Nouvelle voie pour la compréhension du cancer et son traitement

par Bernard Dugué
mercredi 9 mai 2012

Le livre de Jean-Pascal Capp consacré à la cancérologie mérite une double attention. D’une part, il retrace les différentes étapes ayant conduit à l’élaboration du paradigme actuel de la cancérologie. D’autre part, il offre une vue critique des conceptions conventionnelles en suggérant une nouvelle approche. Plus précisément, le paradigme alternatif qui se fait jour s’inscrit dans un cadre plus large où finalement, le règne des gènes dans le champ biologique tend à s’effacer au profit d’approches qu’on dira plus globales et moins centrées sur le souci d’aller « pêcher des gènes » comme si une séquence d’ADN était capable de livrer le secret d’un processus, d’une fonction, d’un trait phénotypique ou d’une pathologie. Les années 2010 entrent dans une phase nouvelle, suite à la décennie précédente qui a « définitivement » sorti la biologique du tout génique. Le nouveau regard sur le cancer proposé par Capp permet d’entrevoir les voies théoriques que pourrait suivre la biologie et la médecine au cours des prochaines années, ainsi que de tracer quelques orientations dans les options thérapeutiques. Comprendre le cancer c’est bien mais il faut surtout trouver les méthodes pour soigner ou guérir ce mal. Pour trouver les voies nouvelles, il faut examiner les chemins parcourus depuis les premières recherches sur le cancer et voir si quelques options n’ont pas été négligées alors que d’autres, privilégiées par les chercheurs, ont montré des limites voir carrément des impasses.

1. Le cancer, sa progression et les gènes

Le premier chapitre est consacré à cet historique des investigations sur le cancer et notamment des tentatives d’explications censées dévoiler les étapes conduisant les cellules à se développer de manière anarchiques et incontrôlée dans un organisme, pour ensuite coloniser sous forme de métastases les tissus éloignées de la tumeur primitive. Les premières recherches ont fini par emprunter une piste maintenant devenue une évidence inscrite dans l’histoire de la biologie, celle du patrimoine génétique et de l’ADN. Avec deux aspects complémentaires, l’approche à partir du génome et celle qui étudie finement chaque gène, son produit et ses mutations. Le cancer est une maladie dont on peut trouver quelques traces écrites dans les manuscrits romains alors que des lésions de type cancéreuses auraient été identifiées sur des momies égyptiennes. Mais c’est à la fin du 19ème siècle, grâce aux progrès de la microscopie, que le cancer a été associé à des désordres chromosomiques. Ensuite, les hypothèses de Morgan ont propulsé la notion de gène sur le devant de la scène épistémologique et logiquement, l’éventualité de mutations géniques responsables du cancer a été formulée. Dans le courant du 20ème siècle, les virus aux propriétés oncogéniques ont été découverts. Puis ce fut le tour des oncogènes. Le récit de la cancérologie proposé par Capp montre clairement que les différentes hypothèses et pistes permettant de comprendre le cancer ont été conçues dans les cadres paradigmatiques centrés sur le gène au 20ème siècle. Or, ce dispositif épistémologique s’effondre. Il est donc parfaitement logique de voir se dessiner une nouvelle vision du cancer. Brièvement, la biologie contemporaine rompt avec le schéma causal génotype (= ensemble de gènes) phénotype (= ensemble de structures cellulaires et fonctions). La genèse du phénotype est alors revue avec deux options. D’abord le génome comme lieu d’instabilité et générateur de réseaux épigénétiques impliquant protéines régulatrice et toute une variété d’ARN codants ou non. L’autre option, privilégiée par Capp, se dessine dans le cadre du développement phénotypique conçu dans un paradigme darwinien (chapitre 2). Autrement dit, le développement des cellules suit un schéma adaptatif, conformément à l’hypothèse de l’ontophylogenèse développée entre autres par Jean-Jacques Kupiec depuis deux décennies. Il va de soi que ces deux options ne sont pas incompatibles mais plutôt complémentaires. De plus, une conjecture centrale se dessine. Quelles sont les causalités moléculaires ? Le génome est-il le ressort du phénotype ou bien son instrument ? De la réponse à cette conjecture découle une vision du cancer et une manière d’aborder la thérapie, autant que la prévention.

Les recherches en laboratoire ont fourni une masse de données considérables sur le cancer, pathologie particulière qui se signale par deux désordres articulés, l’un cellulaire et tissulaire, l’autre chromosomique et génétique. Le premier point important, c’est la progressivité de la carcinogenèse. Qui depuis plus d’un demi-siècle est comprise à partir de « théories multiétapes ». Assez tôt, les biologistes ont compris le cancer comme un phénomène systémique aux causes multiples, mettant en évidence la conjonction de deux ordres de mécanismes, les uns liés au génome et les autres se manifestant dans les interactions cellulaire. Le modèle standard de la carcinogenèse sur la souris utilise deux molécules, l’initiateur, censé altérer l’information génétique et le promoteurs, censé favoriser la prolifération des cellules devenues cancéreuses. Néanmoins, la relative simplicité du modèle ne doit pas masquer l’extrême hétérogénéité des cellules cancéreuses dont les perturbations génomiques peuvent aller de quelques mutations jusqu’à des milliers, mais aussi des translocations ou alors des pertes de chromosomes entiers, phénomène couramment observé et désigné comme aneuploïdie. Le profil des perturbations génomiques dans le cancer est donc loin d’être simple. Deux modèles théoriques sont envisagés. Premièrement, l’hypothèses des mutations ponctuelles : malgré la complexité des phénomènes cancéreux et l’hétérogénéité des phénotypes tumoraux, quelques chercheurs pensent qu’un petit nombre de mutations génétiques serait capable d’expliquer l’apparition du phénomène. Cette théorie des mutations somatiques (TMS) appartient aux premiers temps de l’ère moderne de la cancérologie (Capp, p. 61). Deuxièmement, la TIC, théorie de l’instabilité chromosomique, énonce que le processus de carcinogenèse est causé par une altération affectant des fragments de chromosomes, voire des chromosomes entiers qui sont soustraits ou ajoutés au génome originel (aneuploïdie). Cette hypothèse a le mérite de coller plus près des observations, expliquant entre autres choses l’expression anormale de milliers de gènes (p. 65). Notons au passage l’usage très récent des puces à ADN, technologie du 21ème siècle qui a permis un nouvel âge dans l’étude des expressions géniques et des régulations épigénétiques. 

Le siècle du gène, expression forgée par Evelyn Fox-Keller, relève alors d’un âge ancien dont on peut suivre les immenses investigations justifiées par le paradigme du gène déterminant. L’étude du cancer n’a pas échappé à ce cadre épistémologique avec la quête de quelques mutations censées engendrer le cancer en déviant la cellule de sa destination. Capp rappelle cette épopée du gène dans les années 1980 et 90 et la découverte de trois classes principales de gènes dont l’altération, de la séquence ou de l’expression, est détectée dans les cellules tumorales agressives (p. 50). On ne s’étonnera pas d’y trouver des gènes assurant (i) la survie et la croissance cellulaire, (ii) l’angiogenèse, l’invasion métastatique, (iii) l’intégrité du génome. Le schéma est donc complexe et dans le contexte du paradigme génique, le schéma causal va de types d’altérations géniques qui, additionnées, causent le cancer. Or, dans le nouveau contexte, c’est l’inverse qui prévaut et comme le rappelait récemment Henry Heng, dont les options sont proches de Capp, les altérations géniques ne sont pas la cause mais la conséquence de la déstabilisation globale du génome. Ce renversement de perspective conduit à penser que les gènes obéissent en quelque sorte à une « intention cellulaire » dont le secret est bien caché au plus profond de la cellule.

Cette intention, on la verrait bien se dessiner comme une propension des cellules à se diversifier, à se transformer en jouant sur les propriétés stochastiques du génome. Le cancer se signale en effet par l’extrême hétérogénéité de ses cellules dont les phénotypes découlent de l’instabilité chromosomique. L’instabilité épigénétique est elle aussi soupçonnée de favoriser le développement des cellules cancéreuses (p. 81). Enfin, c’est le microenvironnement tumoral qui semble jouer un rôle déterminant en créant les conditions d’une dérive et d’une prolifération cancéreuse au sein d’un environnement tissulaire perturbé et désorganisé. A l’inverse, des cellules peu malignes peuvent retrouver leur phénotype « normal » lorsqu’elles sont placées dans un milieu cellulaire où elles peuvent établir des interactions appropriées. Nombres de résultats vont dans le sens d’une origine systémique du cancer avec deux facteurs essentiels, l’instabilité génomique et un environnement perturbé. En découle alors l’hypothèse nouvelle et intéressante du champ d’organisation tissulaire, TCOT (p. 96). Selon cette théorie émise par Soto et Sonnenschein, l’état par défaut de la cellule vivante n’est pas la quiescence mais la prolifération. Autrement dit, une cellule tend à se dupliquer et proliférer, sauf si elle est contrainte par l’organisme à rester dans son état différencié où elle participe aux fonctions du vivant. Mais lorsqu’un agent ou facteur carcinogène est présent, il perturbe les interactions entre le tissu stromal et l’épithélium. Il en résulte une incapacité des cellules à lire leur positionnement dans le tissu. Progressivement, le tissu passe d’un état dysplasique à une métaplasie, autrement dit, d’un état perturbé à un tissu devenu autre et dont l’étape ultime est le carcinome. On retrouve alors l’hypothèse causale inversée. Les cellules perturbées créent des mutations dans le génome et non l’inverse. Ainsi, la cancérologie épouse les contours d’un changement de paradigme en biologie. En effet, d’un point de vue épistémologique, le développement des cellules dans un organisme et la genèse d’un carcinome constituent pratiquement un même objet scientifique au sein duquel la place du gène dépend d’un cadre paradigmatique bien plus que de la spécificité de l’objet. Examinons alors l’une des options théoriques alternatives proposées récemment, celle conçue suivant le principe du « darwinisme cellulaire ».

2. Ontophylogenèse et cancérologie.

Le siècle du gène ayant montré ses limites, des scientifiques ont cherché depuis quelques décennies des alternatives au déterminisme génique. Ainsi fut proposée par Jean-Jacques Kupiec la théorie de l’ontophylogenèse qui tire son nom de la « bissociation » effectuée sur deux processus, celui conduisant à la spéciation par sélection naturelle et celui produisant l’organisme à partir de la division et différenciation cellulaire. Les avancées théoriques viennent souvent de l’unification, formelle ou ontologique, de plusieurs phénomènes qu’on croyait séparés. Newton a bâti sa théorie de la gravitation en supposant qu’une même force maintenait les astres célestes sur leur orbite et faisait tomber les corps vers le sol terrestre. Capp présente clairement ce nouveau paradigme puis l’applique à la compréhension du phénomène de carcinogenèse. Dans le modèle ontophylogénétique, le positionnement des cellules joue un rôle aussi déterminant que l’information génétique. Ce modèle est construit à partir de deux « déplacements épistémologiques ».

Premièrement, le déterminisme génique est revu à la baisse avec l’hypothèse d’une instabilité génomique engendrant un comportement aléatoire, désigné comme stochastique. Bref, le signe d’une inventivité, d’un jeu moléculaire, d’un ensemble de coups de dés. L’expression des gène ne se fait pas comme si chaque cellule tournait dans un ordre correct les page du génome pour y lire les instructions de montage servant à produire cette cellule avec ses composants et sa fonctionnalité précise au sein du tissu et de l’organe. L’expression est plus fantaisiste, avec des effets épigénétiques plus importants qu’on ne le pensait il y a trente ans. Ce jeu moléculaire se comprend comme un jeu entre des pièces mécaniques qui ne sont pas bien ajustées, sauf que cet ajustement approximatif finit par donner des configurations fonctionnelles. Capp mentionne à cet effet une revue de la question publiée dans Nature et faisant état d’une multiplicité combinatoire des protéines pouvant en moyenne s’associer avec 7 ou 8 partenaires. Ce chiffre pouvant atteindre la centaine pour un dixième d’entre elles (p. 148). Ce constat révèle l’étrange dynamique combinatoire des molécules qui au bout du compte, semblent produites telles les pièces d’un jeu de lego pouvant s’associer différemment et fonctionner spécifiquement (tikkun moléculaire ?). L’ADN jouerait alors le rôle d’un générateur aléatoire de molécules. On comprend aisément que le déterminisme strict des gènes ne peut plus être invoqué. A ces faits s’ajoute le désordre épigénétique et notamment, le rôle correcteur des méthylations de l’ADN.

Deuxième déplacement épistémologique, l’environnement cellulaire. Des résultats récents, acquis notamment en cancérologie, montrent que le milieu entourant une cellule s’avère déterminant en certaines circonstances. Le génome n’est plus l’unique source des déterminismes de différenciation cellulaire. Autrement dit, à la flèche causale génotype -> phénotype s’ajoute une autre flèche phénotype -> phénotype. Cette causalité supplémentaire atténue le rôle hégémonique imputé aux gènes tout en fournissant des éléments causaux susceptibles d’expliquer comment un génome instable conduit vers une cellule fonctionnelle qui se détermine par son adaptation au milieu, conformément à la théorie de Kupiec. La pression de l’environnement guide la cellule dans la bonne voie. Le schéma complet devrait en fait partir d’une cellule pluripotentielle que je désigne comme prototype. Et donc, l’équation serait : prototype + interactions cellulaires avec le « phénotype tissulaire » -> phénotype. Ce cadre permet d’expliquer pourquoi dans le milieu sanguin où les contraintes environnementales sont atténuées, des cellules peuvent devenir tumorales à la faveur de quelques mutations géniques. Il suffit en effet de quelques altérations formelles pour conférer un avantage adaptatif à la cellule qui prolifère. Dans le cas d’une tumeur solide, une cellule amenée à devenir un carcinome et proliférer se doit de franchir beaucoup de barrières sélectives. Une cellule devra alors subir bien plus d’altérations, et notamment des modifications importantes produites par l’instabilité chromosomique. Il se confirme donc que le rôle du milieu et des interactions cellulaires est déterminant, thèse invalidant le paradigme réductionniste avec l’idée d’un programme exécuté par les gènes. Le contrôle des exécutions expressives vient-il du noyau ou du protéome ? Cette question déjà évoquée ne sera pas résolue ici. La théorie de l’ontophylogenèse énonce que le développement de l’organisme est le résultat d’une interaction permanente entre un noyau fluctuant et les signaux extérieurs visant à le stabiliser. C’est plus un phénomène d’hétéro-organisation que d’auto-organisation (p. 185). A noter au passage que Rosine Chandebois avait elle aussi reconnu ce fait majeur d’une interaction entre informations nucléaires et cytoplasmiques présidant à l’ontogenèse et destituant l’ADN de son « mythique piédestal » (Chandebois n’a pas percé autant que son confrère Kupiec. L’explication tient sans doute au détour par le darwinisme qui, appliqué par Kupiec à l’ontogenèse, rend son hypothèse très recevable par la communauté scientifique)

Les idées développées dans le livre de Capp pourraient contribuer à une sorte de révolution copernicienne dans le domaine de la biologie. Il s’agit de comprendre qu’est-ce qui fait qu’une cellule se différencie depuis un prototype en un phénotype, que celui-ci soit sain ou cancéreux importe peu car le processus est le même. Le noyau est une structure instable dont l’information génique est pour ainsi dire « canalisée » en fonction de l’environnement cellulaire et des informations perçue et interprétée par chaque cellule qui lit sa position et son rôle au sein de l’organisme. Le cancer se conçoit ainsi, en général, comme un défaut dans la lecture des informations et pour ainsi dire, c’est la perturbation du milieu qui permet aux prototypes cancéreux de se déterminer dans une autre voie avec plusieurs étapes effectuées avec le concours des plasticité et instabilité génomiques. Cette thèse n’est pas sans rappeler la conception de l’anomie qu’on trouve chez Durkheim selon lequel un environnement social perturbé induit chez certains individus des comportements aberrants, déconnectés des règles sociales. En ce sens, le cancer peut être considéré comme le résultat d’une anomie cellulaire. Les cellules cancéreuses ne savent plus vivre en « bonne société cellulaire ». Et ce n’est pas l’information génétique qui en est la cause comme l’indiquent ces expériences où un noyau de cellule cancéreuse a été placé dans un oocyte énucléé ; le génome conserve sa capacité à produire un organisme sain. Ce constat ouvre alors la possibilité d’une réversibilité de l’état cancéreux, éventualité à laquelle souscrit Capp et qu’il développe dans un troisième chapitre.

On retiendra donc ce cadre innovant permettant de comprendre la carcinogenèse et l’ontogenèse. Ce parcours épistémologique n’est pas sans susciter quelques vocations ontologiques. L’occasion de suggérer pour ma part une piste complètement inattendue que j’ai découverte en lisant et commentant ces réflexions. Un parallèle pourrait être tracé entre la biologie et la psychanalyse. Le comportement instable du génome renverrait au ça, la prise en compte des interactions avec le milieu composé avec le système interprétatif (épigénétique ?) permettrait l’élaboration d’un « surmoi cellulaire », sorte d’élément cognitif permettant à la cellule de se « comprendre » comme un élément social dans le tissu. Le phénotype en résultant serait alors l’équivalent du moi. Affaire à suivre…

3. Peut-on soigner le cancer différemment ?

La dernière étape du voyage proposé par Capp nous conduit vers une réflexion sur les impasses que rencontre la thérapie anticancéreuse tout en esquissant quelques pistes nouvelles ancrée dans le nouveau paradigme de l’ontophylogenèse. Ces impasses étaient connues depuis des années. Les techniques les plus efficaces reposent sur la chirurgie et la radiothérapie. Le principe étant d’éliminer la tumeur. L’autre technique utilisée, la chimiothérapie, utilise une méthode différente mais le principe est le même. Il faut tuer les cellules cancéreuses. Et pour cela, il faut jouer sur une sélectivité du principe actif qui doit tuer les cellules sans tuer le malade. On comprend toute la difficulté car les cellules cancéreuses sont à peu près aussi résistantes à la molécule que les cellules normales. La seule voie étant de miser sur la plus grande rapidité de division si bien que les antitumoraux conventionnels sont presque tous des agents interférant avec l’ADN ou bien l’appareil mitotique. Les succès de la génétique ont laissé croire en la possibilité de molécule ciblées permettant d’atteindre sélectivement des cellules dont un déterminant antigénique les distingue des cellules saines. Le problème étant alors que les cellules cancéreuses évoluent en raison de l’instabilité génétique. Bref, sans trop argumenter on comprend que cette voie est sans issue et que si elle peut se prévaloir de succès limités, c’est au niveau individuel, si bien qu’un traitement personnalisé de tous les patients, en supposant que ce soit techniquement possible, finirait par ruiner le budget de la santé.

Le grand mérite de Capp est d’ouvrir une voie alternative dont la légitimité est incontestable puisqu’elle repose sur une théorie scientifique, elle aussi alternative. L’idée fondamentale est de stopper les fluctuations aléatoires de l’expression génique et ainsi, de stabiliser les cellules en supprimant la prolifération. Le recours à des molécules spécifiques interférant à l’expression des gènes est envisagé. Une stratégie possible consiste à faire exprimer par la cellule cancéreuse des gènes permettant à cette cellule d’établir des interactions avec son microenvironnement. Il faut ensuite espérer que ces cellules puissent se stabiliser en se différenciant pour parvenir à un état quiescent et pour ainsi dire, renormalisé. On voit donc que le principe est différent de la chimiothérapie conventionnelle. Il ne s’agit plus de tuer les cellules mais de les amenés, en usant d’une ruse moléculaire, à se canaliser et revenir dans le « droit chemin ». Ne pas miser sur la réplication (agents toxiques intercalants) mais sur l’expression. D’où la notion employée de médicaments épigénétiques ou d’épimédicaments qui pour l’instant, ne sont pas à la hauteur, nous confie Capp (p. 214). Leur efficacité est restreinte et comme on s’y attend, les effets secondaires ne sont pas absents. Ce n’est pas pour autant qu’il faut conclure puisque peu d’agents ont été testés. L’un est un dérivé de l’acide rétinoïque alors que deux autres interfèrent au niveau épigénétique, l’un jouant sur l’acétylation des histones, ce qui modifie la structure de la chromatine et l’accessibilité des gènes à l’expression, l’autre étant un agent méthylant qui régule lui aussi le degré d’expression des gènes en se fixant sur l’ADN.

La conclusion de ces recherches autant expérimentales que théorique incite la cancérologie à explorer une nouvelle piste pour l’élaboration des traitements. Il serait peut-être judicieux de redéployer la stratégie et surtout les moyens et d’accorder plus de crédits à cette nouvelle approche qui, comme l’indique Capp, n’est pas si nouvelle puisqu’elle était déjà envisagée bien avant l’époque du « tout génétique » des années 1980-2000. La balle est dans le camp des laboratoires privés et des agences publiques. Pour ma part, je reste réservé sur les thérapies moléculaires en cancérologie. La chimiothérapie me paraît vouée à l’échec. Par contre, le cadre théorique nouveau permet d’imaginer des stratégies inédites tout en permettant de penser différemment la genèse du cancer et peut-être, de trouver aussi des pistes inédites pour la méthode la plus efficace en la matière, la prévention. Le cancer, il vaut mieux l’éviter.


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