Logiciel libre : la grande illusion

par Méric de Saint-Cyr
mercredi 19 avril 2006

Vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, développer tout un argumentaire subtil, lister un grand nombre de justifications, vous ne parviendrez jamais à faire croire que l’open source, en français « logiciel libre », soit autre chose qu’un mythe, une utopie déconnectée de la réalité humaine.

Les hommes sont des hommes, et ce qui caractérise l’humanité, caractéristique partagée avec le reste du monde vivant, c’est que chaque individu lutte pour sa survie. Sauf à prendre appui sur des convictions religieuses et à défendre des valeurs idéales telles que la charité et le don de soi, personne de sensé ne peut croire que la « communauté des développeurs du logiciel libre » soit une association philanthropique dont le seul but serait le plaisir de développer gratuitement des logiciels pour « la beauté du geste » et le « bonheur de l’humanité ».

Rappelons brièvement ce qu’est supposé être le logiciel libre.

Officiellement et théoriquement, un logiciel libre est un logiciel fourni avec son code source, faisant appel à une licence dont les termes permettent légalement la copie, la revente ou la diffusion sans bénéfice. Cette licence interdit que des intérêts privés accaparent le logiciel libre et en fassent un produit « propriétaire ». Chacun est libre de modifier tout ou partie du code source du logiciel pour l’adapter à ses besoins, à condition que ces modifications soient à leur tour versées au domaine public.

C’est à cette utopie que les communicants de l’open source veulent nous faire croire.
Or, il nous faut très prosaïquement regarder la réalité en face : on ne peut pas verser dans le domaine public un travail qui aura requis des heures, des jours, de semaines, des mois de transpiration sans avoir, d’une manière ou d’une autre, la ferme intention d’en tirer un profit, que ce soit à brève ou à longue échéance.

Pourquoi un développeur devrait-il s’intéresser gratuitement à un projet de développement open source ?

Théoriquement...

Théoriquement, la participation à un projet open source consiste à publier les bases dudit projet, le plus souvent sur Internet. Cela peut être un logiciel ou un embryon de logiciel, avec son code source. Puis, on lance un appel à tous les développeurs du monde intéressés par le produit, pour y ajouter des fonctions, en améliorer le code, le traduire, consolider, porter sur différents systèmes d’exploitation, etc.

Théoriquement les développeurs postent leurs contributions, lesquelles sont, toujours théoriquement, analysées, déboguées, par l’ensemble de la communauté qui travaille sur le logiciel.

Théoriquement le logiciel libre est durable, car aucune société commerciale ne peut en suspendre le développement. Le code source étant toujours disponible, il est toujours possible de le faire évoluer, théoriquement...

Théoriquement encore, le logiciel libre est performant, fiable, puisque la communauté participe en permanence à son amélioration, à la correction des bogues, à sa protection contre les virus, etc.

En pratique la réalité est tout autre...

Lors d’un colloque sur la question, on a avancé que pour qu’un logiciel libre soit un projet viable, il lui fallait compter sur la participation au minimum d’une cinquantaine de développeurs bénévoles, dont au moins une dizaine de très bon niveau. Bref, soyons clairs et surtout réalistes : ni vous ni moi ne pouvons mettre le nez dans des millions de lignes de code en nous disant « moi aussi je vais contribuer » !

Il faut avoir le niveau, il faut avoir la pratique, et il faut avoir du temps... Et comme le principe du développement de l’open source implique que l’on ne puisse tirer aucun revenu de sa prestation, il faut fondamentalement avoir une super motivation (et ne pas avoir besoin de travailler pour vivre)...

Le fun, l’amour du code optimisé, le plaisir, c’est une légende ! Les vrais développeurs, qui travaillent vraiment à l’amélioration des codes des logiciels libres, le font parce qu’ils sont payés pour le faire. Très bien payés. Je ne nie pas qu’il y ait sans doute quelques bons amateurs qui bricolent de temps en temps pour améliorer ou corriger des petites fonctions. Mais la grande majorité des développeurs du logiciel libre sont des professionnels, qui touchent un salaire.

La vérité, c’est que ce sont de très grandes sociétés, comme IBM, qui ont fait la promotion du logiciel libre, tout en restant très discrètes. Elles ont investi des sommes considérables, plusieurs millions de dollars, pour développer et diffuser l’open source. Qui peut croire que ces sommes ont été investies pour en faire « cadeau » ? Le but était évidemment de briser le monopole de Microsoft, en mettant sur le marché des logiciels gratuits capables de rivaliser avec des logiciels hégémonistes comme Explorer, Word ou Excel. Et reconnaissons qu’il y a de belles réussites avec les logiciels Internet, comme Apache, Linux, Sendmail, qui sont les grosses vedettes du logiciel libre soutenues par des milliers de développeurs. Mais à côté de ces quelques exceptions, il y a aussi une masse énorme de logiciels libres qui dorment, faute d’investisseurs pour financer leur amélioration et leur promotion.

Il importe donc de bien saisir la portée des clefs suivantes :

- Un logiciel libre ne peut attirer des développeurs que si ceux-ci y trouvent leur intérêt.
- Un logiciel libre ne peut présenter un intérêt pour un nombre suffisant de développeurs que si les fonctions offertes par ledit logiciel sont réellement utiles.
- L’utilité ne suffit pas. Pour qu’un logiciel libre et utile soit viable, il faut aussi qu’il soit utilisable, c’est-à-dire qu’il dispose d’une interface intuitive, intelligente et ergonomique. Or il se trouve que, bien souvent, les développeurs développent d’abord pour eux-mêmes, et ne se posent pas trop la question de savoir quelles seront les difficultés éprouvées par un utilisateur béotien.
- Un logiciel libre qui s’éloigne des standards a peu de chances de survivre.
- Échanger des fichiers implique aussi que des formats universels non propriétaires puissent être utilisés ; en plus du logiciel, il faut donc concevoir des passerelles, des modules de conversion, afin que tel logiciel puisse ouvrir le fichier produit par tel autre. Qui va les développer ?
- Un logiciel gratuit ne génère pas de profit. Cela a pour conséquence une dichotomie : il y a bien une version gratuite en open source, utile mais peu utilisable. Si vous voulez une version utilisable et confortable, il faudra payer. Et il faudra payer d’autant plus cher qu’on souhaitera des fonctionnalités précises. Et du coup, on saute du logiciel libre au logiciel sur mesure, qui est ce qu’il y a de plus cher !

Le logiciel 100% libre, 100% utile et 100% utilisable n’existe pas. Et je pense qu’il n’est pas près d’exister.


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