Les gènes de la migraine n’ont pas livré leur secret

par Bernard Dugué
vendredi 24 juin 2011

La presse évoque depuis quelques jours une découverte génétique portant sur la migraine, pathologie courante qui, sans altérer la vitalité, n’en reste pas moins invalidante par les maux de tête qu’elle occasionne. L’étude qui vient d’être publié a consisté à identifier des différences génétiques en analysant le génome de personnes atteintes ou non par les crises de migraine et plus spécifiquement les femmes. Si on lit les communiqués, on apprend que trois gènes seraient liés à cette pathologie, plus précisément les gènes LRP1, TRPM8 et PRDM16. Présentés de cette manière, ces résultats laissent penser à une altération des séquences géniques concernées, à l’instar des oncogènes dont une seule mutation peut constituer un facteur cancérigène, ou alors du gène de la dystrophine qui, s’il est altéré, produit une protéine tronquée causant les myopathies de Duchenne et de Becker. En fait, les différences génétiques ne mettent pas en évidence des altérations sur les gènes mais sur des séquences d’ADN non codantes.

 

Cette vaste étude a mobilisé plusieurs instituts de recherche médicale, à Harvard et dans des centres européens, au Pays-Bas, en Allemagne, en Finlande, en France. 23 000 personnes ont été ciblées, dont 5000 souffrent de migraines. Les analyses génétiques ont permis de déceler trois domaines porteurs de mutation statistiquement significatives car corrélées aux affections migraineuses. Plus précisément, ce sont 7 mutations de type SNP qui ont été identifiées dont trois ont été confirmées par les études complémentaires menées en Europe. SNP est l’abréviation de single nucleotide polymorphism, autrement dit, une variation de séquence portant sur une seule base. Cette altération apparemment banale peut avoir des conséquences importantes si elle concerne une partie codante du gène ; auquel cas, elle produit un changement d’acide aminé et donc, modifie la protéine traduite. Si la mutation porte sur un codon de terminaison, la transcription du gène n’est pas arrêtée et se poursuit pour produire un ARN aberrant. Parfois, une mutation simple peut être silencieuse lorsqu’elle porte sur une base en troisième position d’un codon. Sinon, les SNP peuvent également affecter les parties non codantes du gène (introns) ou bien des séquences intergéniques. Les conséquences ne sont pas anodines car l’épissage de l’ARN transcrit peut être affecté, tout comme la liaison de facteurs régulateurs sur les séquences intergéniques.

 

Les trois SNP corrélées à la migraine ne sont pas situées sur des séquences codantes, ce qui n’altère pas la structure des protéines produites par les gènes concernés. Une des mutations est située en amont du gène TRPM8 et donc, dans une séquence intergénique, alors que les deux autres se situent chacune au niveau du premier intro des gènes PRDM16 et LRP1. Ce qui signifie dans le premier cas qu’une régulation génique altérée pourrait être envisagée et que dans les deux autres cas, la mutation dans une séquence d’intron serait susceptible d’altérer l’épissage, ce qui ne modifie pas la structure finale des protéines mais leur quantités relatives traduites après l’épissage. Au final, ces résultats semblent fournir des marqueurs génétiques indiquant une tendance à la migraine mais ne donnent aucune indication sur les mécanismes moléculaire et génétiques produisant cette pathologie. Le gène TRPM8 est en ligne de mire puisqu’il code pour un canal ionique et se trouve impliqué dans les transmissions synaptiques tout en étant lié à la sensibilité au froid et à la douleur. Le gène LPR1 code pour un récepteur des apolipoprotéines, lesquelles transportent le cholestérol nécessaire au fonctionnement des neurones. Par ailleurs, il intervient en modulant la transmission synaptique ; enfin, des études soupçonnent ce gène d’être responsable en partie de la maladie d’Alzheimer. Quant au troisième gène impliqué, son rôle n’est pas clair. On sait simplement qu’il intervient dans la croissance des cellules adipeuses. On ne peut donc rien conclure de précis sur les mécanismes moléculaires de la migraine mais s’interroger sur l’étrangeté de ces analyses mettant en relation une pathologie invalidante avec trois petites mutations. C’est comme si une pièce de Shakespeare produisait une émotion différente consécutivement à trois coquilles dans le texte. Décidemment, le langage des gènes reste bien mystérieux et n’a pas encore trouvé son Champollion. Et puis comment interpréter ces corrélations entre la migraine et seulement trois mutations à un endroit précis ? Est-ce la bonne piste ou bien un artefact ? La recherche pose plus de questions qu’elle n’en résout. 



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