Les origines de la vie
par Bernard Dugué
mardi 20 mai 2008
Dans le cadre des conférences culturelles de Bordeaux 1, le chimiste Robert Pascal a présenté quelques hypothèses sur les origines de la vie d’un point de vue moléculaire. La présentation du sujet fut un peu poussive à mon goût, surtout les généralités du début. En fait, l’intérêt d’une conférence est toujours relatif, lié à chaque auditeur, à la qualité oratoire de l’intervenant et à la nature du sujet. La question des origines de la vie est en fait un sujet plombé. Ne serait-ce que par l’absence d’une vision claire de ce qu’était la terre il y a deux ou trois milliards, quand la vie était censée émerger sur notre planète. La question des origines de la vie relève plus de la spéculation et de la science-fiction que de l’expérimentation en tube à essai. La vie telle que les chimistes la comprennent est liée à la présence de molécules, identifiées et de mécanismes moléculaires, eux aussi identifiés. La chimie organique est basée sur le carbone, pièce atomique fondamentale du squelette moléculaire. Puis l’oxygène, élément indispensable, surtout pour les conversions énergétiques dans les réactions moléculaires. L’oxygène est à la vie ce que le pétrole est à l’automobile. C’est donc un premier diagramme représentant le taux d’oxygène sur la planète terre que nous a présenté Pascal. L’oxygène est censé accompagner le développement de la vie. Aux origines, il n’y avait pas assez d’oxygène, mais, grâce à la photosynthèse, cette molécule s’est répandue dans l’atmosphère, permettant à la vie aérobie de se développer alors qu’une vie anaérobie est tout à fait possible puisqu’elle est à la base, par exemple, de la fermentation et, grâce aux levures, le sucre du raisin est transformé en alcool, pour le plus grand plaisir des gourmets ou des fêtards.
Le plus intéressant à retenir de cette conférence, c’est la notion de chimie prébiotique. Ce trait fondamental a été subtilement amené par Pascal. La chimie prébiotique concerne les molécules présentes dans le vivant, mais sans qu’il y ait la moindre vie. Cette chimie est facile à reproduire dans un tube à essai et, pour cause, car on sait quelles sont les molécules élémentaires du vivant. Et d’ailleurs, la plus célèbre des expériences de ce genre a consisté à produire des molécules prébiotiques comme les acides aminés à partir d’une « soupe originelle » bricolée par un certain Miller. Une expérience anodine, mais qui suscita des milliers de pages de commentaires.
Cette expérience illustre une alternative quant aux origines prébiotiques de la vie. Cela concerne le comment de la fabrication des molécules organiques. Deux options ont été présentées. Celle conçue en prenant appui autour de l’expérience de Miller. Une chimie prébiotique dite (avec un abus sémantique) hétérotrophe, basée sur des de matériaux abiotiques provenant d’une source externe. NH3… Ou bien la chimie prébiotique dite autotrophe, organisée autour des sources minérales de matière, CO2, H2O, dans les environnements hydrothermaux, c’est-à-dire au fond des océans, là où se conjuguent des pressions et des températures élevées, ce qui accélère la production de molécules. C’est disons le stade du lego moléculaire. La chimie des origines essaie de comprendre comment sont apparues les molécules et tente de contribuer à la grande question. Comment on passe de la chimie prébiotique à la vie.
Les briques, acides aminés, bases, puis les petits assemblages, nucléotides, puis les gros assemblages, acides nucléiques, protéines. Cela paraît si simple puisque la biologie analytique a trouvé les éléments du vivant en décomposant les cellules. Mais le simple conduit à l’incompréhensible. On ne sait pas comment tout cela s’est assemblé en un ordre fonctionnel. La grande énigme, c’est cette boîte noire entre le prébiotique, qu’on peut concevoir chimiquement, et la vie, l’ancêtre commun de toutes les espèces, issues de l’évolution et la sélection. Pascal a présenté trois hypothèses, le hasard, l’ordre créant de l’ordre, le chaos créant de l’ordre. Aucune ne me paraît satisfaisante bien que la troisième soit à mes yeux la moins éloignée de la réalité. Pascal a évoqué une force motrice du vivant permettant d’expliquer la transition entre la chimie prébiotique et la vie, cette fameuse boîte noire. Cela rappelle l’élan vital, une idée à la Bergson, traduisant le dénuement conceptuel des scientifiques en quête d’une vie dont, du reste, ils ne comprennent pas l’essence tout en ignorant quelques principes métaphysiques et métabiologiques indispensables pour accéder au mystère des origines.
Les origines de la vie, ce n’est qu’un slogan attractif, mais pas un programme de recherche. Un prétexte servant de valorisation à quelques chercheurs et autres conférenciers bien placés dans le système de la science officielle. Comment le leur reprocher. Ils n’ont pas accès à un savoir métaphysique, transversal et universel leur permettant de franchir des pas supplémentaires dans le domaine des explications. Cette boîte noire séparant la chimie prébiotique de la vie, c’est un gouffre épistémologique du même ordre que celui qui sépare la physique classique de la mécanique quantique. Entrer dans l’essence de la vie, c’est accomplir un saut quantique et radical. C’est affronter un défi intellectuel en laissant tomber les béquilles de la science mécaniste. Bien peu sont au niveau de connaissance et de réflexion pour accomplir ce grand saut qui ne donnera pas forcément la réponse ultime. Mais du moins, une étape importante aura été franchie pour cette science du vivant qui en est encore au stade de la physique de Galilée.