Neutralité du net : des quotas de données dans les forfaits ADSL du FAI allemand Telekom
par Lapalice
lundi 6 mai 2013
L'information qui circulait depuis fin mars sur le net est désormais officielle. La semaine dernière, le président du groupe Deutsche Telekom AG, René Obermann a annoncé la limitation progressive d'ici 2016 des connexions fixes à 75 Go. Passé ce volume de données le débit de la connexion sera réduite à de 90% environ. Seule exception : le service de télévision sur internet (IPTV) du fournisseur, qui est aussi une plate-forme de vidéo à la demande très développée.
La plus grosse entreprise de télécommunications du monde a-t-elle déclaré la guerre à Google, Youtube, Dailymotion & Co ? Une affaire qui confirme la place centrale de la Neutralité du net.
Des infrastrucutures à financer
C'est l'argument du FAI : l'infrastructure Internet allemande est vieille et pourrait arriver à ses limites d'ici 2020. Telekom estime à 80 milliards d'euros les investissement nécessaire pour remplacer les cables téléphoniques par de la fibre optique pour chaque foyer. Ce chiffre est largement exagéré : d'une part ces investissements seront très étalés, Telekom ayant misé sur une amélioration de la technologie DSL pour améliorer la bande passantes de ses connexions, et estimant pouvoir s'en passer jusqu'en 2020 ; et d'autre part tous les foyers allemands ne sont pas reliés par l'entreprise (dégroupage).
Outre le chiffre contestable, le morceau est un peu gros. Les ventes de fréquences 3G puis 4G LTE en Allemagne ont entraîné des dépenses similaires (y compris pour Telekom, qui est aussi un opérateur mobile) qui furent simplement financées par les renouvellements de contrats sans changements dans la structure de ces contrats. Il semblerait bien que la raison de cette annonce soit à chercher ailleurs.
FAI contre groupes de médias Internet. Certains vous diront que c'est inévitable, que c'est le combat de la prochaine décennie. Les FAI enregistrent depuis quelques années une augmentation signicative de la bande passante avec l'utilisation des services de streaming, notamment HD. Seulement ils ne voient pas un sou de la manne qui tombe de cette nuée numérique, alors qu'ils participent à ses coûts.
Youtube récolte pour une vidéo "monétisée" environ 2$ par 1000 lectures de vidéo, et n'importe quel webmaster vous dira que la réclame des sites pour adultes, que tous les amateurs de streaming ne connaissent que trop bien, est encore plus rémunérantes.
La solution s'appelle NGN (Next Generation Network) et consiste en quelques mots à faire des offres de plus en plus inclusives (Triple Play TV, IP, Internet, VOD) bien plus rentables pour le FAI. C'est le prochain terrain de lutte entre les FAI et Google & consorts.
Un enjeu pour l'utilisateur
Le fait que le fournisseur en question ne prenne pas en compte les débits liés à ses propres services de télévision, de streaming, etc. peut paraître évident, et au fond, pourquoi devrais-je payer autant que mon voisin dont les gosses sont accros aux séries américaines, alors que le haut débit me sert principalement pour la liaison VPN avec le bureau, ou pour téléphoner à mon cousin des amériques en vidéoconférence deux fois par mois ?
Le problème est qu'il s'agit peut-être du début d'un cloisonnement d'Internet (le mot anglais "enclosure" revient régulièrement). Les FAI exerceraient ainsi le contrôle sur les services utilisés par l'utilisateur au lieu de se borner à être des "fournisseurs d'accès". Il y aurait ainsi des zones sur Internet, tout ne serait pas accessible.
Jusqu'ici ce genre de limitation existait à l'échelle des services médias comme Google, qui retire 20 millions d'URL par mois de son moteur de recherche pour des raisons de Copyright ou pour favoriser ses services, ou le système ContentID de Youtube, qui bloque de manière parfois abusive les vidéos, surtout en Allemagne (la vidéo de la météorite de Tcheliabinsk est bloquée chez nos cousins germains car on entend vaguement l'autoradio de la voiture jouer de la musique). Je laisse de côté les bloquages de noms de domaine, qui sont généralement le résultat de procédures judiciaires.
Il s'agirait cette fois ci bien d'une restriction complètement arbitraire de l'accès Internet par une tierce partie puisque les services de streaming indépendants seront plus difficiles d'accès par les utilisateurs pas assez fortunés pour payer des forfaits supplémentaires. Comme si France Télécom restreignait l'accès au 118 218.
L'enjeu est d'autant plus considérable que la VOD est très développée en Allemagne, où un film peut être disponible en VOD et sur les chaînes en clair quelques mois voire semaines après son lancement (contre 22 mois en France pour la télévision si la diffusion n'est pas le week-end, et 36 mois pour la VOD).
Le vent vient de l'ouest
Cette annonce du fournisseur historique allemand pourrait ainsi contrevenir au principe de neutralité du net, maintes fois évoqué de ce côté-ci du Rhin par la ministre Fleur Pellerin, dont le projet de loi "contre un Internet à plusieurs vitesses" a été salué par la presse allemande.
Les internautes bièrophiles en pantalon de cuir (c'est le printemps de la bière en Bavière en ce moment) peuvent aussi voir que cette cyberguerre, en France, ne se fait pas forcément au détriment des utilisateurs, comme l'a montré les bloquage par Free des publicités sur Youtube.
Après que Bruxelles a déclaré qu'il n'y aura pas de procédures à l'encontre de Telekom suite à cette annonce, les autorités allemandes sont de plus en plus suspicieuses. Le gouvernement de Mme Merkel et de M. Rösler, et l'autorité allemande des télécoms ont annoncé cette semaine l'ouverture d'une enquête qui pourrait déboucher sur une "action de régulation" ( Trierischer Volksfreund, 27 avril 2013).