Ni Descartes, ni Husserl, ni Einstein mais un dernier Evangile scientifique : à la fin advient le Verbe
par Bernard Dugué
mardi 10 mars 2015
Les sociétés occidentales et leurs intellectuels ont cru naïvement à l’évidence d’une démocratie qui, selon la prophétie de Fukuyama, devait s’installer dans le monde à la fin de l’Histoire. Comme si les peuples aspiraient profondément à une authentique démocratie. L’erreur fut d’associer démocratie et économie de marché et de conclure hâtivement après la chute du communisme soviétique. Un autre communisme s’est avéré tout à fait compatible avec l’économie de marché, c’est celui de la Chine, pays bureaucratique doté d’un Etat puissant et gouverné par l’émanation de cette bureaucratie, les cadres du parti unique. Au final, au lieu d’exporter notre démocratie vers le monde, nos sociétés tendent à faire le chemin inverse et devenir autoritaires et bureaucratiques, empruntant alors quelques traits au régime chinois. La crise de la civilisation occidentale est une crise de la démocratie. Elle se résoudra par une décision. Choisir d’ouvrir les libertés et les consciences, ou bien verrouiller de manière autoritaire, bureaucratique et sécuritaire le monde du marché pour créer un paradis artificiel de la consommation adossé aux technologies et à la technoscience.
Ces quelques propos nous inclinent à revenir aux années 30 et aux réflexions d’un des plus grands penseurs. En 1934 Husserl fut invité à prendre part au huitième congrès de philosophie à Prague. Ne pouvant se déplacer pour les raisons que l’on sait, il envoya un texte décisif pour comprendre l’histoire européenne des savoirs et la manière dont ont divergé les sciences et la philosophie. Les sciences positives modernes ont offert une prestigieuse ascension de la connaissance du monde constituant un motif de fierté pour les Européens avec un revers de la médaille car selon Husserl ces mêmes sciences représentent un échec total quant à ce qu’elles pouvaient réaliser de concert en tant que branches de la philosophie. La science a triomphé en écartant le monde de la subjectivité et de la vie alors que dans le même temps, pendant ce 19ème siècle décisif, eut lieu une transformation essentielle qu’on peut définir comme un échec philosophique. A la connaissance parfaite de la Nature objectivée promise par la science fait écho l’échec de la connaissance complète de l’homme.
A la fin de son propos, Husserl nous livre une sorte de testament sous forme de conclusion percutante basée sur des décennies de travail philosophique. Avec comme point de départ une interprétation d’un des textes les plus déterminants pour notre modernité, celui des six méditations métaphysiques pensées et rédigées en latin par Descartes en 1640. Deux thématiques fondamentales sont explicitées, celle de la compréhension des choses et celle de l’autocompréhension du sujet. Si j’ai bien interprété Husserl, l’impasse de la philosophie naturelle concerne les choses qui n’ont pas plus été comprises par le radicalisme de Descartes que par les sciences modernes. L’autre thématique est décrite sous l’angle d’une autre radicalité profonde qui n’atteint pas encore le radicalisme indépassable permettant de déduire du cogito une infinité d’analyses concrètes, autrement dit, l’achèvement de la phénoménologie transcendantale qui, comme l’a si bien définie Husserl, constitue une authentique cosmologie du sujet, une science des contenus de conscience accompagnée d’une connaissance de l’étant et des essences liées aux visées de la conscience corrélées aux objets.
Cette intrusion de la phénoménologie dans mon propos doit être justifiée par une intention. Que cherche-t-on ? Connaître les choses de la nature, civiliser le monde en apportant quelques solutions à la crise ou alors se connaître en tant que sujet en soi puis sujet mondain et sujet connaissant les choses et le monde ? Il y a un peu de tout ça dans la phénoménologie de Husserl qui se présente comme une porte d’entrée vers des cheminements spirituels tout en prétendant rivaliser avec les sciences modernes ou du moins préserver le sujet de la naturalisation en germe dans les sciences positives. Au vu des tendances actuelles en neurosciences, les craintes de Husserl étaient justifiées.
La phénoménologie husserlienne présente néanmoins un risque, celui de livrer une connaissance statique et de passer à côté du véritable enjeu au 21ème siècle, celui d’élaborer une science de l’information et du Temps, malgré les intentions louables énoncées à la fin de son parcours où s’éclaircit l’horizon téléologique promis à l’homme libre affranchi par la Raison. Heidegger a emprunté la voie phénoménologique en la détournant pour aborder la question du sens de l’Etre mais en vérité, l’investigation de Heidegger a concerné le sens du Temps en premier lieu. Si bien que l’on peut défendre une autre interprétation de l’ontologie du Dasein dans laquelle Heidegger a cru s’emparer de l’oubli de l’Etre alors que le thème essentiel c’est l’oubli du Temps ou du moins la méconnaissance du Temps et ce, depuis l’Antiquité jusqu’à la science contemporaine du 21ème siècle. L’homme n’est pas un être pour la mort mais un être pour l’avenir et d’advenir, tourné vers le futur.
L’impensé du Temps est le thème déterminant et décisif pour notre époque. Je crois qu’il est possible de passer à l’ontologie universelle en découvrant le Temps mais aussi et surtout le Verbe à travers la pensée du sujet. Cette fois, sera convoquée la physique contemporaine moyennant une spéculation métaphysique de haute voltige qui ferait se retourner Husserl depuis sa tombe. La science contemporaine est en mesure de livrer quelques secrets de l’univers. Et notamment celui du Verbe énoncé sous forme d’un dernier Evangile : à la fin advient le Verbe !
Une clé pour l’avenir : la monadologie se substitue à la phénoménologie et devient la philosophie universelle du 21ème siècle. Le Verbe est aussi une musique.