Nous sommes entourés de virus mais ils sont nos amis

par Bernard Dugué
vendredi 2 septembre 2011

Deux études indépendantes effectuées sur des milieux très différents permettent de jeter un regard assez inédit sur le monde des virus, un univers étrange, insoupçonnable, considéré à tort comme une menace sanitaire planétaire depuis l’épopée des H5N1, SRAS et autre H1N1. Nous sommes baignés par un environnement parsemé de virus quasiment indénombrables et mêmes incernables en raison de leur taille minuscule. La pensée utilitariste héritée des anciens temps nous enseignait la notion d’animaux nuisibles et utiles. Elle ne pouvait que juger le monde des bactéries et surtout des virus comme un monde hostile. Les choses ont sensiblement évolué si l’on observe la place des bactéries qui ne sont pas forcément ces ennemis de l’humanité faisant régulièrement la une des journaux dès lors que quelques patients sont pris de maux intestinaux et dirigés dans les hôpitaux. Les bactéries sont utiles et sans la flore intestinale, nous serions bien incapables de digérer les aliments consommés. Des études récentes ont même montré des signatures bactériennes spécifiques chez les individus, à l’instar des groupes sanguins. Et voilà maintenant que les virus sont eux aussi considérés comme des locataires permanents de l’appareil digestif humain.

On savait que les virus étaient largement présents dans l’intestin mais jusqu’alors, aucune étude poussée n’avait établi quel rôle ils jouent, que ce soit dans les pathologies ou le bien-être physiologique qu’on nomme santé. Le virome, autrement dit la totalité des virus présents dans un milieu, s’est révélé être spécifique de chaque individu, suggérant qu’il existe une signature virale, comme il en existe une bactérienne ou une autre sanguine ou même immunologique. Nos organismes sont à l’image de récifs coralliens abritant toute une faune bactérienne et virale vivant en symbiose, affirme le directeur de ces recherches, Frederic Bushmann, ajoutant que le virome a des conséquences sur le « microbiome » et par voie de conséquence, sur la santé humaine. De plus, des expériences effectuées sur des sujets ont montré que le virome pouvait être significativement modifié en fonction du régime alimentaire. La conclusion, c’est que le régime alimentaire modifie autant la flore bactérienne que la signature virale. Ces faits sont assez surprenants dans un contexte classique où le virus apparaît comme une excroissance biologique néfaste mais ils ouvrent aussi un nouveau champ de réflexion théorique amenant à considérer les virus comme un élément essentiel de l’écosystème.

L’écosystème marin justement, parlons-en puisqu’il vient lui aussi d’être scannée par les virologues. Craig Carlson a dirigé une investigation de dix années visant à étudier les virus présents dans le milieu marin et plus précisément, les virioplanctons, autrement dit les virus capables d’infecter une partie des organismes unicellulaires qu’on désigne comme plancton, élément fondamental de l’écosystème marin puisqu’il est à la source de la chaîne alimentaire (il existe du plancton animal, végétal et bactérien). Les virus marins ont été copieusement négligés alors qu’ils interagissent avec la flore bactérienne qui joue un rôle déterminant dans le contrôle chimique des océans, régulant entre autres les flux de gaz carbonique, méthane, azote, phosphore. Mais aussi le contrôle des éléments organiques puisque ce bactérioplancton absorbe les résidus produits par d’autres organismes. Contrairement à une idée reçue, l’essentiel de la biomasse océanique n’est pas imputable aux animaux marins, mais au plancton microscopique, qui représente 95 % de cette masse. Une flore très diversifiée, tout autant que les virus qui interagissent avec elle. Sans ces « microbes marins » et doit-on ajouter, ces virus qui font partie de l’écosystème, il n’y aurait pas de vie dans les océans. Les auteurs de cette étude évaluent à dix millions le nombre de particules virales contenues dans une seule goutte d’eau de mer prélevée à la surface de l’océan (qui en contiendrait 10 puissance 30, soit mille milliards de milliards de milliards). Les animaux marins échappent aux infections virales car les virus marin sont des bactériophages, autrement dit, ils infectent la flore des bactéries, sans doute à l’instar des virus intestinaux dont il est question plus haut. De plus, un virus d’un type donné se développe en symbiose avec un certain type de bactérioplancton. Carlson et ses confrères ont observé des différents viromes selon la profondeur ainsi que des cycles annuels.

Les virus « infectent » pense-t-on. On peut ne pas être d’accord avec ce point de vue où le virus est pris comme un élément parasite qui cherche ses hôtes pour se reproduire. En fait, nous ne savons rien et il se peut bien que le virus soit un élément fondamental jouant un rôle précis dans l’écosystème bactérien. Pourquoi prêter des intentions virales si ce n’est en adoptant un « animalocentrisme » faisant de ces particules des ennemis du système vivant, alors qu’ils ne sont peut-être que des auxiliaires de ce système, qui parfois occasionnent des perturbations. Mais en ce cas, sont-ce les virus qui créent des pathologies ou bien le déséquilibre de l’écosystème ou de l’organosystème qui, fragilisant la dynamique physiologique, rend les organismes vulnérables aux virus ? Le débat est ouvert et il n’est pas prêt de se refermer à moins que l’entendement humain ne soit altéré par le virus de l’autruche. Une ouverture d’esprit laisse penser que les virus sont des éléments non vivants pouvant jouer le rôle de facteurs, on va dire informationnels, comme il existe des facteurs chimiques, glucose, phosphore, azote, oxygène… essentiels à la vie. Les virus marins bactériophages seraient plus nombreux car les océans constituent un milieu non seulement liquide mais très différent des espaces terrestres. L’océan est un bouillon de culture plus qu’un terreau.

En guise de conclusion provisoire, on soulignera l’éventualité d’un monde viral pouvant, avec le concours des bactéries, participer à la régulation des milieux organiques, qu’il s’agisse de la surface de l’océan ou bien de l’intestin humain. Les virus en question ne sont pas les très médiatiques virus de la polio ou de la grippe, qui s’attaquent aux cellules eucaryotes humaines, mais des bactériophages qui se reproduisent en utilisant le matériel de réplication bactérien. La bactérie est lysée le plus souvent mais parfois, le phage s’insère dans le génome bactérien et l’on peut tout à fait penser que la nature a inventé la technique des OGM bien avant l’homme. D’ailleurs, les généticiens se servent des phages pour produire des cellules modifiées dans les tubes à essai. C’est avec étonnement que ce monde viral nous apparaît non plus comme un univers néfaste de parasites cellulaires mais peut-être comme un auxiliaire régulateur des milieux organiques en symbiose avec les bactéries. Et sans doute, d’autres surprises à venir si l’on prend les virus comme un hiéroglyphe de la « substance vivante informationnelle et répliquante »


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