Le jour où la science pensera la nature

par Bernard Dugué
jeudi 9 décembre 2010

 

Une nuit, un rêve étrange. Je voyais un artiste peintre placer des touches de peinture sur une toile quadrillée. A côté, je voyais un organisme vivant qui lui aussi, plaçait dans une trame des cellules différenciées. Chaque chose occupe une place, que ce soit un trait de pinceau sur un tableau, une note de musique sur la partition ou une cellule vivante sur… eh bien pour l’instant, il n’y a pas de vision de ce que pourrait être la trame, ni d’ailleurs le signe d’un éventuel peintre ou compositeur logé dans le système vivant. Jadis, les alchimistes de la Renaissance et même un Spinoza évoquaient une nature naturante et une nature naturée. Autrement dit, le peintre et sa toile. Vision onirique, vaine spéculation ou bien don de double vue ? Telle est l’interrogation livrée par ces penseurs d’un autre âge ou l’on pouvait encore s’émerveiller de la magie des êtres animés. Avant que la science ne livre son cortège de visions mécanistes et quelque peu desséchées, attribuant la paternité du vivant à un joueur de dés moléculaires au lieu d’un peintre naturaliste logé dans les mailles du champ transcendantal sous-jacent aux processus moléculaires et cellulaires.
 
Un peintre met des touches successives, la toile se précise. Parfois, le peintre se sert d’improvisations, dessinant quelques formes au gré du hasard, ensuite, une vision d’ensemble converge dans son esprit et la toile n’a plus qu’à s’achever avec des coups de pinceau jetés spontanément sur la toile et dont la juxtaposition vient compléter l’œuvre dont le codage semble bel et bien pixélisé dans les réseaux neuronaux de l’artiste.
 
La nature en soi est un peu ce peintre transcendantal qui crée une figure en fonction des coups du hasard. Et qui mémorise les figures. Hologramme de la gravitation universelle, forme du système vivant. Serait-ce l’âme du vivant que cette trame formelle qui se constitue au gré des interactions entre cellules, en liaison avec les déterminations génétiques ? Aux dernières nouvelles, les résultats acquis en thermodynamique du trou noir ouvrent la voie vers une conception « entropique » de la gravitation. Pour le dire simplement, les objets massiques sont disposés relativement à une figure hologrammique transcendantale et si l’on déplace une masse ou si une masse se crée, alors cela entraîne une réaction globale comme si un puzzle était amené à se reconstituer. La question de la vie est plus ardue. Sans doute, un jeu du hasard entropique (mutation) et de la réaction entropique font que le vivant est capable d’évoluer en jouant sur les fantaisies moléculaires et le contrôle lui aussi transcendantal de la figure interne, disons le miroir pour ceux qui sont initiés à la métaphysique des miroirs. Si l’univers physique se présente comme une vaste fresque dynamique dotée d’une colossale énergie, l’univers du vivant est fait de miniatures moléculaires et cellulaires pouvant se répliquer et s’assembler en un édifice d’art contemporain toujours en mouvement, renouvelant ses pièces moléculaire régulièrement. La toile d’un Picasso est au contraire figée une fois réalisée. 
 
Si la vie était un art, ou plutôt si un art devait représenter le vivant, ce serait d’abord la musique et surtout la danse. Le très romantique Tchaïkovski ne s’y est pas trompé, faisant danser ses artistes sur une composition intitulée le lac des cygnes. Schelling proposait dans saNaturphilosophie une vision romantique et intellectualisée de la nature, voyant dans celle-ci un dynamisme la conduisant à se rendre adéquate (accordée) aux formes intelligibles qui le détermine, un mouvement téléologique dirigée par une « âme » du monde. Cette conception a été invalidée par la science moderne car si téléologie il y a, c’est celle d’une convergence des formes vivantes après une expérience dans le milieu naturel. L’âme qui sous-tend le dynamisme se constitue avec ce dynamisme. Le peintre transcendantal de la vie se crée en façonnant les dynamismes moléculaires et cellulaires grâce à un processus non élucidé par la science contemporaine.
 
Pour l’instant, on s’en tiendra à cette exposition poétique d’une possible révolution spéculative dans la manière de percevoir, concevoir et comprendre la nature, y compris celle de l’homme. Aristote disait de l’humain qu’il est un animal rationnel capable d’utiliser le langage. Et même que l’art est une imitation de la nature, ou que dans la nature, il y a une puissance artisane. Une vision plus romantique verrait dans l’évolution humaine une sorte de transgenèse faisant émerger le génie à partir d’un animal doté d’une physiologie et d’un cerveau. Carrément une métempsychose mais sans transmigration, une métempsychose progressive et ascendante inhérente à la substance vivante. Le génération en génération, le génie humain se transforme, s’invente et crée toutes sortes d’œuvres techniques ou artistiques. Un jour, la science pensera tout autrement la nature, sans pour autant renier ses découvertes mécanistiques et ces admirables détails de la machinerie moléculaire, tissulaire, neuronale. 

 


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