Magnifique désolation
par Surya
mercredi 15 juillet 2009
La Lune est un astre bien étrange. Elle tente de nous distraire et nous émerveiller en nous montrant chaque jour un aspect différent, mais on ne l’admire vraiment que lorsqu’elle est pleine. On dit alors qu’elle influence la nature et modifie les comportements humains.
La pleine Lune est le phare de la Terre, elle guide et rassure les animaux nocturnes, les promeneurs égarés et les marins perdus en mer. Depuis toujours, les hommes y ont vu toutes sortes de choses, réelles ou imaginaires, des mers, des volcans, des montagnes, et même un visage. Depuis toujours, la Lune a fasciné les hommes, au point qui n’ont eu de cesse de vouloir l’observer, aller à sa rencontre, et un jour, réaliser leur rêve d’y poser le pied…
Nous célébrons en juillet 2009 les quarante ans de la mission Apollo 11. C’est l’occasion pour beaucoup, sceptiques, optimistes, idéalistes ou désabusés, de se demander ce que la conquête spatiale a apporté à l’Humanité. Peut être faut-il remonter plus loin encore dans le temps pour vraiment le savoir ?
Comme pour toute connaissance scientifique, d’approximatives, les connaissances sur la Lune sont devenues, au fil des siècles derniers, de plus en plus précises. Elles sont en effet passées de l’état de fréquentes suppositions, parfois d’erreurs, à des observations scientifiques de plus en plus justes au fur et à mesure que s’amélioraient les instruments scientifiques, comme nous le montrent, dans la première partie de cet article, les extraits d’encyclopédies anciennes ci-dessous, consultées à l’entrée « Lune ».
La photographier et finalement y poser le pied permirent enfin à l’Homme de vraiment la connaître, mais aussi de mieux se connaître lui-même…
1751-1780. Encyclopédie Diderot et d’Alembert.
« [D. Jacques Alexandre] démontre par des observations astronomiques que la lune tourne autour de la terre, & non la terre autour de la lune. Ceux qui voudront voir ces preuves en détail peuvent consulter… »
« Il y a donc dans la lune des montagnes, des vallées et des mers. Il faut avouer cependant que d’autres astronomes ont prétendu qu’il n’y avoit (1) point de mers dans la lune… »
« La lune est entourée, selon plusieurs astronomes, d’un (1) atmosphère pesant et élastique, dans lequel les vapeurs et les exhalaisons s’élèvent pour retomber ensuite en forme de rosée ou de pluie. »
L’encyclopédie ayant pris parti pour l’existence de mers lunaires, s’ensuivent alors des conclusions sur l’existence d’iles au milieu de ces mers, puis de celle d’une « lune de la lune », qui éclairerait ses nuits, sur la présence de vents, de pluies, de brouillards, de gelées, de neige…
Et puisque « nous savons que la nature ne produit rien en vain […], pourquoi ne conclurions-nous pas qu’il y a des plantes et des animaux dans la lune ? »
1873. Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle. Larousse.
« Si on regarde la lune au télescope, on acquiert une nouvelle preuve que la lumière dont elle brille émane du soleil. »
« Si l’on en croit l’opinion généralement admise par les astronomes, la lune n’a pas d’atmosphère. »
« Les clairs de terre doivent être beaucoup plus lumineux que les clairs de lune, car la surface de la terre étant environ treize fois plus grande que celle de la lune, elle est capable de réfléchir treize fois plus de lumière. »
Et si l’on regarde la présentation qui est faite dans cette encyclopédie du célèbre roman de Cyrano de Bergerac (extrait) :
« LUNE (voyage dans la) par Cyrano de Bergerac (1649).
Cet ouvrage n’est point une fiction frivole et simplement amusante, comme le pourrait faire supposer le titre ; c’est au contraire un livre très sérieux et d’une certaine portée scientifique, qui n’a de conte ou du roman que la forme… »
1885-1902. La Grande Encyclopédie. Inventaire raisonné des Sciences, des Lettres et des Arts.
« [La distance entre la Terre et la Lune] serait parcourue par le son en près de quatorze jours. Un boulet de canon conservant sa vitesse initiale de 500 m par seconde arriverait à la Lune en huit jours. »
« Quant à la lumière, le plus rapide de tous les mobiles connus, elle arriverait à notre satellite en une seconde un quart environ. »
On note l’emploi répété du conditionnel.
« Quant à la nature des roches qui forment les différentes parties de la Lune, nous en sommes réduits à des hypothèses… »
« Les montagnes de la Lune, les cirques, les pitons que nous voyons sur le disque lunaire, sont d’origine volcanique, ainsi que le démontre leur parfaite analogie avec les montagnes de la Terre. […] Nous devons aussi nous demander si quelques uns de ces nombreux volcans que nous voyons à la surface de la Lune ne sont pas en activité. »
L’encyclopédie semble mettre en doute les affirmations catégoriques des astronomes sur l’absence d’atmosphère lunaire, citant par exemple H.W.Pickering, un astronome américain partisan de la présence d’une atmosphère, et n’hésite pas à avancer :
« S’il existe une atmosphère lunaire […] elle est plus rare que le vide donné par les meilleures machines pneumatiques. […] Si donc la Lune a des habitants, nous devons conclure que leur nature est absolument différente de la nôtre […]. »
« Le jour et la nuit sont donc pour les habitants de la Lune de 709 heures environ […]. Pendant les nuits lunaires, l’habitant de cet astre voit constamment la Terre sous la forme d’un disque lumineux […] La Terre est complètement inconnue aux habitants de l’hémisphère invisible et les nuits y sont d’une obscurité profonde […] Les astronomes de ces contrées ont donc 350 heures d’observations consécutives… »
Et pour finir, l’auteur, imaginant le paysage lunaire, évoque :
« L’habitant de la Terre, transporté subitement sur la Lune, verrait cet étrange spectacle : […] un ciel montrant des étoiles en plein jour, des lumières crues et des ombres épaisses, un silence éternel… »
L’image ci-dessus est tirée du film de Georges Méliès : Voyage Dans la Lune.
1960-1964. Encyclopédie Larousse en dix volumes. Volume de 1962.
« On peut considérer le mouvement complexe de la Lune comme très exactement connu de nos jours. »
« Observée avec les moyens optiques puissants, la surface de la Lune se présente sous l’aspect d’un sol prodigieusement convulsé et entièrement aride. »
« […] On dit aussi des cratères, mais cette appellation laisserait préjuger une origine volcanique tout à fait problématique. […] Il ne fait pas de doute aujourd’hui qu’un grand nombre de cirques ne sont que les points d’impact de très nombreuses météorites ayant rencontré la surface lunaire. »
« Les photographies de la face arrière de la Lune prises par le satellite artificiel ‘Lunik’ … »
L’emploi dans cette encyclopédie, de façon tout à fait naturel, de l’expression « satellite artificiel », montre que la conquête spatiale, démarrée a la fin des les années 50, est désormais devenue une évidence.
Car, « N’est-ce pas en effet un monde à conquérir que celui de la Lune, cet astre si voisin de nous, et qui semble comme un appendice, comme une miniature de la Terre ? »
Amédée Guillemin (1826-1893) La Lune.
« La Terre est le berceau de l’humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau. »
Constantin Tsiolkovski (1857-1935). Père de l’astronautique russe.
1969. Premiers pas sur la Lune. (2)
Kennedy hésita avant d’envoyer un homme sur la Lune. Cela valait-il la peine de dépenser autant d’argent ? Finalement il prit la décision et prononça le 12 septembre 1962 son discours historique : « We choose to go to the Moon »
Après la tragédie d’Apollo 1 dans laquelle périrent, lors d’un entraînement, Robert Chaffee, Gus Grissom et Ed White, s’ensuivirent quatre missions préparatoires habitées :
- Apollo 7, avec Walter Shirra, Walter Cunningham et Don Eisele.
- Apollo 8. Tour de la Lune décidé à la dernière minute (le LEM n’étant pas prêt pour les tests), et effectué par Frank Borman, Jim Lovell (plus tard sur Apollo 13, la mission échouée) et William Anders. La mission resta célèbre car le soir de Noël, les trois astronautes lurent aux Terriens des passages de la Bible.
- Apollo 9. Avec David Scott (voir la page de références de mon diaporama à la fin de l’article), John Mc Divitt et Rusty Schweickart. Le LEM est testé. La mission est un tel succès qu’on envisage même l’homme sur la Lune pour Apollo 10.
- Apollo 10. Avec John Young (premier Américain dans l’espace, après les essais d’Alan Shepard), Eugène Cernan, et Thomas Stafford. Stafford lui-même a refusé l’alunissage d’Apollo 10, pensant qu’il était prématuré. Le LEM d’A10, nommé « Snoopy », est donc testé aussi près que possible de la Lune, avant de retrouver le module de commande, « Charlie Brown ».
Cette course à la Lune fut une véritable course contre la montre. A la mi-juin 1969, alors que la fusée Saturn V était déjà positionnée sur le pas de tir 39A, la NASA ne savait toujours pas si tout serait prêt à temps pour le lancement d’Apollo 11, prévu le 16 juillet !
En mai, Jan Armstrong s’était inquiétée de la pâleur de son mari. « La pire période » raconta-t-elle plus tard « fut le début du mois de juin. Leur moral était bas. Ils s’inquiétaient de savoir s’ils auraient assez de temps pour apprendre tout ce qu’ils devaient savoir […] et si leur mission allait marcher. »
Une conférence téléphonique réunit le 12 juin les principaux responsables de la mission. Ils avaient bien conscience de l’entraînement harassant que l’on faisait subir aux trois astronautes d’Apollo 11, qui passaient entre dix et quinze heures par jour dans le simulateur. Le médecin avait même demandé un report de la mission, vu leur état de « fraîcheur »…
Jan Armstrong racontera ensuite comment elle vit son mari reprendre soudainement des couleurs quand la décision fut prise par Deke Slayton (Wikipedia en anglais) de ne pas reporter la mission, et de procéder quand même au lancement à la date prévue, le 16 juillet.
Vendredi 11 juillet 1969.
Derniers examens médicaux de grande envergure pour les trois astronautes de la mission Apollo 11 : Neil Armstrong, Edwin « Buzz » Aldrin (dont le nom de jeune fille de sa mère était Moon…) et Michael Collins, le pilote du module de commande, nommé Columbia en l’honneur de la Colombiad de Jules Verne.
A ce stade des préparatifs, n’importe quel pépin médical pouvait retarder le lancement : une simple rougeur dans le fond de la gorge, un léger mal d’oreille… Toutes les précautions devaient être prises. Ainsi, afin de limiter au maximum les éventuelles contaminations, les astronautes quittèrent rarement leur quartier général à partir du 4 juillet. La totalité du personnel en contact avec eux devait faire très attention à ne pas prendre froid. On avait été jusqu’à poser des murs spéciaux perforés dans la salle de conférence pour filtrer l’air. Le dîner prévu la veille du lancement avec le Président Nixon fut même annulé sur recommandation du médecin, de peur que le Président ne soit porteur d’un rhume sans le savoir...
Pendant l’examen médical, Michael Collins s’esclaffe : « Le docteur regarde à l’intérieur d’une des oreilles, et s’il ne voit pas à travers l’autre, on peut y aller. »
Mardi 15 juillet 1969.
Le 15 juillet, les astronautes passent la majeure journée à se reposer, mais s’entraînent tout de même un peu dans le simulateur.
Les environs de Cap Kennedy sont depuis longtemps pris d’assaut par une foule immense de curieux, de passionnés, de journalistes et de reporters, venus des quatre coins du monde. La Floride connait alors le pire embouteillage de toute son histoire. Les autoroutes menant au centre spatial sont en effet complètement saturées par des milliers de voitures, camions, motos, camping cars, stationnés sur plus de 50 kilomètres, et plus d’un million de personnes se sont rassemblées autour de Cap Kennedy pour assister au lancement, prévu le lendemain à 9 h 32 !
Le soir du 15, seuls les astronautes dorment. La fête bat son plein jusque tard dans la nuit dans les bars de la région, où les cocktails ont été rebaptisés pour l’occasion « Liftoff Martini » ou encore « Moonlander »… L’ambiance est électrique, et le suspens à son comble…
Et pendant ce temps, en cette nuit du 15 juillet 1969, baignée par l’intense lumière de nombreux projecteurs, la fusée géante Saturn V attend patiemment, sous une douce pluie d’été, qu’arrive enfin l’aube du lendemain…
Crédits : NASA. Image taille réelle.
Laissant volontairement de côté l’aspect politique de la conquête spatiale des années soixante et l’esprit de concurrence lié à la guerre froide (3), de même que les interrogations légitimes sur le bien fondé de telles dépenses dans une Amérique où sévit la pauvreté, pour nous concentrer uniquement sur son aspect positif, son aspect scientifique et humain, il faut voir la course à la Lune comme la suite logique des observations astronomiques qui l’ont précédée durant des siècles, en cela qu’elle a permis de confirmer des suppositions, corriger des erreurs, et ramener des échantillons de roches lunaires afin de connaître enfin avec certitude leur composition. Elle a permis de mieux connaître notre système solaire, donc qui nous sommes et d’où nous venons. La conquête de l’espace n’est d’ailleurs pas terminée et ne s’arrêtera pas, pas plus que ne s’étanchera la soif de nouvelles connaissances des êtres humains.
L’épopée de la conquête spatiale des années soixante, avec son apogée lors de la mission Apollo 11, restera une des plus extraordinaires aventures que l’Humanité ait partagée. Elle a démontré que nous sommes parfaitement capables, si nous le voulons, d’unir nos forces, notre ingéniosité, notre intelligence et notre enthousiasme dans un but commun
Il est étonnant de voir comment l’être humain est capable de montrer une telle unité lorsqu’il s’agit de dépasser les frontières de notre berceau terrestre et d’aller regarder plus loin. L’Humanité entière, ou presque, a suivi avec passion les premiers pas de l’Homme sur la Lune, et il suffit de voir comment la terre entière avait les yeux braqués en avril 1970 sur la mission Apollo 13 et s’angoissait pour les trois astronautes (Jim Lovell, Fred Haise et John Swigert) alors qu’ils tentaient de survivre et de ramener sur Terre leur vaisseau en perdition, pour s’en convaincre.
Nous sommes également capables de montrer une vraie solidarité, de dépasser nos différences et de nous unir lorsqu’une catastrophe terrestre, tel le tsunami de 2004, nous ébranle au sens propre et au sens figuré, mais la mission Apollo 11 a cela d’unique qu’elle nous a prouvé, et doit continuer à nous faire prendre conscience, que c’est la nature profonde de l’Humanité de ne faire qu’un, parce qu’en effet nous ne sommes qu’un, nous sommes tous des Terriens et simplement des Terriens, et probablement seuls dans l’immensité de l’univers.
La conquête spatiale nous a montré pour la première fois, vu de l’extérieur, le visage de notre planète, la seule que nous ayons, et si l’on envisage de partir dans les siècles et les millénaires à venir sur de nouveaux mondes, la Terre restera, quoi qu’il arrive, la plus belle planète que nous aurons jamais eue.
Après des siècles d’observations et de descriptions, c’est peut être Edwin Aldrin qui, par ses mots restés aussi célèbres que ceux de Neil Armstrong, deux mots tout simples mais qui ont tout dit, a le mieux dépeint la Lune lorsqu’il y posa le pied : « Magnificent desolation. »
Magnifique désolation.
Lorsque, pour la première fois, deux hommes ont posé le 20 juillet 1969 le pied sur cette magnifique désolation, à travers eux l’Humanité entière s’est vraiment rendue compte de notre unité, de notre solitude dans l’univers, mais aussi de l’extrême beauté de notre Terre, et de la nécessité de la préserver. Cette prise de conscience collective de la fragilité de notre existence justifie à elle seule tous les efforts déployés.
« Puissions nous orienter cette puissance de l’homme qui monte jusqu’aux étoiles vers le renforcement des liens de paix et de fraternité sur la terre. » Indira Gandhi.
Notes.
(1) L’orthographe de l’époque a été conservée.
(2) Cette partie a été rédigée à partir du livre First on the Moon. A voyage with Neil Armstrong, Michael Collins, Edwin E.Aldrin, écrit avec Gene Farmer. Little, Brown and Company, 1970.
(3) Rendons hommage aux astronautes, ingénieurs et techniciens soviétiques qui ont, jusqu’au bout, tenté le tout pour le tout pour demeurer dans la course à la Lune. Un hommage particulier pour l’ingénieur Sergueï Korolev, (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sergue...) injustement accusé par le régime stalinien, torturé et envoyé au goulag en 1938 avant d’être récupéré pour servir la recherche spatiale, puis décédé prématurément en 1966 au cours d’une opération chirurgicale.
Références du diaporama.
http://leblogdesurya.ifrance.com/40 ans Apollo 11/References.htm
Référence de chaque photo de mon diaporama, et nom de la personne ou de l’organisme ayant procédé au scan.
Mais également des vidéos et MP3 mis en liens.
Tous les documents photo, vidéo et mp3 utilisés dans mon diaporama et la page de références ont été trouvés sur cet excellent site http://www.apolloarchive.com/ . Ces documents sont la propriété de la NASA et sont dans le domaine public s’ils sont utilisés à des fins non commerciales.
Pour en savoir plus sur la politique de copyright de la NASA :
http://www.nasa.gov/audience/formedia/features/MP_Photo_Guidelines.html
Liens.
Sur le site de la NASA, un beau et impressionnant « vidéo-show » sur la mission Apollo 11. On trouve aussi sur cette page des photos, un panorama lunaire et une animation (en anglais).
Vidéo de 9.55 minutes sur Youtube (en anglais) pour revivre le lancement… comme si on y était ! 40 ans après, c’est toujours aussi impressionnant !
(Cette vidéo a également été placée sur ma page « Ressources » Voir plus bas.)
Mais aussi http://history.nasa.gov/
Et la commémoration des 40 ans d’A11 sur le site de la NASA.
Le génial site Apollo Archive, déjà cité ci-dessus. Des centaines de photos de toutes les missions Apollo, des vidéos, des mp3 et beaucoup d’autres choses encore…
Le site de la commémoration des 40 ans d’Apollo 11.
Quelques ressources supplémentaires sur ma page :
http://leblogdesurya.ifrance.com/40 ans Apollo 11/ressources.htm
Des liens, une courte bibliographie, la vidéo du lancement, le plan de vol d’A11, la plaque commémorative et sa traduction, et tous les astronautes qui ont marché sur la Lune après Apollo11.