Les huîtres meurent, que dit la science ?
par Bernard Dugué
lundi 14 juillet 2008
Les ostréiculteurs sont inquiets, les jeunes huîtres meurent par millions dans les parcs. Pour le consommateur, aucune conséquence pour cette année mais plus tard ? Par-delà les conséquences redoutables pour la profession et ennuyeuses pour les amateurs de ce fin mollusque, le phénomène, de part sa singularité, suscite des interrogations d’ordre scientifique.
Un court rappel. L’huître française est cultivée un peu en Méditerranée et beaucoup sur la façade atlantique, d’Arcachon jusqu’en Bretagne, ce qui fait de la France le quatrième producteur mondial et le premier européen. La fulgurance de cette hécatombe a surpris plus d’un professionnel, rappelant un épisode ancien et douloureux de l’histoire des huîtres. Cette belle aventure a commencé en 1868, quand le Morlaisien, navire chargé d’huîtres portugaises, mis en difficulté par la tempête, dut se réfugier dans l’estuaire de la Gironde. Mais les huîtres commençant à sentir, il déversa son chargement en mer et loin de mourir, les huîtres portugaises se reproduirent si bien qu’elles furent utilisées par les ostréiculteurs. Dans les années 1960, des dizaines de milliers de tonnes furent produites. La portugaise fut accusée d’avoir participé au déclin de la gravette, huître plate autochtone du bassin, attaquée entre autres par des agents infectieux. Quant à la portugaise, elle fut décimée par un mystérieux fléau que les scientifiques pensent être un virus. En 1965 fut introduite une huître du pacifique par un ostréiculteur de La Tremblade. Cette huître japonaise était touchée par des maladies des branchies. D’où crainte et interdiction en 1967, levée en 1969. Alors que l’huître portugaise disparaît du bassin d’Arcachon, l’implantation de naissains provenant de Vancouver est un succès incontestable et en 1971, ce sont les huîtres provenant du Portugal et d’Espagne que l’on interdit pour éviter de contaminer la nouvelle espèce dont le succès sera incontestable. Sauf que depuis une décennie et demis, des signes de maladies, stress et fragilité apparaissent. Et chaque année, une proportion conséquente de jeunes huîtres meurt. L’IFREMER fixe le seuil d’alerte à 15 %
Le seuil d’alerte est largement dépassé. L’épizootie constatée depuis les dernières grandes marées touche de 50 à 100 % des jeunes huîtres dans les exploitations. D’où le spectre de 1970 qui inquiète. Mais le plus surprenant, c’est la simultanéité avec laquelle cette épizootie s’est produite. Elle touche les huîtres de l’étang de Thau, et de toute la façade atlantique, le bassin d’Arcachon étant épargné on ne sait pourquoi. Et même aux Pays-Bas, le phénomène se fait sentir. Cette synchronicité soulève une interrogation scientifique. Pour expliquer les morts d’huîtres, le stress est invoqué, stress lié à la reproduction mais aussi à la température qui, si elle dépasse les 19 degrés, aggrave semble-t-il la mortalité, liée à des parasites mais aussi des facteurs viraux. C’est ce qui s’est produit les années précédentes. Une mortalité qui se propage du Sud au Nord et qui s’explique par la température qui commence à atteindre le seuil fatidique au Sud, pour s’étendre plus au Nord. Mais cette année, le phénomène est simultané. Les huîtres sont décimées par un mal que les analystes peinent à cerner. Pas de germes spéciaux détectés, pas de présence de cette calamiteuse bactérie décimant les huîtres creuses de l’Ouest américain. La seule hypothèse reste le virus ou alors un agent bactérien pas encore détectés.
Dans le cas d’un virus, le phénomène synchrone n’est pas sans rappeler d’autres explosions virales simultanées, par exemple les virus du Sida ou Ebola, avec en 1976, une épidémie survenant la même semaine au Soudan et au Zaïre (Dr Strub, communication personnelle). Quelle que soit la cause, l’huître cultivée montre sa grande fragilité et quelque part, la Nature nous offre un saisissant paradoxe. Alors que de jeunes huîtres sont décimées par millions, les huîtres matures croissent avec une vitalité exceptionnelle pas très loin des lieux où d’autres se meurent. Rien à voir avec les mollusques mais force est de constater la puissance de cette Nature exubérante, ces arbres au feuillage foisonnant, ces palmiers qui poussant intempestivement dans les jardins. Les hibiscus, les géraniums, les pensées, un feu d’artifice floral sublime. Autant dire que la mort de ces huîtres recèle une énigme, comme d’ailleurs ce qui arriva en 1970 à l’huître portugaise. Les scientifiques reconnaissent que dans trois cas sur quatre, les épizooties touchant les huîtres ne sont pas élucidées. La leçon à retenir est qu’il nous fait rester humble avec la Nature dont les processus sont loin d’être élucidés.
Une chose est sûre, l’huître cultivée est un modèle montrant les fragilités de la nature, surtout quand celle-ci est manipulée par l’homme. Transplantez un palmier en plein mois d’août ou en janvier, vous verrez le résultat. Cette hécatombe des mollusques, si elle repose sur un virus, n’en recèle pas moins un mystère. Le plus certain étant le facteur environnant, le stress. Quant aux virus, ils semblent défier l’intelligence scientifique. Qu’ils infectent les hommes, les animaux, supérieurs comme les mammifères, ou bien les mollusques. Une étrange interrogation. Les virus sont-ils aussi virulents dans un monde naturel où l’homme intervient peu par exemple, celui de la jungle ? On a trouvé des alligators porteurs du virus du Nil occidental. Mais c’est dans une zone où l’homme est présent. Le virus est une énigme dont la compréhension viendra sans doute du prochain paradigme en biologie et en science de l’évolution. Pour l’instant, des hypothèses. Ces morts d’huîtres ne sont-elles pas interprétables comme un suicide naturel. Si oui pourquoi, et quel rôle les virus, signaux de mort insérés dans un code du vivant ? Y a-t-il une mort calculée à l’échelle d’un organisme comme il y a l’apoptose, la mort cellulaire dite programmée ? Quelques failles dans le principe de la sélection naturelle ? Que d’interrogations pour ceux qui ont vraiment l’esprit scientifique !
Les faits deviennent pertinents à un stade de l’évolution de la pensée. Le tremblement de Lisbonne de 1756 a été compris comme une évidence de l’absence de Dieu, alors qu’il y eut des tas de catastrophes auparavant. Sans préjuger du sort de ces bébés huîtres à venir, au vu du tableau présent, on peut soupçonner quelques faits nécessitant un nouveau paradigme, qui du reste se fait attendre depuis des décennies. En 1970, la disparition des portugaises reste une énigme, avec tant d’autres. La mortalité massive des huîtres est récurrente. C’est un peu comme un meurtrier en série que l’on n’a pas pu identifier et coffrer, il peut revenir. Espérons et souhaitons que l’ostréiculture puisse prospérer mais attention, l’alerte de ces jours est sérieuse. La Nature décidera c’est certain. La main de l’homme s’avère impuissante mais son intelligence peut quand même tenter de comprendre ces phénomènes assez inattendus que l’on constate, de Thau aux Pays-Bas en passant par la Bretagne et les Charente.