Physique et information, présentation d’une idée
par Bernard Dugué
jeudi 26 février 2015
1. Physique et information, présentation d’une idée
La physique est une science plurielle par les domaines qu’elle explore et les usages qui en sont faits. On utilise la physique pour des applications pratiques largement répandues dans nos sociétés. La physique est aussi une science fondamentale qui élabore des modèles et des prédictions qui ensuite sont testées expérimentalement en usant d’appareils de mesures de plus en plus fins et de systèmes de calculs de plus en plus puissants. Enfin, la physique permet avec ses interprétations de décrire et comprendre la Nature avec ses manifestations, ses phénomènes, ses expressions et aussi ses fondements (qu’on peut définir comme métaphysique ou plutôt substantiels, la substance étant ce qui se tient sous le phénomène). L’étude des modèles, notions et concepts utilisés par les physiciens montre aussi comment au cours des siècles, les conceptions du monde se transforment avec parfois des innovations radicales et quelques fois des ruptures sans retour, comme lors du passage de la science médiévale héritée de la scolastique à la science moderne initiée par Galilée, Descartes, Leibniz et autres Newton. On peut ainsi appréhender non seulement le changement des descriptions mais aussi la modification de la vision des physiciens sur leurs disciplines ainsi que sur la nature des choses.
Au risque de me répéter, la science du 21ème siècle est sur le point de basculer radicalement, comme elle le fit il y a quatre siècles avec la Modernité. La partie se jouera évidemment sur la physique, reine des sciences, mais avec l’appui et la connivence de la biologie et des sciences du psychisme. Chaque époque a ses notions centrales. Comme l’ont bien compris les physiciens impliqués dans les sciences du numérique, l’énergie des modernes est mise en concurrence avec cette notion naguère imprécise et évanescente mais maintenant solidement ancré dans les esprits : l’Information. On peut dire qu’en ce début de 21ème siècle, l’énergie et l’information sont dans les sciences physiques sur un pied d’égalité, en reprenant un propos énoncé par Seth Lloyd. Sur le plan épistémologique et méthodologique, on peut penser que l’âge de la mesure du monde a « propulsé » un âge numérique. Après le mètre et le chronomètre, voici l’avènement du computer. Il est naturel en quelque sorte de faire advenir le computer quand l’information devient centrale ou alors, est-ce l’inverse, le computer comme reflet d’une Nature que l’on peut maintenant interpréter en mettant au centre la notion d’information.
Le computer avec ses ressources en calcul est passé du statut d’instrument scientifique au statut de notion permettant de décrire le monde physique. Le computer permet la résolution numérique d’équations censées décrire la dynamique d’objets divers, particules, astéroïdes, molécules simples ou bien protéines, etc. Par une sorte de « projection métaphorique » le computer est placé au centre de la Nature. L’univers serait-il un computer quantique ? Se demande Lloyd. Oui suggère-t-il en montrant qu’un univers quantique computationnel laisse émerger un monde incluant les processus aléatoires mais aussi l’ordre complexe des choses. Il faut néanmoins être prudent et prendre conscience que la notion d’information doit être clarifiée. Une machine de Turing utilise le bit comme brique élémentaire d’information. Un computer quantique utilise une autre brique, le qbit. Mais rien ne garantit que la Nature se serve de ces briques qui sont en première instance des abstractions produites par l’homme.
Ellul avait placé la Technique comme enjeu du 20ème siècle. L’Information et son organisation sera-t-elle l’enjeu du 21ème siècle ? On peut le penser, auquel cas il faudra élaborer une philosophie et une science de l’Information en prenant soin de bien définir quelles sont ces informations utilisées dans les multiples sciences physiques et quelle information « réelle », ontologique, est en œuvre dans la Nature. Bien souvent, l’information apparaît dans des travaux et des réflexions avec un certain flou notionnel. Notamment avec la confusion héritée de Boltzmann et Shannon lorsque les notions d’entropie et de néguentropie sont utilisées.
A ce stade de réflexion, il est impossible de passer à côté des propos fort éclairants de David Deutsch, physicien d’Oxford reconnu pour ses contributions en informatique quantique et maintenant auteur, avec Chiara Marletto, d’une théorie de l’information désignée comme théorie du ou des « constructeurs ». L’enjeu décisif en science de l’information découle du constat que l’information qui circule dans les computers n’est pas la même que celle qui est en œuvre dans la Nature. Voici ce qu’en dit Deutsch :
« Il existe un problème notoire lorsque l’on définit la notion d’information au sein même de la physique, c’est que l’information est une pure abstraction et que la théorie originelle de la computation, telle que développée par Turing et ses disciples, considère les computers et les informations manipulées comme des objets abstraits à l’instar des symboles mathématiques. La plupart des mathématiciens n’ont pas présent à l’esprit le fait que l’information est en première instance quelque chose de physique. Auquel cas, il n’existe pas dans la Nature quelque chose qui ressemble à un computer construit par l’homme. Seul un objet physique peut manipuler des informations physiques ». La notion d’objet physique nous renvoie à l’objet naturel et nous reconduit vers l’étymologie de la notion de phusis qui signifie nature chez les Grecs anciens. On comprend l’intention de Deutsch qui est de construire une philosophie de la Nature : « Je pense qu’il est important de regarder la science non pas comme un dispositif destiné à effectuer des prédictions mais une entreprise visant à connaître ce que sont les choses, comment elles se comportent et pourquoi ».
L’hégémonie des thèses « computéristes » nous incite à prendre une distance ontologique avec le paradigme du cerveau computer ainsi que le technocentrisme si répandu en ce 21ème siècle, comme ce fut le cas pour la conception machiniste de l’univers entre les Lumières et le milieu du 20ème siècle. On s’aperçoit que la vision scientifique moderne est guidée par un anthropocentrisme d’un genre particulier puisque la Nature est ramené à sa part utilisable. La science moderne passe à côté de la véritable nature des choses en concevant la Nature sur la base des données fournies par l’usage de la Nature, la mesure des phénomènes et maintenant les computers manipulant l’information. La modernité voir la nature à travers le prisme de son utilité et sa propension à entrer dans le cadre technologique de la science. Deutsch nous aide ainsi à prendre cette distance nécessaire pour « voir » les choses. Et surtout pour les « concevoir ». Y aurait-il un malentendu entre l’homme et la nature ? Sans doute mais ce malentendu remonte à quatre siècles au moins.
2 Force, temps, espace, mesure du monde
La physique moderne héritée du 17ème siècle utilise des notions ayant souvent des rapports avec le sens de l’expérience. Force, temps et espace, ainsi que la mesure du monde.
La suite reste à écrire. Le plus difficile reste à faire. Il faut un livre pour faire le point sur l’information, le temps et l’énergie dans la description du monde réel.