Le transhumanisme, une belle promesse

par Victoria de Béhagle
jeudi 20 novembre 2014

Ce soir se tient à Paris le 1er colloque international sur le transhumanisme. Que défend ce courant de pensée, et quels en sont les enjeux pour l'humanité ?

Si le mot encore peu connu, a de quoi faire peur, le concept n’en est pas moins inquiétant : le transhumanisme est un courant de pensée qui soutient que les nouvelles technologies vont venir à bout de la mortalité humaine grâce aux nouvelles technologies[1].

Si la course à l’immortalité a depuis longtemps déjà supplanté le rêve candide de transformation du plomb en or dans la tête des savants fous, il n’en reste pas moins que les défis lancés contre la nature semblent prendre aujourd’hui une dimension toute autre.

Tout d’abord parce que les instigateurs de cette révolution sont les fameux GAFAM[2], les Google, Apple et autres grandes firmes internationales issues du monde des nouvelles technologies. Les démiurges du nouveau monde ne sont plus d’obscurs alchimistes menant des expérimentations hasardeuses au fond de leurs sombres laboratoires. Ce sont des industriels ambitieux, dotés de moyens financiers quasi illimités associés à un sens aigu des affaires, et à un pouvoir de décision immense. Ils ont également à leur disposition une abondante matière grise issue des plus prestigieuses formations du monde entier. Ceux sont eux qui façonnent l’économie actuelle. 

Ensuite parce qu’on a des raisons de croire que les rêves technologiques les plus insensés seront bientôt à notre portée. Qui aurait imaginé il y a seulement dix ans que l’on pourrait faire son analyse de sang avec un téléphone portable ? Ou que l’on serait un jour capable de synthétiser des organes humains avec une imprimante ? Nous vivons actuellement une accélération prodigieuse du progrès technologique. Il y a 10 ans, nous générions déjà en deux jours autant de données que la totalité de celles cumulées depuis le début de l’humanité[3]. Il n’y a plus de limites. Le slogan de la « Singularity University », l’école du progrès au sein de la Silicon Valley, est à ce titre très éloquent : « Have goals like moon »[4].

Enfin le rempart d’une éventuelle opposition émanant de la population a partiellement été abattu, tout du moins en Occident. Une conception purement utilitariste de l’être humain est en train de faire durablement son chemin dans les têtes, véhiculée par la société ultra-marchandisée. Le message banalisé en faveur de la GPA, où on « loue » le ventre d’une femme comme un ouvrier loue ses bras pour travailler à l’usine, en est l’exemple le plus criant[5]. L’humanité est même appréhendée comme un gigantesque système d’informations par les ingénieurs de la Silicon Valley[6].

Sous le doux manteau d’un discours bienveillant empli de promesses de progrès médicaux, de victoires contre la maladie, d’allongement de la vie – certes incontestables, se dissimule un monstre dont on minimise la puissance dévastatrice. Les préoccupations d’ordre éthique et philosophique, vues comme de pénibles trouble-fêtes, sont sciemment et soigneusement balayées des réflexions menées dans les Big Tech[7].

On endoctrine massivement les foules par un message plein d’espoir, d’un monde sans maladie, sans souffrance. Dans un monde où les croyances religieuses affaiblies ne parviennent plus à panser les douleurs humaines, où l’individualisme et l’hédonisme sont les valeurs portées aux nues par l’ensemble de la société, la souffrance de toute nature est vécue comme une épreuve insupportable et de fait intolérable.

Lorsque le discours se pare des atours séduisants d’un monde sans risques, sans souffrances, sans limites, usant et abusant de l’exacerbation de nos vils tréfonds émotionnels, il ne peut qu’être applaudi.

De même que l’on abrutit le peuple en prétendant que la mort n’est rien, puisqu’elle arrive pour son plus grand bien par le tendre bras d’un gentil nounours bleu, la peluche mascotte de l’ADMD[8]. De même que l’on promet aux femmes une carrière plus épanouie en leur offrant généreusement la possibilité de congeler leurs ovocytes, leur donnant ainsi la chance inédite de pouvoir concilier au mieux vie professionnelle et personnelle[9].

A prétendre éradiquer la souffrance humaine, voire la mort, tragiquement inhérentes à notre nature, ne sommes-nous pas en train de construire méthodiquement un nouveau monde, un monde de malheur ? Qui veut faire l’ange fait la bête.

 

[1] http://www.franceinfo.fr/emission/nouveau-monde/2014-2015/transhumanisme-la-technologie-plus-forte-que-la-mort-20-11-2014-06-50-0

[2] Acronyme désignant les cinq entreprises américaines Google Apple Facebook Amazon et Microsoft

[3] http://www.liberation.fr/economie/2012/12/03/donnees-le-vertige_864585

[4] http://club-digital-sante.info/2014/11/singularity-university/

[5] http://www.lepoint.fr/societe/pma-pour-pierre-berge-payer-un-ouvrier-ou-une-mere-porteuse-c-est-la-meme-chose-17-12-2012-1602815_23.php

[6] http://www.laviedesidees.fr/Misere-de-l-humanite-numerique.html

[7] http://www.franceinfo.fr/vie-quotidienne/high-tech/article/france-info-au-coeur-de-la-silicon-valley-entre-business-et-reve-d-immortalite-599221

[8] Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité

[9] http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2014/10/24/facebook-et-apple-jettent-un-froid-sur-la-maternite_4511114_4497186.html


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