Possibles révolutions dans l’étude du Connectome
par Automates Intelligents (JP Baquiast)
vendredi 2 novembre 2012
Jean-Paul Baquiast 01/11/2012
On appelle connectome l'ensemble des connections synaptiques qui s'établissent entre les neurones d'un système nerveux. Ceci notamment au niveau du cortex associatif où elles sont les plus denses. Lorsque l'on évoque le nombre de ces neurones (100 milliards chez l'homme) et celui, infiniment plus grand, des synapses mettant en relation chacun de ces neurones avec plusieurs dizaines ou davantage de ces voisins, parler de connectome paraît aussi abstrait que parler du nombre des galaxies dans l'univers visible. Il reste que, que ce soit dans les fonctions de transmission « élémentaire » entre terminaisons neuronales des nerfs sensorielles que dans les fonctions dites cognitives ou complexes associant un grand nombre de neurones appartenant à des aires cérébrales éventuellement éloignées, il est indispensable de commencer à se représenter comment l'influx nerveux concerné circule d'un groupe de neurone à l'autre, voire d'un neurone à l'autre.
Différentes recherches sont en cours ou annoncées dans ce domaine essentiel à la compréhension des fonctions les plus élaborées des cerveaux animaux et humains. On évoquera ci-dessous les annonces les plus récentes.
Le projet de l'Institut Max Planck de Heidelberg
Les chercheurs affirment avoir mis au point une méthode permettant de réaliser l'examen au microscope d'un cerveau entier de souris, afin d'en obtenir un modèle informatisé permettant à terme une observation précise de celui-ci. Le cerveau, chez la souris, compte environ 75 millions de neurones.
Nous avions précédemment indiqué que des approches utilisant des méthodologies différentes ont été entreprises par plusieurs équipes européennes, travaillant notamment sur de petites fractions du cortex de rats (dites mini-colonnes). L'objectif est non seulement d'analyser les éléments du tissu, mais de les reconstruire sur ordinateur afin de pouvoir expérimenter les connexions possibles en leur sein et les fonctions en découlant. L'étude la plus avancée est conduite au sein du Human Brain Project (voir le site http://www.humanbrainproject.eu/).
Celui-ci fait suite au Blue Brain Project qui avait été conduit par le Pr Henry Markram de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). Le projet se développe aujourd'hui au plan européen, avec la collaboration de nombreuses équipe et divers sponsors. Dès les origines, le projet avait bénéficié de l'appui de la compagnie IBM, qui lui affecte d'importantes ressources informatiques.
Il nous semble que l'équipe de l'Institut Max Planck se démarque un peu du Blue Brain Project en ce sens qu'elle vise d'emblée à la modélisation d'un cerveau entier, afin d'étudier dès le début les interactions anatomiques et fonctionnelles entre les principales aires cérébrales. Mais la résolution (c'est-à-dire la finesse de l'analyse du tissu) est nécessairement bien moins grande.
Rappelons également que ces approches analytiques, basée sur une analyse aussi fine que possible du cerveau mort, ne permettent pas de simuler le comportement d'un cerveau vivant relié à un corps et à un milieu donné. Les progrès rapides de l'imagerie cérébrale peuvent faire espérer pour demain l'observation d'échanges synaptiques se produisant in vivo. Mais l'approche reste encore très globale et ne peut être utilisée que dans le cas de diagnostics visant des zones bien localisées, à la suite notamment d'accidents vasculaires.
Le projet Connect
Il ne s'agit pas à l'échelle du cerveau entier de reprendre les observations portant sur les neurones proprement dits, mais seulement celles, obtenues grâce à des méthodes très avancées d'IRM, par le scanning de la matière blanche provenant des cerveaux d'une centaine de volontaires.
Connect ne vise pas en effet à identifier les neurones composant la matière grise, mais la matière blanche ou substance blanche. Celle-ci constitue une catégorie de tissu du système nerveux central principalement composé des axones des neurones, entourés de leurs gaines de myéline (gaine lipidique servant à isoler et à protéger les fibres nerveuses). Elle relie différentes aires de la matière grise où se situent les corps cellulaires des neurones. Elle constitue la partie interne du cerveau. Identifier la matière blanche à l'échelle du cerveau entier permettra non seulement de mieux connaitre le rôle de celle-ci mais de guider les recherches permettant de situer les études de détail portant sur la matière grise.
Le projet BOINC (Barcoding of individual neuronal connections)
1%2Fjournal.pbio.1001411), par le Pr Anthony Zador, du Cold Spring Harbor Laboratory, est beaucoup plus ambitieux que les précédents, et bien plus révolutionnaire en termes méthodologiques. Encore faudra-t-il que les expérimentations envisagées confirment les promesses annoncées par les promoteurs.
L'idée très innovante qui est à la base du projet consiste à utiliser les méthodes dorénavant industrielles permettant de séquencer les génomes en les appliquant à des neurones individuels dont les relations synaptiques pourront alors être mises en évidence.
Pour cela, chaque neurone devra être doté d'un « code barre » individuel constitué de compléments d'ADN spécifiques, composé d'une vingtaine de nucléotides prises au hasard. Comment marquer les neurones en vue d'identifier par ces codes barres individuels ceux reliés par des connections synaptiques ? On utilisera à cette fin un virus tel que celui de la rage lequel a développé des mécanismes très efficaces pour déplacer du matériel génétique à travers les synapses.
Dans ce but, ces virus seront modifiés génétiquement afin de comporter le code barre individuel dans leur propre matériel génétique. Lorsque le virus se répandra à travers les synapses, chacun des neurones contaminés comportera un ensemble spécifique de codes barres (bag of barcodes) constitué de son propre ADN et de celui du virus envahisseur. De cette façon, les liaisons synaptiques s'établissant entre eux ne pourront pas être confondues les unes avec les autres. Elles seront marquées d'une façon spécifique aux neurones dont les génomes auront été ainsi « enrichis ».
Le séquencement ultérieur à grande échelle de ces génomes permettra de mettre en évidence à peu de frais les ensembles de neurones associés dans une activité déterminée. Le tout pourra se faire in vivo, c'est-à-dire sur des sujets vivants dont on pourra ainsi observer le fonctionnement cérébral à l'occasion de tâches déterminées (à supposer cependant – la remarque est de nous - que les neurones ainsi « enrichis » ne soient pas perturbés dans leur fonctionnement).
Les modèles du cerveau en Intelligence Artificielle
Rappelons enfin que, pour le Pr Alain Cardon, auteur d'un projet dit de conscience artificielle, bien connu de nos lecteurs, les simulations du fonctionnement du cerveau vivant restent très liées à des observations anatomiques qui ne permettent pas de comprendre la logique de véritables échanges fonctionnels, contribuant aux activités les plus complexes du cerveau, notamment la conscience. Pour lui, il faut élaborer des hypothèses à partir d'un modèle entièrement informatisé du fonctionnement cérébral supposé. Seules ces simulations permettront de guider des observations ultérieures portant sur des sujets vivants agissant dans un milieu naturel.
Conclusion