Lyon-Turin, le grand Bluff !

par olivier cabanel
mardi 10 mars 2015

L’expression émane d’un député, Dominique Dord, qui a longtemps défendu ce projet pharaonique, avant de changer d’avis, après avoir écouté les arguments des associations d’opposants, arguments qui ont été confirmés par la Cour des Comptes

Le projet ferroviaire Lyon-Turin est, avec son cout de près de 30 milliards d’euros, le plus pharaonique et le plus inutile de tous les projets d’infrastructure actuels, bien loin de NDDL, ou de Sievens, et pourtant, il est encore mal connu.

En effet, la CADS (Coordination Ain Dauphiné Savoie) avait écrit à la Cour des Comptes un certain 10 décembre 2010, décrivant toutes les contre-vérités qui avaient permis de valider ce projet : cout sous-estimé (25 milliards d’euros (au minimum) au lieu des 12 annoncés), fréquentation des voyageurs surestimée de plus d’un million de voyageurs, augmentation du trafic fret totalement illusoire, celui-ci étant en moyenne de 10 millions de tonnes depuis 20 ans, la ligne actuelle reliant Lyon à Turin n’étant utilisée qu’à 18% de ses capacités, et surtout, projet alternatif totalement ignoré, qui rendrait les mêmes services pour bien moins cher. lien

La CADS dénonçait aussi un gros mensonge : le projet Lyon-Turin, ne va pas à Lyon… il s’arrête à Satolas, à une bonne demie heure de la capitale rhônalpine, sans liaison ferrée à ce jour, ce qui rend les 40 minutes que les promoteurs du projet disaient gagnées entre Lyon et Turin totalement illusoires.

Le projet alternatif défendu par la CADS passe par la transformation de l’existant, nécessaire de toute façon, en s’inspirant des techniques mises en place en Autriche, à l’entrée du tunnel du Brenner, et ayant fait l’occasion d’une étude au bord du lac du Bourget, menée par un ingénieur, Michel Martin pour ne pas le nommer, enlevant toutes les nuisances liées à l’activité ferroviaire. lien

Cette alternative passe aussi par le déploiement du nouveau concept de fret ferroviaire, R-Shift-R, validé par le Prédit comme meilleur projet d’avenir en matière de fret. vidéo

Ce concept permet de charger et décharger les marchandises en moins de 6 minutes, de rouler à 130 km/h, et surtout de franchir des pentes de plus de 3%, (ce qui est le cas de la ligne actuelle), ces trois conditions étant la garantie de la réussite du fret ferroviaire.

Cette double alternative, (repenser l’infrastructure et autre mode d’exploitation) porté par la CADS, couterait entre 3 fois et 5 fois moins cher que le projet actuel, tout en rendant les mêmes services, avec l’avantage supplémentaire de dynamiser le trafic TER

Il est en effet illusoire de croire que la ligne actuelle, seulement rénovée, pourrait être attractive, et inciter les transporteurs à quitter la route pour le rail, preuve en est que l’AFA, (Autoroute Ferroviaire Alpine) fonctionnant depuis 2003, longue de 175 km, reliant la France à l’Italie,  utilisant la technologie Modalohr, ne tient qu’à l’aide de subventions (7Millions d’€) ce que dénonce aussi la Cour des Comptes. lien (page 392)

18 mois après la réception de la lettre des opposants, la Cour des Comptes se fendait d’un rapport qui confirmait les arguments de la CADS, et demandait au gouvernement de ne pas faire ce projet, mais de moderniser l’existant.

En pure perte, puisque, comme on l’a vu, François Hollande vient de valider officiellement ce projet… sauf que, comme l’explique Dominique Dord, ex trésorier de l’UMP, les comptes ne sont pas bons.

En effet, très lucidement, il rappelle avec humour qu’il manquerait « quelques milliards » pour financer le projet dans son ensemble.

Se basant sur le rapport de la Cour des Comptes, qui a évalué le projet à 25 milliards, alors que le seul tunnel de base en couterait 10, il remarque que l’Italie et la France seraient prêtes à s’engager à hauteur de 1,8 milliard…et que l’Europe ne pourrait aller au-delà de 1,2 milliard.

Sans être expert en calcul, on voit bien qu’il manque au moins 22 milliards, d’autant qu’on sait que ce type de chantier voit toujours le budget initial exploser, à l’image du tunnel sous la Manche, ou de l’EPR de Flamanville, dont les couts réels ont étés multipliés par 3. lien

Areva, quasi en faillite est en train d’en tirer les dures conséquences. lien

Or, rappelle le député, l’article 16 du traité conclu entre tous les protagonistes prévoit « que les travaux ne pourront pas être engagés tant que la totalité du financement ne sera pas actée », ce qui semble le bon sens commente Dominique Dord.

Le député contestataire conclut avec un certain humour : « j’attends avec impatience la prochaine communication sur le Lyon-Turin qui nous annoncera que le dossier est engagé. De manière irréversible…comme d’habitude ». lien

Un autre scandale, c’est le sort réservé à l’écrivain Erri de Luca, farouche opposant au Lyon Turin, et à qui il est reproché lors d’une interview au Huffington Post d’avoir « incité au sabotage », (lien) sauf que l’écrivain dénonce l’amalgame qu’en fait la justice.

Il explique que le sens du mot « saboter » ne se réduit pas à « une détérioration physique » et il prend exemple d’une grève de type sauvage qui « sabote la production d’un établissement ou d’un service », ou d’un soldat qui exécutant mal un ordre le sabote, ou encore d’un parlementaire qui, en multipliant les amendements d’un texte, le sabote en quelque sorte.

Il dénonce donc les juges qui veulent limiter le sens du mot sabotage (lien) et on peut signer la pétition qui le soutient sur ce lien.

On peut aussi s’étonner du peu de mobilisation en France : alors que nos voisins italiens se comptent par dizaine de milliers à chacune de leurs manifestations, en France, il faut remonter aux années 90 pour découvrir des manifestations qui aient pu mobiliser quelques milliers de manifestants.

Pourtant, dès l’annonce du projet, en 1991, des dizaines d’associations s’étaient créées, se regroupant au sein de 3 coordinations, l’une dans la banlieue lyonnaise, l’autre dans l’avant pays savoyard, et la troisième en Nord Isère, coordinations qui finalement se concentreront en une seule, la CADS (Coordination Ain Dauphiné Savoie).

Elle va obtenir en 1997 une expertise indépendante, financée par la Région Rhône-Alpes, qui va mettre en évidence que le bien fondé du projet n’est pas prouvé, les experts estimant que les chiffres avancés par les promoteurs du projet étaient, soit contradictoires, soit faux, ce qui permit à la CADS d’exiger l’abandon du projet, pour lui substituer un projet de fret ferroviaire. lien

La réponse des politiques fut étonnante : à la quasi unanimité, ils décidèrent un projet fret… tout en conservant le projet TGV…ce qui multiplia par 2 les nuisances, puisque la pente des 2 projets était différente, le fret ne pouvant accepter une pente de plus d’1%, alors que les TGV en avaient une de 3%.

La CADS va aussi être l’une des instances fondatrices de la « Charte d’Hendaye » en 2010, qui va regrouper toutes les associations se battant contre les projets inutiles. lien

À partir de là, les gouvernements qui se sont suivis ont abandonné le projet, ou l’ont remis en selle, au grès de chaque nouvelle présidence…les années passant virent la mobilisation baisser, et si aujourd’hui elle perdure, elle est divisée, ce qui l’affaiblit encore.

En effet, un collectif d’opposants, situé autour de Chambéry, plaide pour l’abandon pur et simple du projet, réclamant l’utilisation et la modernisation de l’existant, mais sans entrer dans le détail des modalités de cette utilisation.

La CADS propose la transformation de l’existant en profondeur, se basant sur ce qui s’est fait en Autriche, à l’entrée du Brenner, transformation qui supprime la quasi-totalité des nuisances, et l’utilisation de R-Shift-R.

En effet, la CADS dénonce l’incohérence qu’il y a à prôner l’utilisation de l’existant, sans une transformation en profondeur de la ligne actuelle, afin de respecter l’environnement des riverains qui verraient une explosion du trafic, avec les conséquences que l’on imagine.

Elle considère qu’il est peu réaliste de demander aux camions de se mettre sur le rail, sans proposer le concept R-Shift-R, concept innovant, financièrement soutenable pour la collectivité, et réellement attractif pour les transporteurs, ce qui permettrait à un maire d’interdire aux poids lourds la traversée de son village, puisqu’il y aurait une double infrastructure.

Ajoutons pour la bonne bouche que le projet Lyon Turin fait l’objet d’une enquête de l’OLAF (Office Anti-fraude Européen », à la suite d’une saisine effectuée par Michèle Rivasi et Karima Delli, députées européennes toutes deux. lien

Pourtant François Hollande, qui assure à l’Europe que son budget sera tenu semble décider à engager ce projet de 30 milliards

L’Europe va-t-elle l’encourager dans ce choix, alors que des députés européens demandent l’abandon du projet ?

Laurens Jan Brinkhorst, commissaire européen, dans son rapport d’activité, actait en mai 2014 que la ligne existante devienne l’axe ferroviaire principal, aux dépens de la ligne nouvelle. lien

Le député vert Michael Kramer président de la commission des transports, assure que le financement européen n’est pas acquis. lien

En novembre 2014, la commission européenne jugeait surdimensionné ce projet pharaonique et commençait un désengagement. lien

Comme dit mon vieil ami africain : « « dans ce monde, il y a les idiots sûrs d’eux et les sensés qui doutent  ».

L’image illustrant l’article vient de singleblackmale.org

Merci aux internautes pour leur aide précieuse

Olivier Cabanel

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