Le Wimax va-t-il faire exploser l’équilibre entre les opérateurs mobiles et les FAI ?

par Christian Jegourel
vendredi 7 juillet 2006

La technologie Wimax, qui va permettre la voix sur IP et l’accès Internet nomade, va remettre en cause le modèle économique des opérateurs mobiles basé sur le paiement à l’acte (minutes, données transférées...)

Mais c’est également un formidable pied de nez aux opérateurs qui ont dépensé des fortunes dans leurs licences UMTS dans les années 2000. Il faut se rappeler les 100 milliards d’euros dépensés sur les marchés allemand et anglais dans l’achat de licences...

Si cette manne financière a donné de l’oxygène aux finances de ces deux Etats, elle a également mis nos opérateurs européens dans une situation qui a failli être critique. Notons au passage qu’avec la clairvoyance et la capacité d’anticipation bien connue chez nos dirigeants français, notre pays n’a récolté que 600 millions d’euros, ce qui était une sage décision de la part de l’Etat français au moment où ont été mises aux enchères les licences, mais la somme aurait pu être bien supérieure si cette procédure d’attribution avait été plus rapide...

Technologies disruptives

J’utilise ce terme avec parcimonie, car l’un de mes amis m’a fait remarquer qu’il était déposé !

Quoi qu’il en soit, la dualité entre l’UMTS et le Wimax me renvoie quinze ans en arrière, lorsque je faisais partie d’un groupe de travail au ministère de l’Industrie (SERICS) sur la télé du futur. Le grand sujet de l’époque était
la TVHD , comme quoi ce n’est pas un sujet bien nouveau. A ce moment, les grands industriels européens et japonais essayaient de promouvoir une technologie de HD, évolution des formats existants. A l’inverse, les Etats-Unis cherchaient à s’appuyer sur une norme en devenir : le MPEG.

Les débats au sein du groupe de travail ont été houleux avec les partisans, souvent les industriels et les universitaires, et les opposants dont je faisais partie et qui préconisaient de s’orienter sur des standards et des technologies plus prometteurs et soutenus par un plus grands nombres d’acteurs.

Il me semble que nous sommes dans la même situation.

D’un côté, les opérateurs mobiles et les équipementiers qui visent, bien sûr, la transition en douceur de leurs équipements et services sans remettre en cause le modèle économique de base. De l’autre, des acteurs du monde Internet, pour lesquels seule compte l’efficacité, qui constatent que la technologie IP est largement répandue et que le Wimax pourrait permettre d’étendre son champ d’action au nomadisme.

Cela entraîne plusieurs questions : ces technologies sont-elles fiables, au point ou près de l’être, quel réseau va être le moins coûteux à déployer, est-ce que la convergence avec l’Internet va être un facteur clé de succès, quid des licences ?

Les licences

C’est le dernier point, le plus épineux en France, car il semble que l’organisme de régulation comme les opérateurs aient sous-estimé le Wimax. A ce jour, seul Free, qui a vu sa licence nationale confirmée, peut déployer une offre sur tout le territoire. Tous les autres acteurs sont dans une impasse.

Faudra-t-il permettre d’autres attributions de licences ? Très certainement. Je suis par contre très sceptique lorsque j’entends qu’il pourrait y avoir l’attribution d’une quatrième licence de téléphonie mobile de troisième génération.

A ce jeu, c’est encore Free qui pourrait jouer les trublions, car sans cet opérateur Internet, il y fort à parier que, pour des raisons industrielles, les opérateurs de téléphonie mobile choisissent de déployer des réseaux HSDPA qui convergeront ensuite vers de la connexion IP. Cette approche permettrait aux différents acteurs de rentabiliser leurs investissements en licences et équipements, et de faire migrer tranquillement leurs abonnés vers l’IP en 2008 - 2009. Avec Free, sa licence nationale et la volonté de déployer un réseau sur 2006 et 2007, ce scénario pourrait bien voler en éclats.

Free ne détient pas seul les clés de ce montage en France car celui-ci est dépendant de la disponibilité de technologies. Sur ce dernier point, les différentes initiatives en Asie et aux Etats-Unis semblent donner raison aux espoirs placés dans le Wimax, et dans le Wibro en Asie.

Petite revue, non exhaustive, de la situation.

Intel et Motorola viennent d’annoncer un investissement de 900 millions de dollars dans Clearwire, la société de Craig McCaw, pionnier du cellulair aux US, qui déploie des réseaux Wimax aux Etats-Unis et a commencé en Europe avec un réseau opérationnel en Belgique (avec MAC Telecom à Bruxelles, couverture actuelle plus de 50%), et chercherait des partenaires en France (rumeur). Pour le moment, il faut utiliser des modems spécifiques comme dans l’expérience initiée au Canada (ici) mais les annonces récentes faites à Taipei et par les différents constructeurs asiatiques en termes d’infrastructure et terminaux mobiles laissent penser que des téléphones portables WiFi et Wimax pourraient être disponibles en quantité dès début 2007 (Samsung ici). Beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que ce type de technologie va considérablement réduire les coûts pour les utilisateurs et que le modèle des opérateurs mobiles va fusionner avec celui des opérateurs Internet.

Pour Ed Zender, le CEO de Motorola, il ne fait aucun doute que le Wimax va se substituer aux autres technologies pour les mobiles. Il y a cependant un rapport de Moody’s, acteur de la recommandation financière, qui contredit cela, en affirmant récemment que le marché de la voix sur IP ne représentera que 5 à 10% des communications en 2010. Je ne partage pas cette hypothèse, que je trouve trop basse.

Le réseau déployé par Clearwire va être basé sur une pré-version de Wimax à 1,5 Mb/s, pour les puristes standard IEEE 802.16e-2005. Clearwire vient également d’annoncer un accord avec AOL qui pourrait revendre une offre co-brandée.

J’ai d’ailleurs émis de telles hypothèses dans l’Interview que j’ai donnée pour Olivier sur son site sur les risques pour les opérateurs mobiles et les FAI dans les deux années qui viennent.

Même si le type d’infrastructure Wimax est moins robuste, pour le moment, en termes de stabilité de services, que celles proposées par les équipementiers télécom traditionnels, ce sont les clients qui vont trancher car les coûts d’abonnements et surtout les services offerts par un accès Internet nomade voix/data sont déterminants dans le choix des consommateurs. Il suffit de se souvenir des débuts un peu chaotiques de la voix sur IP avec Skype et autres services IP (coupures intempestives, mauvaise qualité de réception...) pour voir à quelle vitesse les consommateurs ont adopté ces offres et combien la qualité s’est améliorée.

Il ne fait pas bon être opérateur car les choix industriels au cours des prochains mois pourraient conditionner l’avenir.

Il ne faut pas penser, néanmoins, que les opérateurs FAI sont dans une meilleure situation, car ils sont également face à une technologie disruptive (tant pis pour le droit d’auteur) avec le remplacement programmé de l’ADLS sur paire de cuivre par de la fibre optique jusqu’à l’abonné.

Ces deux industries, amenées à converger, vont devoir redéployer un nouveau réseau au cours des prochaines années, et les investissements sont de l’ordre de plusieurs milliards d’euros à chaque fois. Avec la pression des opérateurs de portails et de services, l’inflation des droits de diffusion de contenus, etc., la compétition est relancée entre les opérateurs télécom, les médias et les infomédiaires.

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