Ni Bible ni Darwin (II) Téléologie sans dessein
par Bernard Dugué
jeudi 13 juillet 2006
Ce trop court billet tente de montrer que l’alternative au néo-darwinisme ne se résume pas au créationnisme ni à l’intelligent design. Il est concevable d’introduire une téléologie sans dessein pré-établi.
L’intelligent design est considérée comme un cheval de Troie pour les thèses créationnistes. C’est compréhensible. Si on suit le postulat de base de l’ID, alors on peut transposer ce qui est un énoncé prétendument scientifique en une doctrine postulant que les espèces, même si elles n’ont pas été créées en six jours comme cela est dit dans Genèse, ont été guidées par un plan divin préétabli. En gros, nous avons affaire à un mélange de platonisme, d’évolutionnisme et de créationnisme. De même que le néo-darwinisme est construit en ajoutant au darwinisme les données de la génétique, le néo-créationnisme est construit en insérant le volet évolution tout en conservant la création qui reste pré-établie et l’ID comme ressort évolutif. On pourrait même imaginer un contexte aristotélicien. Passage des êtres vivants de la puissance à l’acte, sous réserve que celui-ci soit suffisamment long pour être compatible avec ce que l’on sait du timing phylogénique.
Les néo-darwiniens s’entendent sur ce qu’est le concept de sélection naturelle, de mutation génique, de fixation des allèles, de recombinaison, de transformation par descendance, de rameaux phylogéniques. Le postulat de base de l’ID admet d’une cause intelligente préside à la genèse des organismes complexes, dès le niveau de la bactérie la plus simple. Cette cause explique notamment la coordination précise de tous les mécanismes moléculaires sans laquelle la vie ne serait qu’un chaos physico-chimique. Pour ma part, je préfèrerais employer le terme de « cause concevante hétérologue » aux mécanismes moléculaires. A partir de ce postulat, on peut envisager plusieurs types de causes, immanentes ou transcendantes, venant se surajouter aux mécanismes ou alors émergeant en tant qu’essence parce que sous les mécanismes se pose un substrat, formalisable comme un champ, une substance dans le sens aristotélicien du terme, autrement dit une sub-stance, ce qui se tient en-dessous. Mais rien ne dit que cette substance contienne a priori en germe le concept des espèces vivantes.
Exposition de la différence entre le dessein et la téléologie Voilà une espèce dont on va dire qu’elle se présente comme B, conçu comme assemblage défini ainsi de manière sommaire (B)bbbbbbbbbbbbbbb....... Conformément à l’existence des mutations moléculaires, cette espèce est susceptible de se transformer à la suite de modifications du patrimoine génétique et le cas échéant, des recombinaisons. Plusieurs explications sont possibles pour rendre compte de cette transformation. L’illustration suivante permettra de bien différencier le dessein évolutif d’une téléologique sans dessein. Si cette espèce doit nécessairement se transformer pour donner l’espèce C, préalablement conçue selon un dessein (naturel ou divin peu importe) alors les mutations sont dirigées si bien qu’on passe, (graduellement ou brutalement peu importe) de (B)bbbbbbbbbbbb à (C)cccccccccc avec un nombre indéfini de maillons intermédiaires du genre (B)bbbcbbbbcbbbbb La thèse téléologique telle que je la conçois admet que B va évoluer en « bricolant » son patrimoine et son phénotype, testant plusieurs options et tendances, au hasard de « l’art évolutif naturel ». (B1)bbbbcccbbbdbbbcccccec ou bien (B2)bbbbbddddddcbbbbbe, par exemple. La téléologie admet que la tendance B1 va d’affirmer et orienter la transformation vers (C)cccccccccc alors que B2 va finir par être dirigée vers l’espèce (D)dddddddddddd. Bien évidemment, les conditions naturelles vont aussi intervenir et « trier » les espèces qui vont subsister, par exemple D, puis H puis T parmi un nombre indéterminé de possibilités évolutives. Mais D pourrait tout aussi bien disparaître et C passer les obstacles de la sélection. La téléologie sans dessein n’impose pas une conception préalable des espèces, celle-ci s’inventant au hasard du bricolage naturel. Elle est par ailleurs tout à fait compatible avec les lois de la sélection naturelle qu’elle ne remet pas en cause sur ce qui lui revient. Le guidage téléologique finalise toutes les espèces (avec une efficacité individuelle, comme d’ailleurs les mutations car c’est un ADN individuel qui mute et non pas une espèce), les accompagnant dans leur perfectionnement moléculaire et physiologique, sans que la libre concurrence de l’existence naturelle soit remise en cause. Enfin, cette théorie admet que parmi les possibilités offertes par le Grand bricolage évolutif, un bon nombre ne se sont pas actualisées, notamment parce que les conditions d’existence sont limitatives. Admettons que cette téléologie soit désignée comme il se doit, c’est-à-dire comme cause finale, et que cette cause soit qualifiée « d’intelligente », alors nous avons là une doctrine de l’ID qui non seulement n’impose aucune concession à toute forme de créationnisme strict ou soft, associé à un dessein préétabli, mais aussi contredit ce même créationnisme. Mais je préfère me dédire et ne pas mélanger les domaines, l’intelligence étant le propre de l’homme. Restons-en à une cause finale, liée à des champs transcendantaux concevable avec l’appui des champs quantiques, suffit. Quant à la cause efficiente de l’évolution, admettons pour l’instant qu’un désir d’agir, de transformation, d’efficacité, de changement, de différence, est en œuvre dans la substance vivante.