Le règne de l’informatique molle

par Christophe Andreani
vendredi 22 février 2008

L’ordinateur familial considère que ce qu’il est en train de faire est plus important que ce que l’utilisateur désire faire.

Depuis les années 2000, de plus en plus d’appareils électroniques intègrent une partie informatique. La technologie numérique s’installe ainsi chaque jour davantage aux côtés de « l’ancienne » technologie analogique. Mais cela semble aller de pair avec un manque d’ergonomie toujours plus croissant, lié à une réactivité de plus en plus « molle » des machines. Les appareils électroniques sont de plus en plus puissants, certes, mais ils réagissent aussi de plus en plus lentement aux ordres des utilisateurs. Les fabricants n’ont pas l’air de se soucier de cette situation, malgré les jurons que profèrent les utilisateurs à l’encontre de ces machines toujours plus lentes à réagir.

Comparons, par exemple, le temps de réaction d’un simple magnétophone des années 1980 à celui d’un récent lecteur DVD : avec le magnétophone, un appui sur la touche « Lecture » déclenche quasi instantanément la lecture. La touche « Stop » l’arrête tout aussi rapidement et, comble de la perfection, le bouton « Eject » éjecte instantanément la K7. Avec le lecteur de DVD, un appui sur la touche lecture ne déclenche pas la lecture, enfin pas tout de suite. Cela enclenche d’abord un processus qui, après plusieurs secondes, une... deux... va déclencher la lecture... Les boutons « Stop » et « Eject » réagissent de la même façon, en forçant l’utilisateur à attendre quelques secondes avant de voir son ordre exécuté. Où est passée l’ergonomie ?



Autre exemple : zapper d’une chaîne de télé à une autre en appuyant sur la touche « + » pour passer à la chaîne suivante. Avec le réseau hertzien et nos six valeureuses chaînes classiques, le passage de l’une à l’autre est quasi instantané. Mais, depuis l’avènement de la télévision par câble, par satellite ou par ADSL, le passage d’une chaîne à l’autre impose désormais à l’utilisateur d’attendre, là encore, une à deux secondes avant de voir sa demande exécutée. Bien sûr, il y a plus de cent chaînes disponibles, mais la non-réactivité du système n’incite pas à balayer plus de cinq ou six chaînes de suite. Le progrès est-il réel ?

L’exemple le plus flagrant est celui des premiers appareils photos numériques. Ces fameux « nouveaux » appareils qui mettaient plusieurs secondes à s’allumer et, surtout, qui ne prenaient pas la photo quand on appuyait sur le déclencheur, mais une seconde plus tard ! Ces appareils, inutilisables pour une grande majorité d’utilisateurs, ont quand même été commercialisés à grande échelle ; suffisamment pour que la photo numérique détrône aujourd’hui la photo argentique. Les fabricants sont désormais conscients de la nécessité de fabriquer des appareils réactifs. La plupart des appareils récents se mettent en marche désormais en moins d’une seconde et prennent leurs photos quasi instantanément. Mais pourquoi les autres catégories d’appareils ne profitent-elles pas de ces avancées ergonomiques (qui, finalement, ne sont pas des avancées, mais simplement un retour à un comportement normal) ?


Dernier exemple, mais peut-être le plus emblématique : l’ordinateur familial. Grâce à lui, le concept, unique, de la machine qui devient de plus en plus « molle », au fil du temps existe. Plus on utilise un ordinateur - sur une période de plusieurs mois - plus il réagit lentement aux ordres de l’utilisateur. Il n’est pas question ici de virus, simplement d’une conception non aboutie du système d’exploitation qui accumule de plus en plus de fichiers-systèmes au fil du temps. Ces fichiers, l’ordinateur les relit systématiquement avant de répondre à toute nouvelle sollicitation de l’utilisateur (clic de souris). En peu de temps, quelques mois, parfois quelques semaines, l’utilisateur ressent un manque de réaction systématique de la machine occupée à gérer sa base de données gargantuesque plutôt que de répondre à ce qu’on lui demande.


On pourrait résumer la situation ainsi : l’ordinateur familial considère aujourd’hui que ce qu’il est en train de faire est plus important que ce que l’utilisateur désire faire. Ainsi, il faut attendre que la machine ait terminé ses opérations techniques de routine (démarrage qui n’en finit pas, initialisations de trente-six programmes pas vraiment indispensables, mais installés à notre insu, connexions systématiques à internet pour vérifier les nouvelles versions, etc.) avant d’espérer que notre « clic » de souris puisse être pris en compte.



Actuellement, c’est souvent à l’utilisateur d’attendre la disponibilité de la machine. Et pourtant les ordinateurs renferment une puissance de calcul considérable : les programmes d’images 3D, les jeux en immersion totale, les logiciels de compression de fichiers audio et vidéo s’exécutent plutôt rapidement. Mais, curieusement, le système d’exploitation - c’est-à-dire l’environnement du « bureau » - reste toujours aussi lent et peu réactif. Est-ce si difficile, techniquement, de privilégier les ordres envoyés par la souris plutôt que les tâches en cours de l’ordinateur ? Comment être crédible quand on explique à un novice en informatique, qu’il est normal de devoir attendre deux ou trois secondes - voire davantage - pour qu’un simple « clic » de souris soit pris en compte par une machine capable d’exécuter, en théorie, deux milliards d’opérations par seconde (pour un ordinateur intégrant un processeur standard de 2 GHz) ?


L’enthousiasme très mitigé pour Vista, le nouveau système d’exploitation de Microsoft, s’expliquerait-il aussi par cela ? A aucun moment, Microsoft n’a communiqué dans le sens d’un système d’exploitation vraiment plus rapide, plus vif, qui réagirait instantanément aux commandes de l’utilisateur et, cela est crucial, durant toute la durée de vie de l’ordinateur. Au contraire, de nombreux bancs d’essais jugent Vista encore plus lent à réagir que Windows XP. Combien de temps encore les concepteurs et les ingénieurs nous imposeront-ils ces ordinateurs qui manquent de vivacité ? Faudra-t-il les inciter à se souvenir des premiers ordinateurs familiaux des années 1980 (Apple II, Oric, Sinclair Spectrum, Commodore 64, Amstrad CPC qui n’avaient, certes, pas d’interface homme-machine sophistiquée, mais qui réagissaient rapidement) pour qu’ils comprennent que la réactivité d’une machine est souvent préférable à sa puissance ?

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