Les étoiles et la vie sur Terre

par Xtf17
jeudi 3 février 2011

La photochirogénèse en lumière polarisée à l’origine de l’asymétrie biomoléculaire sur la Terre primitive est un scénario qui vient d’être simulé et validé en ce tout début d’année 2011 par l’expérience MICMOC au synchrotron SOLEIL.

 
Introduction
 
Les molécules chirales (prononcer "kiral") existent sous deux formes différentes dans la nature : les énantiomères. Cette notion désigne la disposition tridimensionnelle des atomes dans l'espace ; des énantiomères ont les mêmes atomes, donc les mêmes propriétés chimiques, mais sont images l'un de l'autre dans un miroir.
 
Ces molécules sont très répandues dans la chimie du vivant, comme les acides aminés, les sucres, les acides nucléiques. Mais de manière surprenante, la vie n'utilise qu'une seule des deux formes chirales : ainsi tous les acides aminés utilisés par le vivant sont de type L, et tous les sucres de l’ADN sont D (alors que synthétisés en laboratoire ils se présentent en général sous forme dite "racémique", 50% L et 50 % D).
 
Ce phénomène, appelé « homochiralité de la vie », est essentiel pour le stockage et l’utilisation de l’information biologique comme les hélices de l’A.D.N. ou des protéines, mais son origine intrigue les chercheurs depuis de nombreuses années.
 
 
Les énantiomères possèdent rigoureusement les mêmes propriétés physicochimiques (parfois différents du mélange appelé racémique), excepté que :
- ils font pivoter le plan de la lumière polarisée dans des directions opposées.
- ils réagissent à des vitesses différentes avec les autres composés chiraux.
Cette seconde propriété permet de comprendre les phénomènes d’amplification chirale, lors desquels à partir d’un léger excès énantiomérique on peut obtenir un composé optiquement homogène (un énantiomère pur à 100%). Les causes peuvent en être physiques :
- enrichissement d’une solution légèrement disproportionnée par cristallisation ou évaporation du mélange racémique
ou bien chimiques :
- par autocatalyse stéréosélective, où un énantiomère catalyse sa propre formation plus rapidement que l’autre énantiomère.
- par polymérisation réversible, quand l’homogénéité chirale d’une chaîne augmente avec sa longueur.
 
Ces phénomènes, qui peuvent rendre compte de l’homogénéité actuelle sur Terre de certains énantiomères à partir d’un léger excès initial, n’expliquent cependant pas d’où vient ce léger excès !
Différents modèles ont été proposés au cours du temps, avec plus ou moins de succès. Ils sont divisés en deux catégories : les modèles aléatoires, et les modèles déterministes(1).
 
Une origine aléatoire ?
Les modèles de brisure de symétrie spontanée sont inspirés des travaux de Pasteur en 1848 sur la cristallisation d’un mélange racémique de tartrate de sodium et d’ammonium. Il observa qu’au-dessous de 27,2°C, le mélange cristallise sous forme racémique, alors qu’au-dessus de cette température il forme des conglomérats (chaque cristal est alors fait d’un seul isomère). À partir d’une solution sursaturée, il arrive fréquemment qu’un seul des isomères cristallise, mais sa nature est totalement aléatoire. Si l’isomère non cristallisé peut s’équilibrer rapidement en solution, le mélange racémique cristallise alors en un seul isomère : c’est la résolution spontanée totale, bien connue pour de nombreux produits. Différentes études mathématiques ont modélisé ce phénomène en s’appuyant sur les fluctuations statistiques autour de l’équilibre et la théorie du chaos. Cependant, si sur Terre un isomère L s’est retrouvé majoritaire à un endroit (par exemple une mare primitive où il aurait cristallisé), voire a évolué par autoamplification, il y a autant de chances pour qu’ailleurs un isomère D ait fait de même. La probabilité pour qu’à 20 endroits différents la brisure de symétrie se soit faite dans le même sens est de (1/2)20, soit 10-6, et diminue quand le nombre de sites augmente ! Au contraire, si l’on fait intervenir une condition extérieure d’asymétrie non statistique, cette probabilité augmente linéairement avec le nombre des sites. Aujourd’hui les modèles déterministes sont donc pris plus au sérieux, d’autant que certains ont fourni des éléments de preuve intéressants.
 
Une origine déterministe ?
 
La violation de parité ?
 
Le principe de parité stipule que toutes les lois de la physique sont invariantes par réflexion spatiale. En 1957, Wu et son équipe vérifièrent expérimentalement que ce principe est violé pour les interactions faibles, notamment dans le cas des désintégrations b de noyaux radioactifs. Ils montrèrent que la désintégration du cobalt 60Co produit des électrons polarisés. Peu après, en 1962, Velster et Ulbricht posèrent l’hypothèse que les photons polarisés émis par le rayonnement de freinage de ces électrons lorsqu’ils traversent la matière (Bremsstrahlung), interagissent avec les composés organiques pour produire des énantiomères par voie photochimique. Il fallut attendre 1968 pour que Gary obtienne le premier résultat convaincant, par dégradation préférentielle de l'acide aminé D-tyrosine par rapport à la L-tyrosine, lorsque toutes deux sont exposées à une source de rayonnement b fourni par du chlorure de strontium 90SrCl2.
Cependant, pour que la lumière polarisée soit à l’origine de l’homochiralité sur Terre, les atomes radioactifs ne suffisent pas ; il faut qu’elle ait été présente et persistante dans l’atmosphère primitive !
 
Les champs magnétiques ?
 
En 1997, un laboratoire de Grenoble(2) montra qu’un champ magnétique peut avoir aussi une influence sur la chiralité des molécules. Cette anisotropie magnétochirale s’observe en soumettant à un flux de lumière non polarisée et à un champ magnétique parallèle au rayon lumineux un complexe racémique de tris-oxalato-chrome(III), qui s’équilibre spontanément en solution. On obtient et on peut maintenir ainsi un excès d’une des deux formes du complexe, qui n’apparaît pas lorsque le champ magnétique est perpendiculaire au rayon lumineux. Reste à savoir si ces conditions, très courantes dans l’univers, sont capables de créer un excédent suffisant pour amorcer l’homochiralité biologique.
 
La rotation de la Terre ?
 
Des résultats récents portent sur l’hypothèse incongrue de l’influence de la rotation de la Terre. En 2001, l’équipe de Ribó(3,4) observe une induction chirale sous l’influence d’un vortex, lors de l’agrégation en hélices de porphyrines en solution. Là encore, l’extension à la rotation du globe est séduisante mais hâtive.
 
La polarisation de la lumière ?
 
Depuis quelque temps, les réactions photochimiques stéréosélectives induites par la lumière polarisée sont bien connues, et ont notamment été étudiées par le prix Nobel de chimie Kagan. Il en existe deux types :
 
- des réactions de synthèse, comme celle des hexahélicènes représentée sur le schéma. Les excès obtenus par des voies de synthèse sélectives sont limités à 1% par la théorie (soit un rapport de 50,5 pour 49,5.
 
 

 

 

 

 

- des réactions de photolyse, beaucoup plus efficaces et pertinentes, puisque la théorie ne limite pas les excès que l'on peut atteindre. Les meilleurs résultats aujourd’hui sont d’environ 20% (soit un rapport de 3 pour 2) dans le cas de la photolyse du camphre. Un exemple intéressant est la photolyse de la leucine, un acide aminé prébiotique très important, montrée par Bonner en 1977.

 

 
 
 
 
 
 
 
Il est connu maintenant que la lumière du soleil qui arrive sur Terre se polarise au contact de l’atmosphère par des phénomènes de réflexion. En 1984, il a bien été mesuré que la polarisation totale sur une journée est nulle en moyenne, mais elle possède néanmoins une faible valeur le matin et une valeur de signe opposé l’après-midi. Si l’asymétrie du globe terrestre peut rendre compte d’une durée d’ensoleillement différente selon les endroits, cette explication est néanmoins bien légère. En fait, les hypothèses convergent plutôt vers l’idée que les plus hautes températures de l’après-midi favorisent la vitesse des réactions sous l’influence de la polarisation, permettant à long terme la création d’un léger excès d’un des énantiomères et l’amorce de l’amplification chirale. Ce scénario indiquerait que les mêmes formes énantiomères seraient prédominantes sur toutes les planètes de l’univers. /div>
 
Une suggestion plus récente, de Bonner et Rubenstein en 1987, propose l’influence de la lumière polarisée en provenance du milieu stellaire sur la matière organique de nuages intergalactiques. Lors de son périple de 110 millions d’années autour du centre de la galaxie, le système solaire et la Terre traversent plusieurs fois ces nuages et auraient pu accréter d’énormes quantités de matière énantiomériquement enrichie. La prédominance de certaines formes chirales serait alors aléatoire dans l’univers. Cependant seule une polarisation dans l’infrarouge, non photochimiquement actif, en provenance d’étoiles à neutrons a été observée dans l’espace (dans la nébuleuse d’Orion), mais pas encore à des longueurs plus courtes requises pour avoir une influence photochimique.
 
Ainsi la découverte de la fameuse météorite de Murchison(5), d’origine cométaire, accrédite cette hypothèse : elle contenait de la matière organique et notamment de nombreux acides aminés ayant un léger excès d’acides aminés L.
 
Pour valider cette hypothèse d’une origine interstellaire des briques élémentaires de la vie telles que les acides aminés, il est nécessaire de mettre en évidence un biais chiral, i.e. asymétrique, auquel ces acides aminés auraient été exposés durant leur voyage vers la terre primitive et qui aurait pu induire un excès énantiomérique notable.
 
C’est cette piste qui a été suivie suivi depuis une dizaine d’année avec le Rayonnement synchrotron , des lignes SU5 (LURE) puis DESIRS à SOLEIL : elles permettent de produire grâce à leur onduleur exotique, tout type de polarisation et notamment des polarisations circulaires gauche et droite quasi-parfaites et calibrées (cf fait marquant polarimétrie DESIRS 2008) et ainsi de simuler en laboratoire le rayonnement VUV inter/circumstellaire.

Des résultats spectaculaires viennt de voir le jour dans le cadre de l’expérience pluridisciplinaire Chiral MICMOC (Matière Interstellaire et Cométaire, Molécules Organiques Complexes) sur la photo-chirogénèse directe.(6)

En effet la détection d’excès énantiomériques sur l’alanine (l’acide aminé chiral protéique le plus simple) avec des valeurs compatibles à celles mesurées dans les météorites constitue un résultat majeur dans la compréhension d’une possible source d’asymétrie dans la matière organique considérée comme prébiotique dans un cadre astrophysique.

Bien que la détection ait été réalisée au niveau de la nanomole, toute contamination terrestre lors de la fabrication, l’extraction, l’hydrolyse acide et finalement l’analyse des échantillons est exclue grâce à l’utilisation de molécules initiales marquées en carbone 13. La validité de l’expérience réalisée provient du fait que le changement d’hélicité des photons utilisés inverse comme attendu le signe de l’excès énantiomérique mesuré et que l’utilisation de lumière polarisée linéairement a produit un échantillon strictement racémique (L = D).


Ce résultat d’une expérience de physique de laboratoire utilisant des paramètres expérimentaux compatibles avec les conditions rencontrées dans certains milieux astrophysiques pourrait valider l’hypothèse selon laquelle l’origine de l’homochiralité de la vie, intimement liée à l’origine de la vie elle-même, procède d’une origine physique déterministe.

Tous ces résultats, qui ont le mérite d’exister, montrent que le débat est loin d’être clos, puisqu’il passionne encore beaucoup de chercheurs et demande encore beaucoup de réponses. Reste maintenant à comprendre le détail de la photochimie asymétrique à l’œuvre dans ces expériences, au-delà de l’observation du transfert de chiralité des photons vers les molécules. De nouvelles manips en perspective …

 
(1) W. A. Bonner “Origins of chiral homogeneity in nature” In  Topics in Stereochemistry, vol.18 ; E.L. Eliel, S.H. Wilen Eds. ; 1987, p. 1-96.
(2) www.cnrs.fr/Cnrspresse/n386/html/n386a11.htm
(3) B.L. Feringa, Science, 2001, 292, 2021-2022
(4) J.M. Ribó, et coll. Science, 2001, 292, 2063-2065
(5) www.ast.cam.ac.uk/AAO/local/www/jab/astrobiology/murchison.html
(6)Article en cours de parution : P. de Marcellus, C. Meinert, M. Nuevo, J.-J. Filippi, G. Danger, D. Deboffle, L. Nahon, L. Le Sergeant d'Hendecourt, and U. J. Meierhenrich, "Photon-induced enantiomeric excesses in initially achiral solid-state interstellar molecules," Astrophysical Journal letters 727, L27 (2011).
http://www.synchrotron-soleil.fr/Soleil/ToutesActualites/2011/MICMOC

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