Les chiens de garde US des bombes pakistanaises

par morice
jeudi 22 novembre 2007

On en apprend tous les jours. Au Pakistan, l’homme qui avait pris le pouvoir par la force en 1999 et qui tente aujourd’hui de le garder... par la force, Pervez Musharraf, a longtemps été le protégé des Américains. Là on ne vous apprend rien. Le fait est connu. Les Américains l’avaient préféré à son prédécesseur civil, Nawaz Sharif, renvoyé illico presto en... Arabie saoudite, dès le coup d’Etat militaire annoncé. La raison invoquée alors par les Etats-Unis est celui du maintien dans la région de l’équilibre de la terreur. Mais aujourd’hui, on apprend que cette bienveillance est allée plus loin...

Cette région du monde était devenue en quelques semaines une poudrière. L’Inde avait fait exploser, un an seulement avant l’arrivée au pouvoir de Musharraf, cinq bombes nucléaires d’affilée. Le Pakistan avait répondu avec six tirs quelques semaines après (le premier le 28 mai 1998 dans les monts Chagaï au Bélouchistan). Tous les deux avaient donc "la" bombe (l’Inde la première, depuis 1974), mais pas pour les mêmes raisons semble-t-il : l’Inde en faisait une garantie de non-agression, son créateur, Avul Pakir Jainulabuddin Abdul Kallam étant plutôt porté vers la non-prolifération. C’était donc une bombe dissuasive, le Pakistan se tournant une arme résolument offensive, créée comme une revanche sur la pauvreté du pays par un individu à la pensée beaucoup moins généreuse...

Historiquement, l’administration Clinton souhaitait "limiter" la production indienne, et... "contrôler" l’usage de celle du Pakistan. Si l’Inde (vexée) et les Etats-Unis se sont ignorés pendant les années qui ont suivi, les Américains, sous l’ère Bush, se sont assez vite nettement rapprochés du pouvoir militaire pakistanais, plutôt favorable à leurs idées d’aide militaire (jamais désintéressée chez les Américains). De façon officielle, mais aussi officieuse, grâce à un programme d’aide militaire secret de l’administration Bush qui vient d’être dévoilé ces derniers jours. Plus de 100 millions de dollars y ont été consacrés depuis 2001, c’est que révèle aujourd’hui l’amiral Mike Mullen, récemment nommé à la tête du Joint Chief Of Staff, un comité d’experts consulté en priorité par la présidence et le secrétaire à la défense américaine. L’enjeu pour les Américains était de taille, selon eux : celui d’éviter que les bombes ne tombent aux mains des islamistes en cas de renversement du pouvoir, la région abritant de plus en plus de groupuscules ayant souscrit aux sirènes extrêmistes ou hébergeant carrément Ben-Laden (cela reste encore à prouver). Les Américains étant soucieux avant tout de contrôler effectivement l’usage des armes existantes, grâce à un système assez particulier, le système PALs, pour "Permissive Action Links", proposé aux dignitaires pakistanais voici trois ans maintenant. Une technologie simple, mais qui implique beaucoup de choses. Une technologie ancienne remise au goût du jour : mécaniquement, elle équipait déjà les missiles Nike dans les années 60...

L’enjeu était délicat, car le Pakistan, non content d’en arriver à réaliser l’arme nucléaire après un bon nombre d’années, extrêmement coûteuse, s’est empressé d’en revendre le procédé à d’autres pays, dont notamment... la Corée, comme a pu le révéler Musharraf lui-même dans un livre. La Corée, mais aussi... la Lybie, la Syrie, et... même l’Iran. L’homme en cause, dans cette dissémination hyper-dangereuse, est Abdul Qadeer Khan, le père même de la bombe pakistanaise, qui n’aurait commis cela qu’en vertu de considérations financières, affirmera-t-il récemment, s’en référant alors au plus offrant. Il coule aujourd’hui des jours paisibles à Islamabad, fortune faite. Au plus offrant, mais sans oublier pour autant les considérations idéologiques : "Ces salopards d’Américains et de Britanniques sont-ils les gardiens du monde pour s’arroger le droit de stocker des centaines de milliers d’ogives nucléaires ? Nous, quand nous lançons un modeste programme, on nous traite de diables et de démons !" déclare-t-il en 1979. Lui, c’est donc bien Edward Teller, le père de la bombe à hydrogène américain mort en 2003, plutôt qu’Oppenheimer, comme type de chercheur.

C’est en Hollande qu’il empruntera la technique des centrifugeuses, à l’usine d’enrichissement d’Almelo, construite par l’Angleterre, la Hollande et l’Allemagne. En copiant à la main sur un petit carnet ce qu’il découvre sur place, lui, le jeune ingénieur pakistanais en stage qui passe plutôt inaperçu dans une centrale fort peu gardée. Il a déjà fait les universités de Berlin, Delft et Louvain, et joue sans vergogne au parfait petit espion à Almelo. La centrale nucléaire est celle bâtie en 1965 et mise en service en 1973, sur des plans allemands de la Germany’s Kraftwerk Union (et donc de Siemens). Sa particularité est d’être fournie en combustible en provenance de... centrifugeuses à uranium.

Revenu au Pakistan en 1976, après avoir épousé une Hollandaise, il se met à reproduire ce qu’il a vu à l’étranger. Pour aboutir au bout du compte à la bombe, soit après 22 ans de recherche et de mise au point quand même, le procédé retenu, celui de l’enrichissement par centrifugation étant particulièrement lent et fort peu efficace. Il décide assez vite décide de vendre les procédés d’invention qu’il a mis au point entre-temps. En 2003, un cargo sous pavillon allemand (Beluga Shipping), qui vient de quitter Dubaï se fait arraisonner au large de l’italie, direction la Lybie. Le BBC China contient 5 containers de matériel nucléaire... dont des modèles de centrifugeuses. Le navire, un simple porte-containers, finira sa carrière en s’échouant en... Afrique du Sud, où on le dynamitera. La Lybie avait déjà acheté (en 1997) 220 centrifugeuses, directement à Urenco, le consortium tripartite gérant le site d’Almelo, plus un deuxième lot plus imposant en 2002. Le procédé de la centrifugation prête aujourd’hui encore à caution : les tubes où a lieu la séparation isotopique doivent être extrêmement solides, car dedans la séparation ne peut se faire qu’au-delà de 100 000 tours/minutes, les atomes circulant dedans pratiquement à la vitesse du son. Si bien qu’aujourd’hui, beaucoup d’observateurs doutent de son efficacité réelle : c’est certes le procédé le moins onéreux pour séparer l’U-238 en U-235 fissile. Le Pakistan l’avait choisi comme procédé des pays pauvres pour parvenir à dompter l’atome : Khan avait déclaré en 1974 que pour y arriver, "s’il le faut, nous mangerons de l’herbe ou des feuilles". Mais c’est aussi le moins efficace, et le plus contraignant à mettre en œuvre. Ne pas escompter ramasser quoi que ce soit d’utilisable pour une bombe à moins de 3 000 centrifugeuses en activité, pendant au moins 5 ans minimum d’affilée. On est donc loin de ce qu’on annonce aujourd’hui pour l’Iran.

Colère, donc, en 2003, des Etats-Unis... à l’arraisonnement du BBC China. Musharraf est obligé d’envoyer Abdul Qadeer Khan à résidence, l’enquête ayant démontré son implication dans la vente. Mais sans plus. Georges Tenet, l’ancien directeur de la CIA dira pourtant un jour de Khan qu’il est "un homme au moins aussi dangereux qu’Oussama Ben Laden", et le gouvernement pakistanais est plutôt embarrassé : là-bas, notre homme est vénéré comme un vrai héros national, ayant élevé le pays à un rang inattendu dans le consortium mondial. On peint même son portrait à l’arrière des camions de transport, décorés façon pakistanaise. On comprend mieux l’empressement américain à vouloir contrôler les ogives sur place. Ce qu’on comprend moins, c’est ce qu’ils souhaitent faire avec les armes existantes au Pakistan, à défaut d’empêcher la dissémination technologique.

Ce que nous apprend aujourd’hui l’amiral, c’est que les Etats-Unis ont effectivement dépensé beaucoup d’argent pour contrôler les ogives existantes, mais ont bel et bien failli dans l’empêchement de la dissémination. Pour se rattraper, et sécuriser les têtes existantes, les Etats-Unis ont tout d’abord offert des moyens classiques de protection de sites : hélicoptères sophistiqués et jumelles infra-rouges, plus gadgets idoines dont des brigades canines de surveillance. Mais aussi et surtout un procédé classique remis au goût du jour pour sécuriser le déclenchement des bombes. La part la plus difficile à vendre auprès des militaires pakistanais, persuadés que les Américains se réservaient dans le deal un moyen d’empêcher les explosions s’ils le voulaient. Une crainte justifiée à mon humble avis. L’ancien procédé mettait en œuvre une suite de switchs (boutons) à enfoncer dans un certain ordre, leur mauvais enfoncement bloquant l’accès au déclenchement ou faisant même exploser à l’intérieur de la bombe une mini-charge pour la rendre totalement inutilisable. Aujourd’hui, les switchs sont électroniques. Un procédé faisable à distance très certainement, via un déclenchement par satellite, les bombes étant chacune munie d’un émetteur GPS pour les localiser (un brevet US de janvier 2007 améliore le procédé, qui met en relation le code intégré au départ et l’objectif visé). Du pur James Bond, période Dr No ou Goldfinger. Les extrêmistes islamistes, en tout cas, sont prévenus : l’accès seul au stock de bombes ne suffira pas pour s’en servir efficacement. Si bien qu’aujourd’hui, c’est une certitude, la bombe pakistanaise ne pourra servir... qu’avec l’accord des Américains. Et le code qu’eux seuls doivent détenir quelque part au fond des tiroirs du Pentagone. On comprend mieux aussi, dans ce cas, l’attitude américaine vis-à-vis de l’Iran. L’hégémonie américaine sur les armes nucléaires dans le monde est telle que les Américains ont installé quasi partout leur procédé de contrôle PAL, au nom des accords... sur le désarmement. Le seul pays où la technique n’a pas été vendue, c’est la Chine, Cinton ayant refusé ce transfert de technologie très particulier. Ce qui embarrasse donc les Américains, ce n’est pas la bombe iranienne elle-même. C’est le fait de ne pouvoir empêcher son usage, alors qu’ils peuvent le faire pour les autres (... sauf la France et Israël, qui se sont réservés leur propre procédé de désactivation, les Anglais ayant une autre version semble-t-il) !

Ce que ne dit pas la belle histoire réconfortante racontée par l’amiral Mullen, c’est comment peut-on affirmer à mots couverts aujourd’hui être capable de localiser aussi bien toutes les têtes nucléaires pakistanaises, de savoir même les rendre inertes à distance, et de pas avoir su empêcher 6 ogives américaines de traverser le pays armées à bord d’un B-52. Le 5 septembre 2007, un B-52 décolllant de Minot Air Force Base, Nord Dakota a aterri à Barksdale Air Force Base, en Louisiane, avec 6 missiles de croisière activés dotés de têtes W80-1. Soit au total 30 fois Hiroshima à bord. Tout d’abord, l’armée indique 5 missiles de croisière manquants, puis en découvre un 6e... C’est déjà plus logique, ils sont fixés 3 par 3 à l’extérieur de l’avion ! L’ambiguïté du chiffre donné au départ inquiète : si c’est 5, il en manque une à l’aterrissage... Pour d’autres, l’aterrissage en Louisiane est expliqué par une hypothétique "révolte" d’officiers de l’US Air Force fermement opposés au bombardement de l’Iran. Le 14 septembre qui suit, toute l’USAF est clouée au sol, une procédure très inhabituelle, il est vrai.

Le hic, c’est que ces missiles ont comme moyen d’être mis en action par le fameux logiciel PAL, le même que celui vendu au Pakistan. Le manuel du système décrit ainsi sa mise en œuvre : "A PAL is an electronic (originally electro-mechanical) device that prevents arming the weapon unless the correct codes are inserted into it. Two different codes must be inserted, simultaneously or close together. This is the "two man rule" principle - which requires it to be impossible to arm any nuclear weapon through the actions of a single individual". C’est clair : pour arriver à l’activation, il faut DEUX ordres : celui de l’officier de tir, présent sur la base... et un ordre présidentiel, ou venu d’en haut, transmis à qui de droit. L’activation décisive elle-même est présentée comme un simple code PIN de téléphone, à 6 digits. Elle peut être décidée en vol, à tout instant.

Beaucoup, dans cette affaire, pensent à Dick Cheney, au courant en qualité de vice-président. Dans quel but ces armes ont-elles été activées ? Nul ne le sait à cette heure. On remarque simplement que l’appareil suivait le trajet habituel des B-52 en partance pour le Moyen-Orient, et que l’homme qui n’a de cesse de répéter qu’il faut bombarder l’Iran s’appelle... Dick Cheney. Dr Folamour est tout près de la scène, là. Cheney a souvent évoqué l’usage d’un "smart bomb" contre les installations souterraines irakiennes. Un missile de croisière correspond assez bien à la définition. L’autre possibilité, tout aussi machiavélique, c’est d’utiliser cette bombe sur son propre territoire, façon série TV Jericho. Le Pearl Harbour III parfait (le second étant le WTC !).

Et quand bien même l’homme n’y serait pour rien : ce serait plus grave encore, car ça signifierait que le système n’est pas fiable du tout. Le système vendu aux Pakistanais et présenté comme "universellement sûr" ne l’est peut-être donc pas tant que ça. On comprend quand même pourquoi l’amiral a tenu a rassurer le monde avec cette révélation de dernière minute, censée faire oublier le survol malencontreux du pays. Le hic, c’est qu’il a omis de préciser que la protection était la même pour les deux. Si, pour lui, et les Américains, inquiets de la chute de Musharraf et de son prochain départ, c’est rassurant, pour beaucoup ça n’envisage rien de bon.


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