Le grand panda reprend du poil de la bête
par Thucydide
mardi 3 janvier 2006
Une nouvelle espèce rare ou disparue vient, en ce début d’année, de faire parler d’elle au travers d’une dépêche AFP. Cette fois, elle ne concerne pas un animal dont, inconsciemment, on a tendance à croire qu’il mérite son sort pour sa « stupidité », tel le dodo, mais au contraire, l’emblème numéro 1 de la préservation des espèces menacées, son excellence le grand panda, Ailuropoda melanoleuca (traduction étymologique : patte-de-chat noir et blanc, c’est beaucoup moins ronflant, mais on s’en contentera). Judicieusement choisi par le WWF pour son logo, le grand panda jouit d’un capital de sympathie enviable auprès du grand public.
En l’occurrence, l’objet de la dépêche nous pousse à l’optimisme, puisqu’elle constate que malgré la très grande difficulté de la reproduction de cet animal, ses effectifs vont croissant dans l’empire du Milieu. Certes, il reste tragiquement rare, mais vu la disparition presque totale de son habitat naturel et sa libido désespérément atone, un tel résultat était loin d’être acquis, malgré les efforts déployés en vue de sa conservation. Mais au fait, qu’est-ce qui vaut à cette espèce tant d’égards, tandis que le sort du scarabée pique-prune de nos contrées (tout à fait au hasard) ne suscite guère les mêmes bouffées d’attendrissement ?
Auprès du singe nu que nous sommes, à la libido hypertrophiée (comme celle de ses cousins chimpanzé et bonobo), ce n’est pas du côté des performances sexuelles de l’animal qu’il nous faut chercher un attrait quelconque (heureusement, d’ailleurs, ça évitera peut-être qu’on ne vende son pénis en poudre en croyant pallier les insuffisances érectiles des bipèdes). Mais bien plutôt, et je ne vous apprends rien, du côté de son aspect extraordinairement mignon de nounours bicolore, qui en fait le chouchou des enfants. Et en matière de marketing, tout le monde sait que les enfants constituent une cible de choix, réceptive et fidélisable.
Loin de moi l’idée de dénigrer cet attrait, dont je trouve qu’il justifie à lui seul amplement les efforts consacrés à la préservation de cet animal (en matière de conservation aussi, il faut malheureusement établir des priorités). Je veux juste attirer l’attention sur d’autres motifs éminemment passionnants de préservation de cette espèce, qui se rapportent à ses particularités par rapport aux autres mammifères.
Tout d’abord, le grand panda ne se contente pas d’être une sorte d’ours plus beau que les autres. D’ailleurs, il n’en est pas vraiment un. La controverse fait rage depuis des lustres au gré des différentes études de parenté, mais il semblerait que le grand panda soit en fait une forme géante issue d’une famille voisine, celle des ratons laveurs (qui comporte également d’autres espèces très originales telles que le coati ou le kinkajou). Le débat est encore loin d’être clos, mais le grand panda ne ressemblerait aux ours que par évolution parallèle, son plus proche parent étant le petit panda -ça ressemble à un truisme, mais ce n’en est pas un pour les spécialistes de l’évolution des carnivores.
Lui aussi bien équipé pour susciter l’instinct de sympathie de l’humain, le petit panda ressemble à un ourson, excepté que sa queue est longue et annelée. Nettement moins célèbre que son grand cousin, il fait peu parler de lui, malgré sa magnifique robe rousse et sa bonne bouille, qui devraient lui valoir une popularité au moins équivalente à celle du koala. Il est peu commun dans les zoos, dans lesquels il passe souvent inaperçu. (Celui de Beauval, en France, est l’un des rares à en héberger.)
Les deux pandas ne sont carnivores que sur le plan de la classification -qui se doit de refléter les liens de parenté généalogiques entre espèces, et non leurs ressemblances superficielles. Pour le reste, ils sont essentiellement végétariens, en particulier le grand panda, dont la dépendance au bambou est à l’origine de la rareté et de la grande vulnérabilité. Mais c’est là que se situe, à mon sens, l’intérêt majeur du grand panda par rapport à toutes les autres espèces de mammifères : pour se saisir desdites graminées, le grand panda a développé une sorte de sixième doigt, constitué en réalité d’un os du carpe devenu mobile et opposable. Le terme « opposable » désigne un appendice pouvant se placer en face des autres pour s’agripper, mais aussi pour saisir ou manipuler des objets. Il est souvent le préalable à un développement de l’intelligence, et ce n’est pas par hasard qu’on retrouve un tel appendice chez quelques-unes des espèces les mieux dotées sur ce plan : ratons laveurs, éléphants (un ou deux appendices digités de la trompe), perroquets, etc., et bien sûr, singes, avec le succès que l’on sait pour le plus industriel d’entre eux.
Bon, d’accord, si vous dites tout de go à votre à votre petit neveu, en lui offrant une belle peluche, que vous aimez le panda pour son sésamoïde radial opposable, il vous fera des yeux ronds... d’ailuropode. Mais qu’importe, le WWF a décidément bien choisi son emblème.
Dépêche AFP :
Reprise par Yahoo News
Le zoo de Beauval :
http://www.zoobeauval.com/
Grand panda (de plus en plus souvent appelé panda géant, contamination anglo-saxonne, ou surenchère sensationnaliste ?)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Panda_g%C3%A9ant
Petit panda
http://fr.wikipedia.org/wiki/Panda_rouge