Le calculateur quantique sera-t-il opérationnel plus tôt que prévu ? Et qui bénéficiera de ces progrès ?

par Automates Intelligents (JP Baquiast)
samedi 3 novembre 2012

Les voies permettant de réaliser des calculateurs quantiques sont-elles aussi étroites qu'il apparaît aujourd'hui ? Des percées ne seraient-elles pas probables, dans des domaines où l'ingéniosité des chercheurs n'a évidemment pas dit son dernier mot ?

Jean-Paul Baquiast 02/11/2012

Dans un supplément à son numéro de novembre 2012, intitulé « Les supercalculateurs relèvent le défi  » (accès libre http://www.larecherche.fr/content/system/media/hpc2012.pdf) , la revue La Recherche recense les nombreux domaines dans lesquels ces dernières années les super-calculateurs, souvent désignés par le terme de «  calcul intensif  », ont bouleversé les sciences, les technologies et leurs applications militaires et civiles. Il est intéressant de noter que l'Europe (et la France notamment grâce à la compagnie Bull, lointaine enfant du si décrié Plan Calcul) tiennent une place plus qu'honorable dans cette course à la puissance. Mais ce seront sans doute dans l'avenir les Etats-Unis et la Chine qui continueront à faire les plus gros efforts d'investissement.

Ceci dit, même les supercalculateurs les plus puissants paraîtraient des calculettes s'ils étaient confrontés à des calculateurs quantiques utilisant quelques dizaines ou centaines de qbits, c'est-à-dire de particules maintenues en état de superposition quantique le temps qu'elles se livrent à des calculs généralement parallèles. Dans un éditorial du 15/10.2012 « Un prix Nobel français en physique quantique... oui mais ensuite ? » http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2012/130/edito2.htm , nous rappelions l'urgence qui devrait s'attacher à la mise au point, notamment en Europe où les capacités ne manquent pas, de calculateurs quantiques véritablement opérationnels.


Nous y indiquions que, sans mentionner ce qui se fait sans doute en Chine mais qui n'est pas publié, le ministère de la défense américain, via son agence de recherche la Darpa et un partenariat étroit avec la société américano-canadienne D-Wave, sont en train de réaliser de substantiels progrès en ce domaine. Il est inutile de parier que lorsque ces projets aboutiront, entrainant de profondes ruptures technologiques et scientifiques, les Européens n'en bénéficieront pas.

Une nouvelle perspective

Mais les voies permettant de réaliser des calculateurs quantiques sont-elles aussi étroites qu'il apparaît aujourd'hui ? Des percées ne seraient-elles pas probables, dans des domaines où l'ingéniosité des chercheurs n'a évidemment pas dit son dernier mot ? On peut le penser en lisant un article publié le 17 octobre dans la revue Nature par une équipe américaine de Princeton dirigée par le physicien Jason Petta http://www.nature.com/nature/journal/v490/n7420/full/nature11559.html. L'article, accessible sur abonnement, est très technique, comme d'ailleurs son titre « Circuit quantum electrodynamics with a spin qubit ». Bornons-nous ici à en donner un rapide aperçu.

L'ambition affichée est énorme : réaliser éventuellement des calculateurs quantiques composés de milliers ou davantage (!) de q.bits. Il faut pour atteindre cet objectif faire appel à une véritable révolution conceptuelle. Dans la course au calculateur quantique, la difficulté est que l'état des électrons, ou tout autre particule quantique (notamment son spin) ayant vocation à jouer le rôle de q.bit, est très sensible aux perturbations extérieures, venant des champs magnétiques ou lumineux environnants. Des méthodes de plus en plus efficaces permettant d'observer le spin d'un particule quantique sans le perturber ont été proposées, notamment par Serge Haroche, titulaire du dernier Prix Nobel de physique. Mais pour réaliser des calculateurs efficaces, il faudrait transposer ces dispositifs à l'échelle de 100 ou 1000.

Pour résoudre cette difficulté, l'équipe de Princeton propose de conjuguer des techniques venues de deux sciences différentes, celle de la physique des nanomatériaux et celle de l'optique. Dans le but d'obtenir des q.bits utilisables pour le calcul quantique, une opération en deux phases est mise en place. Dans une première phase, des « points » quantiques sont créés le long d'une petite longueur d'un support spécial dit nanosemiconducteur, « semiconductor nanowire ». Ce nanosemiconductor est si fin qu'il peut retenir des paires d'électrons individuelles. Celles-ci sont ensuite enfermées dans de petites « cages » le long du fil.

Les cages sont disposées de telle sorte que les électrons prennent place dans une cage déterminée en fonction de leur niveau d'énergie. Pour répartir ces électrons afin d'observer ultérieurement leur spin, on utilise le fait que les électrons de même spin se repoussent tandis que ceux de spin différent s'attirent. On manipule donc les électrons jusqu'à leur conférer un niveau déterminé d'énergie et l'on observe ensuite leur position. S'ils se retrouvent dans la même cage, ceci veut dire que leurs spins sont différents. S'ils se trouvent dans des cages différentes, c'est parce qu'ils ont le même spin.

Mais comment « lire » cette information ? La seconde phase de l'opération consiste à placer les points quantiques (quantum dots) ainsi obtenus dans un flux de photons micro-ondes (microwave channel). Il s'agit comme on vient de le rappeler d'observer leur spin afin d'en faire de véritables q.bits utilisables pour le calcul. Les chercheurs ont créé à cette fin une petite cavité avec un miroir à chacune de ses extrémités. Les miroirs réfléchissent la radiation micro-onde. Les micro-ondes sont envoyées à l'une des extrémités de la cavité, puis observées à leur sortie par l'autre extrémité. Elles sont affectées par l'état du spin des électrons situés dans la cavité, ce qui permet en recueillant le flux de micro-ondes de lire cet état sans le détruire.

Les dispositifs proposés sont encore très artisanaux et peu fiables. Ils ne permettent de traiter qu'une paire d'électron à la fois. Le premier objectif pour la suite consistera à améliorer la fiabilité des miroirs aux deux extrémités. Mais pour les concepteurs du procédé, on ne devrait pas rencontrer de difficultés de principe lorsque l'on voudra étendre le processus à grande échelle afin d'obtenir les puissants ordinateurs quantiques recherchés. Nous pouvons supposer que, dans l'immédiat, au vu des éléments publiés, le Pr. Serge Haroche est en mesure d'évaluer l'intérêt de l'innovation proposée à Princeton.

Se poserait donc dès maintenant la question de savoir qui décidera, financera et utilisera l'exploitation à grande échelle de l'innovation ici évoquée, si celle-ci tient ses promesses. Il y a tout lieu de supposer que cette question agite déjà de nombreux esprits.


Lire l'article complet, et les commentaires