méta-génétique ?

par Bernard Dugué
jeudi 11 décembre 2008

Le 21ème siècle ressemble à un mythe. Rien de neuf ne s’est affirmé mais cela n’interdit pas de réfléchir à quelques contextes nouveaux, comme ici en biologie. Dans un précédent billet j’avais évoqué les impasses de la génétique. Ici seront exposées quelques tendances nouvelles concernant le dispositif des « informations géniques ». L’épigénétique livre quelque compréhensions et questions nouvelles. De quoi justifier une modeste réflexion pour ceux qui s’intéressent aux évolutions de la biologie.

Un 21ème siècle épigénétique ? Cette question facétieuse renvoyant au livre de Fox Keller sur le siècle du gène. En guise de clin d’œil à l’étude de Pichot, nous pourrions également envisager une étude épistémologique portant sur l’histoire de l’épigénétique et de ses conceptions successives, au moins deux. Car comme le montre Michel Morange (Médecine sciences, 21, 367, 2005) l’épigénétique est loin d’une position figée mais a évolué. Ce qui se comprend ne serait-ce que par le parti pris choisi par Morange pour lequel l’épigénétique sert à combler les insuffisances de la génétique : « La distinction entre génétique et épigénétique trouve aussi son sens par rapport à l’objectif de tout être vivant, qui est de se reproduire : à la génétique, la reproduction de la structure primaire des composants macromoléculaires, à l’épigénétique, « le reste » ». Ainsi, l’épigénétique se serait constituée en complémentarité mais aussi en opposition avec la génétique. Elle étudierait ce que la génétique ignore. Et comme la génétique progresse, à la fois dans ses connaissances et ses questions irrésolues, alors l’épigénétique ne peut qu’avancer au même rythme.

Mais au final, la question de qui commande, qui maîtrise la production d’une cellule fonctionnelle et la régule, persiste. Est-ce un logiciel composite, associant lignes de codage génique et épigénique, l’ensemble formant un entrelacs ? Doit-on associer également du non génique, autrement dit une maîtrise initiée par une sorte de « gouvernement des protéines » ? Ou alors un autre entrelacs, avec trois « gouvernements », complexes protéiques, réseaux géniques et réseaux épigéniques ? Une cellule se construit avec les composants qu’elle produits mais elle se positionne aussi dans un ordre différencié comme un élément dans un tissu spécifique à un organe. Cela suppose tout un arsenal cognitif. Car la vie est à la fois substance technique et cognitive. Sans traitement de l’information, il n’est pas de construction du vivant, ni de fonctionnement de la vie dans un milieu. Un être vivant dispose d’un traitement de l’information lui permettant d’avoir une représentation ajustée à son intention active, technique. Une cellule aussi, dispose d’une représentation en quelque sorte de sa situation dans l’organisme. Et on peut penser que le système génique et épigénique participe à cette sorte de cognition interne.

Dans ce contexte, l’évocation du code histone traduit cette évolution de la compréhension des dispositifs de gestion informationnelle au sein du noyau. Avec l’ADN dont la lecture dépend largement de la configuration des protéines structurelles formant avec les acides nucléiques la chromatine. Des zones accessibles à la transcription et des zones cachées. Bref, on retrouve une fois de plus cette idée du livre dont seulement, quelques pages sont utilisées pour un fonctionnement régulier de la transcription génique. Deux généticiens ont même forgé l’idée d’un code histone. L’information contenue dans l’ADN devait-elle être décodée ? Voilà une définition invitant aux métaphores avec le modèle des technologies de l’information. Et la confirmation que la vie repose sur un dispositif technique très sophistiqué intervenant dans les processus de cognition génétiques. Mais aussi dans les échafaudages macromoléculaires. En effet, l’une des principales découvertes récentes portent sur les protéines baptisées scaffold, en français, protéine d’échafaudages. Dont le rôle est double, car s’il est question de construction moléculaire intracellulaire, ces édifices semblent aussi fonctionner comme des transmetteurs d’information. Si bien que la protéine scaffold semble jouer le même rôle qu’un connecteur dans un central téléphonique, capable de mettre en liaison un certain nombre d’opérateurs et utilisateurs.

Les métaphores cognitives ont indéniablement une valeur heuristique, guidant le cheminement de la pensée, permettant d’avoir une vue d’ensemble sur un fonctionnement pour l’instant bien peu élucidé, hormis les mécanismes basiques impliquant les « morceaux » d’information génétique, gène, l’ADN, les différents ARN. En l’état actuel des choses théoriques, la position la plus sage est de reconnaître que nous ne savons pas comment décrire et interpréter le fonctionnement d’ensemble des « donnée géniques » dans la cellule des organismes complexes. Le code histone laisse penser que l’ADN est un livre partiellement ouvert, qui peut être lu et sans doute, réécrit. Certaines pages subissent des modifications. Longtemps, les généticiens ont évoqué des mutations aléatoires, pour faire coller la génétique à la théorie de l’évolution. Or, certains mécanismes épigénétiques laisseraient penser que l’information génétique pourrait être réécrite partiellement avec la méthylation des cytosines. Ce processus interfère avec la liaison des protéines régulatrices de la transcription mais ne pourrait-on imaginer que cette méthylation puisse interférer avec la réplication de l’ADN, introduisant de ce fait une modification. Qui pourrait alors se transmettre aux descendants dans le cas où le spermatozoïde du mâle se recombine efficacement avec celui de la femelle lors de la méiose ? Ou alors, si ce n’est pas le cas, pourrait-on supposer une mutagenèse dirigée, intentionnelle, effectuée non pas aléatoirement mais en quelque sorte, comme une modification de certaines « lignes de programmes » par le système cognitif épigénétique ou plutôt, méta-génétique ? Etant entendu que le méta-génétique renvoie à une entité supposée exercer une maîtrise sur le génétique et l’épigénétique. Pour l’instant, nous savons que les rétrovirus permettent d’inverser un sens de transmission que la science croyait intangible. L’ARN peut se copier sur l’ADN. Alors, tout est envisageable dans le contexte de modifications génétiques altérant les cellules sexuelles du géniteur.

L’épigénétique est tout aussi importante à la « vie de la cellule » que le génétique. Les techniques d’analyse ont montré notamment des différences notables en cartographiant la méthylation des résidus CpG. Les résultats concernant le chromosome 22 sont surprenants. Chaque type de cellule, hépatique, musculaire, sanguine, placentaire, épidermique, cardiaque, possède une signature spécifique avec des zones faiblement ou fortement méthylées. Ce qui ne surprend guère car pour qu’une cellule devienne fonctionnelle et différenciée, il faut bien que l’information génétique, voire épigénétique, soit exécutée et interprétée de manière spécifique.

Examinons maintenant le cas du cancer. La découverte des oncogènes a permis d’identifier d’éventuelles anomalies génétiques à l’origine de certains types de cancer. Et comme une mutation est susceptible d’introduire ce type d’anomalie, toute une littérature en a découlé, dans le domaine de la santé publique, conduisant les autorités à réglementer l’usage des substances décelées comme mutagènes. Dans le même temps, les biologistes ont découvert des implications possibles de modifications épigénétiques dans la genèse de diverses maladies et notamment le cancer. Ainsi, l’hyperméthylation des motifs CpG a été corrélée à certains cas de cancer. Alors que dans d’autres cas, c’est une hypométhylation qui intervient en tant que modification épigénétique liée à des désordres pathologiques. Les histones altérées ont également été mises en cause dans la genèse des cancers ; des histones dont les modifications ont rendu inopérant l’état transcriptionnel de la cellule ; la chromatine étant alors déstructurée. Ainsi, le cancer pourrait reposer sur des anomalies dans le système cognitif des cellules qui alors, se développement intempestivement comme si leur code métagénétique était altéré, avec une mauvaise interprétation et l’exécution de lignes de programme inadaptées.

L’épigénétique s’est également révélée essentielle pour cet étrange règne qu’est celui du végétal. On observe chez les plantes une incroyable diversité phénotypique contrastant avec un mode de développement ontogénétique somme toute assez rudimentaire. Deux groupes de cellules souches conduisant aux trois éléments fonctionnels du végétal, les racines, les tiges et les feuilles. Le végétal, contrairement à l’animal, n’a pas les moyens de se déplacer et doit subir les variations des conditions climatiques face auxquelles il montre une incroyable résilience. Les processus épigénétiques sont invoqués pour expliquer comment le végétal s’adapte à l’environnement. Mais aussi comment il déploie force inventivité, avec ou sans la main de l’homme. Les plantes montrent un polymorphisme phénotypique très étendu. La principale cause serait d’ordre épigénétique, autrement dit, la diversité ne provient pas des héritages recombinés et des mutations de l’ADN mais de ces modifications intervenant pour contrôler, interpréter le « message génétique ». Cela a été établi et chez les végétaux, les processus de méthylation sont largement présents. Comme du reste les mécanismes d’ARN interférant. On observe néanmoins quelques différences de fonctionnement du dispositif méthylant. Chez les mammifères, on ne connaît pas d’épimutation transmissibles à la descendance, contrairement aux végétaux qui utilisent cette voie pour produire des variants. Par ailleurs, les méthylations sont intensément utilisées dans le développement des mammifères, alors que chez les végétaux, ces mécanismes sont plus discrets, intervenant comme appoint dans la régulation du développement dans un environnement aux conditions changeantes, avec les variations climatiques diurnes et annuelles. Si c’est ainsi, c’est sans doute que la cellule végétale n’a pas besoin de plus d’épigénétique que son fonctionnement le requiert, alors qu’une cellule de mammifère est intégrée dans un dispositif plus riche et complexe, si bien que les codes régulateurs sont d’une sophistication supérieure.

Génétique et évolution

Beaucoup de choses ont été pensées, réfléchies, testées, écrites sur le lien entre les mutations du livre génétique et l’apparition des espèces par le processus de sélection naturelle exercé pour favoriser les spécimens (d’une espèces) naissant en portant ces mutations, transmises également par recombinaisons lors de la reproduction sexuée. La seule question qui se pose concerne le déroulement du processus de différenciation des individus et/ou espèces et le processus de spéciation des espèces. Que pouvons nous conjecturer quant à une évolution soumise à la sélection naturelle mais dont on se demande si du point de vue de la nature subjective, de la régulation des mécanismes et transformations, génétique et épigénétique inclus, il n’y a pas une sorte d’intelligence interne en œuvre ? Cette hypothèse est audacieuse mais n’avons-nous pas presque démontré que la substance vivante est une substance technique cognitive, bref, une substance douée d’une plasticité intelligente, capable de réaliser des prouesses moléculaires et cellulaires, alors pourquoi pas des prouesses dans les intentions évolutives ? La sélection naturelle s’exerce et c’est certain mais s’exerce-t-elle sur des êtres vivants subissant des mécanismes mutationnels aveugles ou bien sûr des êtres vivants dont les mécanismes moléculaires et cellulaires sont doués d’une « intelligence technicienne » ?


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