Les dévoilements de l’épigénétique dans le contexte évolutionniste

par Bernard Dugué
vendredi 31 août 2012

La génétique a permis d’établir les séquences d’ADN des organismes vivants, cellules, animaux, végétaux. Ces données ont permis une confrontation fructueuse avec la théorie de l’évolution. Les séquences codantes sont susceptibles d’évoluer rapidement ou lentement en relation avec la sélection naturelle ou à l’inverse, indépendamment de la pression sélective, d’où la thèse d’une évolution génétique neutre proposée dès 1968 par Kimura. Depuis quelques années, les techniques d’analyse permettent d’étudier d’autres « champs expressifs » dont la configuration détermine le phénotype cellulaire. Il s’agit de l’épigénome (modifications du génome et des protéines nucléaires) et du transcriptome (somme des ARN exprimés). Et comme pour le génome, la confrontation avec l’évolutionnisme était inévitable. Juste une question de technique, que viennent de franchir des chercheurs américains dirigés par Sheng Zhong qui ont publié un papier dans lequel ils présentent les résultats d’une méthode qu’ils ont mise au point, l’épigénomique comparative. Ils ont utilisé des cellules souches d’homme, de porc et de souris, sur lesquelles ils ont mesurés diverses altérations épigénétiques connues ainsi que les ARN transcrits (S. Xiao et al. Cell, 149, 1381-1392, juin 2012)

Ces recherches ont pour objectif de répondre à quelques interrogations fondamentales que les auteurs énoncent dans l’introduction de l’article. La première de ces questions va de soi. L’évolution a laissé des « traces » sur le génome des espèces et notamment celui de l’homme. Quelles sont alors les « traces » produites par l’évolution sur l’épigénome humain ? Seconde question toute aussi importante. Les traces de l’évolution sur l’épigénome découlent-elles tout simplement des modifications du génome ou inversement, l’épigénome influe-t-il sur l’évolution du génome par la sélection naturelle ? D’autres questions plus précises, concernant la transcription et la régulation, sont également posées, avec également des interrogations sur les marqueurs épigénétiques.

Les résultats obtenus sont significatifs et montrent que l’analyse comparative épigénétique est un domaine qui vient à peine de naître et qui promet des découvertes importantes sur le rôle des régulations post-génomiques et du lien avec la transformation des systèmes vivants. Le principal résultat à retenir, c’est le découplage partiel entre la conservation du génome et celle de l’épigénome. Autrement dit, la sélection naturelle laisse des traces sur deux niveaux informationnels, le génome et l’épigénome. De ce constat on peut alors déduire un fonctionnement partiellement autonome de l’épigénome lié au développement des organismes et à leur devenir dans un milieu sélectif. Ce lien distendu se retrouve notamment au niveau des séquences d’ADN dont l’évolution est neutre. Le second résultat important, c’est la possibilité de repérer des fonctions régulatrices qui n’apparaissent que lorsqu’on analyse les épigénomes mais restent masquées dans le cas d’une étude sur les séquences du génome. Un peu à l’image des palimpsestes que les historiens tentent de décrypter. Notons également la détection d’une variabilité épigénomique plus importante entre des espèces différentes qu’entre individus d’une même espèce ; ce qui en première analyse n’a rien de surprenant.

Les résultats les plus importants sont décrits à la fin de l’article. Deux enseignements à tirer. D’abord la confirmation de l’autonomie partielle des conservations épigénomiques par la sélection naturelle. Plus précisément, trois marqueurs épigénétiques sont conservés dans des régions génomiques présentant une grande variabilité génétique. C’est assez étrange, un peu comme si les pages d’un chapitre étaient écrites différemment à chaque copie alors que l’interprétation du lecteur reste à peu près constante. Second enseignement lui aussi crucial pour la compréhension des mécanismes de gestion informationnelle par le vivant, la conversation « colocalisée » des marqueurs épigénétiques qui est plus importante que celle de chaque marqueur pris individuellement. Ces résultats confirment l’idée d’une sélection opérant sur des modules, des combinaisons de séquences fonctionnelles, régulatrices, des réseaux génétiques et épigénétiques, plutôt que sur des éléments géniques ou épigéniques individuels. Ainsi, des marqueurs épigénétiques peuvent être identifiés comme des réseaux informationnels faisant de l’homme une espèce singulière. A souligner cette dernière conclusion sur les réseaux d’ARN transcrits qui sont accessibles à partir du génome lorsqu’on étudie un organisme unicellulaire relativement simple comme la levure alors que chez l’homme, la reconstruction des réseaux du transcriptome ne peut être effectuée à partir du seul génome et doit être complétée par les motifs épigénétiques. On peut légitimement penser que l’épigénome est propre aux fonctions cognitives des cellules appartenant à des organismes supérieurs. Chaque cellule devant en effet connaître son positionnement au sein de l’organisme. La révolution de l’épigénome n’est pas prête de s’achever.


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