Le hasard et la volonté

par Céphale
mardi 18 septembre 2007

Dans chaque événement, au plan collectif comme au plan individuel, le hasard joue un certain rôle, en concurrence avec la volonté et le talent des acteurs. Est-il possible de faire objectivement la part des choses ?

Le mélange entre le hasard d’une part, les aptitudes et la volonté d’autre part, est une source inépuisable de controverses. Celui qui a réussi dans une entreprise met toujours en avant ses qualités personnelles, tandis que celui qui a échoué invoquera forcément la malchance. C’est souvent le cas des sportifs et des candidats aux concours, en France particulièrement.

Prenons un exemple. Delphine a été reçue parmi les derniers au concours d’une grande école qui n’admet que 300 étudiants chaque année, mais elle a été reçue. Il est bien évident que le hasard a joué un grand rôle dans sa réussite, car elle n’a pas plus de mérite que le candidat malheureux qui est parmi les premiers recalés. Mais elle est certainement plus brillante que le candidat qui se trouve en fin de classement, et moins brillante que celui qui a été reçu premier.

Connaître les causes des événements, c’est l’une des grandes questions qui depuis toujours agitent la philosophie. Quand les Grecs et les Romains étaient victimes d’événements fortuits, quand ils observaient des phénomènes inexpliqués, ils les attribuaient aux dieux. En attribuant ces événements au hasard, l’homme moderne n’est pas plus avancé. Mais la connaissance des causes est surtout une question d’ordre pratique, car c’est une source de progrès. En médecine, on ne peut trouver un remède efficace que lorsqu’on connaît la cause de la maladie.

Beaucoup de causes sont attribuées à tort, intentionnellement ou non. C’est le cas lorsque la justice condamne un innocent parce que l’opinion publique réclame un coupable et que la police n’a personne d’autre sous la main. C’est aussi le cas en politique, les gouvernements de droite comme de gauche ayant tendance à s’attribuer les mérites des bons résultats économiques. « Si ces événements nous dépassent, feignons d’en être les instigateurs », disait, je crois, Jean Cocteau.

Les mathématiques permettent d’apporter une réponse partielle au problème de la recherche des causes, mais à une seule condition : il faut que l’événement considéré s’inscrive dans un processus, c’est-à-dire dans une série d’événements comparables et de même nature. Supposons par exemple qu’un sportif améliore ses performances après avoir changé d’entraîneur. Il faut étudier la différence entre deux séries de résultats, l’une avant et l’autre après le changement. Si la différence est appréciable, on peut affirmer sans grand risque d’erreur que le nouvel entraîneur est bien la cause du changement. Une différence entre deux chiffres ne suffit pas pour porter un tel jugement ; en principe, il faut avoir au moins cinq chiffres de chaque côté. Les mathématiques donnent un cadre formel à ce type de raisonnement en fixant les règles d’un processus stable. On nomme ainsi un processus dont les résultats sont prévisibles entre deux limites calculées : une limite haute et une limite basse. Quand un résultat se trouve dans cette bande horizontale, il faut considérer que sa position est due au hasard. Au contraire un processus est dit instable lorsqu’il est imprévisible. Paradoxalement, c’est dans ce dernier cas que les causes d’un événement sont les plus faciles à détecter. La méthode existe.

Le taux de chômage élevé dont souffre notre pays est l’aboutissement d’un processus mal maîtrisé dont les composantes sont culturelles, sociales, économiques et politiques. Plusieurs gouvernements ont tenté de le faire baisser, notamment Jospin avec les 35 heures et Villepin avec le CPE. Aucun n’a réussi. Pourtant, dans les mois qui suivaient l’application d’une nouvelle loi, ils publiaient des communiqués de victoire, chiffres à l’appui. Simple propagande, car la suite montrait que les mesures prises n’avaient pas eu d’effet appréciable sur la baisse du chômage, une baisse toute relative, dont les causes véritables étaient indépendantes de l’action gouvernementale. La méthode d’analyse d’un processus aurait donné à l’opposition des armes pour réfuter les arguments du parti au pouvoir.

La pollution, avec toutes ses conséquences sur la santé humaine, est aussi l’aboutissement d’un processus complexe et mal maîtrisé. Les résultats de mesure publiés par des organismes indépendants montrent une augmentation inquiétante des taux de produits chimiques nocifs dans l’air, la terre et l’eau. D’autres résultats de mesure montrent une augmentation corrélative des taux de cancers. Pourtant, les multinationales qui sont responsables de cette pollution parviennent à jeter le doute sur les conclusions des experts, jusqu’au sein de l’Académie de médecine ! La méthode d’analyse d’un processus, là encore, donnerait aux écologistes des armes pour réfuter les arguments des multinationales.

La méthode d’analyse des processus, couramment utilisée dans la recherche et l’industrie, pourrait s’étendre avec profit à l’ensemble de l’économie. Elle réduirait l’influence de ceux qui font assaut de rhétorique pour s’attribuer le mérite des bonnes nouvelles et faire porter à leurs adversaires le poids des mauvaises nouvelles.

Elle est expliquée très simplement dans : http://www.fr-deming.org/KitStat.pdf


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