Le nucléaire tel qu’on ne le montre jamais

par Vincent Crousier
jeudi 9 octobre 2008

"Pour ou contre le nucléaire" ? Voilà LA question qui fait penser en rond ; LA question qui empêche tout débat constructif ; LA question qui permet de classer les gens en deux groupes aisément identifiables, pouvant être facilement, et sans fin, opposés l’un à l’autre. "T’es POUR le nucléaire ?!? Et Tchernobyl et les déchets, alors !!!" versus "T’es CONTRE le nucléaire ?!?! Mais c’est le truc qui produit le moins de déchets et de CO2 !!!!" Comment s’y retrouver ? Point de vue.

« Pour quelles raisons devrait-on croire le lobby nucléaire lorsqu’il affirme que les déchets radioactifs sont bien gérés ; que les centrales ne rejettent que très peu de radioactivité ; que l’incident du Tricastin est négligeable sur le plan sanitaire et environnemental ; que malgré le fait qu’il faille toujours abaisser les seuils de rejets radioactifs, ces derniers sont absolument inoffensifs… et tant d’autres choses encore ? Suite à un développement via le militaire, l’industrie nucléaire civile a démarré dans une logique du secret, et s’est développée en ignorant la société civile. Aujourd’hui, dès le moindre incident, elle est attaquée par les antinucléaires… mais ne se défend jamais, ou si peu. Il est évident qu’elle a quelque chose à cacher. C’est d’autant plus évident que, si le nucléaire était si sûr et si propre, cela se saurait ! »

Effectivement, tout, absolument tout porte à croire que l’industrie nucléaire est, du point de vue scientifique, une « grande muette ». Discours auquel les scientifiques opposent évidemment des propos qui se veulent rassurants. Mais ces experts se voient, à leur tour, accusés soit de vouloir éviter les paniques, soit d’être tout bonnement « à la botte du lobby nucléaire ».

On assiste ainsi, invariablement, à un combat de « pour » ou « contre » le nucléaire, tout comme on peut être pour ou contre les OGM, les nanotechnologies, les éoliennes ou Sarkozy. Côté "contre", des problématiques scientifiques très complexes sont parfois simplifiées à l’extrême, ce qui produit des "idées fortes" (« On croule sous les déchets nucléaires », « il est fondamentalement impossible d’être écolo si on est pour le nucléaire »). Ces « idées fortes » fabriquent finalement une sorte de « pensée sous vide » propice à entretenir un « marché des opinions » géré par des « leaders d’opinions ». Côté "pour", des experts pensent s’en sortir avec un discours scientifique, mais s’entendent rétorquer la question de confiance : "Et pourquoi vous croirait-on ?" En effet, ces scientifiques, quelle que soit l’organisation à laquelle ils appartiennent (CEA, Andra, AEPN, etc.), sont associés, en bloc, à l’« industrie nucléaire » qui, elle-même, n’a effectivement jamais fait l’effort de vulgariser l’activité qu’elle exerce depuis cinquante ans, bien au contraire. Et pour cause : cette stratégie du mutisme a été choisie à dessein*.



Posons des questions simples. Un pronucléaire est quelqu’un qui défend le nucléaire, soit. Mais est-ce quelqu’un qui défendra également l’industrie nucléaire lorsqu’elle ment, désinforme ou cache des informations ? Qu’est-ce que le lobby nucléaire : EDF ? L’Andra ? Le CEA ? L’ASN ? La SFEN ? L’AEPN ? Toutes ces organisations à la fois ? Dans le cas contraire, qu’est-ce qui les différencie ? Et finalement, qu’est-ce qui différencie fondamentalement un ingénieur du CEA d’un militant de Sortir du Nucléaire ou de Greenpeace ? Que pensent des faibles doses ou des (peut-être futures) centrales nucléaires à neutrons rapides un chercheur de l’Andra et un sous-traitant d’EDF ? Etre pronucléaire implique-t-il d’« excuser » Hiroshima et/ou de « justifier » Tchernobyl ? Doit-on mettre dans le même sac : 1) un antinucléaire qui admet des effets bénéfiques des faibles doses de radioactivité, mais qui estime que l’industrie nucléaire est trop dangereuse ; et 2) un antinucléaire qui ne veut pas d’industrie nucléaire à cause, exclusivement, de Tchernobyl ?

L’approvisionnement énergétique, c’est de la politique, de l’économie, de l’idéologie, de la science, de la technique, de la finance, du business, de la recherche, de l’écologie… Ce cumul de paramètres en fait un enjeu stratégique mondial d’une extraordinaire ampleur. Conséquence : un des aspects les plus importants pour toutes les industries de l’énergie (nucléaire, éolienne, pétrolière, solaire, géothermique, etc.), consiste au mieux en la maîtrise, au moins en la gestion de ce « marché des opinions », auquel les médias, sans se poser beaucoup de questions, vont simplement faire leurs courses. Le plus surprenant - mais seulement au premier abord* - c’est que, pour ce qui est du nucléaire, le travail des antinucléaires professionnels, du point de vue de cette gestion de l’opinion publique, sert totalement les intérêts de l’industrie nucléaire (mais irrite au plus au point les pronucléaires).

Démêler le vrai du faux, la malhonnêteté intellectuelle de la contre-vérité ou du mensonge par omission, comprendre non seulement pourquoi le débat sur le nucléaire en France en est arrivé à une telle situation, mais également en identifier les acteurs et leurs stratégies... Telle est la tâche à laquelle devraient s’atteler les journalistes, au lieu d’entretenir un match « pour ou contre » qui n’apporte rien. Objectif : proposer au public un panorama réel du paysage nucléaire français, pour ne plus dépendre d’opinions sous vide distribuées adroitement par tel ou tel lobby.


Vincent Crousier
Journaliste scientifique indépendant
*Pour en savoir plus : www.journaliste-enqueteur.com


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