Protéger les enfants contre les matériels qui nuisent à leur bien-être

par Jacques Brodeur
jeudi 19 novembre 2009

Dans le cadre du 20ième anniversaire de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, nous voulons attirer l’attention du public et des gouvernements de l’Europe et du Canada sur l’article 17, alinéa (e), qui fait obligation aux États signataires d’adopter des mesures pour protéger les enfants contre les « matériels audio-visuels qui nuisent à leur bien-être ». Dans notre société, ces matériels nuisibles jouissent d’une popularité croissante et leurs impacts négatifs sur la santé des enfants et des ados augmentent en nombre et en gravité.


Le Québec interdit la pub aux enfants, la France hésite
Constatant le pouvoir croissant de la publicité, l’Assemblée nationale du Québec adoptait, en 1976, une loi de protection du consommateur interdisant la publicité aux moins de 13 ans. Plus d’un quart de siècle plus tard, le Québec reste le seul État d’Amérique du Nord à protéger ses enfants par une législation coercitive. Ailleurs au Canada, le lobby de l’industrie publicitaire a permis d’imposer une approche « écran de fumée », l’auto-réglementation, au détriment d’une protection réelle des enfants. Depuis la mise en vigueur de la loi québécoise en 1980, la puissance des messages publicitaires n’a cessé de croître, comme en fait foi la hausse vertigineuse des budgets publicitaires où les investissements annuels ciblant les enfants états-uniens sont passés de 100 millions en 1983 à 17 milliards $US en 2007. <http://www.commercialexploitation.org/issues/overview.html>
En plus de servir de véhicules à la promotion d’une multitude de produits souvent malsains, les écrans sont devenus, en soi, les objets de consommation les plus populaires chez les jeunes des deux côtés de l’Atlantique. La consommation d’écrans joue un rôle déterminant dans la promotion et l’adoption par les enfants et les ados d’habitudes de vie saines ou malsaines.

Le lien entre la publicité et le contenu des émissions est connu : c’est pour attirer la manne publicitaire que les diffuseurs rivalisent pour augmenter les cotes d’écoute, capter l’attention d’un nombre croissant d’enfants, captiver et fidéliser les jeunes consommateurs et les vendre aux annonceurs. Les enfants sont sollicités dès le berceau, d’où l’apparition de chaînes spécialisées et de DVD « pour » marmots de 0 à 2 ans qui vont soi-disant rendre les enfants plus « intelligents ».
 
LIMITES DE LA PROTECTION FOURNIE AUX ENFANTS
L’interdiction de la publicité aux enfants ne peut atteindre pleinement ses objectifs sans la participation active des familles, des écoles et de la société civile. D’où l’importance pour les citoyens de prolonger l’action législative (ou d’y pallier en France) pour améliorer la protection des petits humains.
L’interdiction en place au Québec, qui fait l’envie de nos voisins au Canada et aux États-Unis, n’a jamais réussi à devenir réalité à l’extérieur du Québec. Conséquemment, il fallait s’y attendre, la publicité ciblant les enfants de nos voisins finit par affecter les nôtres, réduisant ainsi l’étanchéité de la protection visée par notre loi. De plus, nos ados ne reçoivent pas de protection juridique après l’âge de 12 ans. Ils sont peu ou pas préparés à se protéger de la publicité. D’où le déséquilibre croissant entre le pouvoir de séduction des publicitaires et le tempérament présomptueux des adolescents.

PROTÉGER LES JEUNES DU CONTENU DES ÉMISSIONS
La publicité ne représente qu’une partie de la consommation médiatique des jeunes. Qui va renseigner les ados sur les impacts de leur consommation ? Qui va leur expliquer les stratégies utilisées pour convertir leurs désirs futiles en « besoins essentiels » ? Comment notre société pourrait-elle aider nos jeunes concitoyennes et concitoyens à développer une consommation plus éclairée, plus responsable ?
 
EMPRISE MÉDIATIQUE CROISSANTE
Pour nous faire une idée de la puissance de l’emprise médiatique sur les jeunes, regardons les données recueillies par la Kaiser Family Foundation en 1999 sur la place de la consommation médiatique dans leur vie : 58% des enfants mangent devant l’écran, 42% ont la télé allumée du matin au soir, 53% ont la télé dans la chambre, 49% n’ont pas de règle à respecter, 81% ne bénéficient d’aucune supervision parentale. Parallèlement, des chercheurs de l’Université du Michigan ont comptabilisé le temps de conversation entre parents et enfants en 1981 et 1997 ; il est passé de 1 h 12 à 34 minutes par semaine.
www.csmonitor.com/1998/1113/111398.us.us.1.html
Au cours de la dernière décennie, la situation s’est détériorée. Selon la KFF, la consommation médiatique accapare, toutes technologies cumulées, plus de 40 heures par semaine de la vie des jeunes de moins de 18 ans. Le temps accaparé par cette surconsommation prive les jeunes du temps nécessaire à leur sain développement psychologique et social et entraîne des coûts importants pour la société.

1) IMPACTS DES ÉCRANS SUR LES TROUBLES DE L’ALIMENTATION
Le premier aspect de la consommation médiatique à attirer l’attention est sa contribution à la sédentarité. Diverses études ont relié le temps passé devant l’écran à la propagation de diverses habitudes de vie malsaines. La pandémie d’obésité affecte un pourcentage croissant de jeunes dans la plupart des pays du monde et le Québec n’y échappe pas.
  • Selon Madame Suzie Pellerin de la Coalition québécoise sur la problématique du poids (CQPP), la sollicitation publicitaire contribue à aggraver la problématique du surplus de poids et d’obésité qui affecte de plus en plus de jeunes. http://www.cqpp.qc.ca/
  • Les modèles proposés par les médias et les mannequins utilisés par l’industrie de la mode ont un impact négatif sur l’image corporelle des jeunes et leur qualité de vie selon Anne-Marie Bérard, coordonnatrice clinique pour l’Association d’aide aux personnes souffrant d’anorexie nerveuse et de boulimie (ANEB-Québec). http://www.anebquebec.com/html/fr_medias.html
  • La place de l’alimentation et de l’activité physique dans les téléromans québécois a aussi un impact, selon la chercheuse Monique Caron-Bouchard, du Groupe de recherche Médias et Santé, GRMS, du Département de communication sociale et publique de l’UQAM.
    http://jacbro13.com/uqo/texte/MCaron-Bouchard.doc
  • Une étude rendue publique en 2008 par Statistique Canada révèle que le simple fait de regarder la télévision abaisse le métabolisme plus que la lecture, (1,3) pratiquement au niveau du sommeil (1,0 pour la télévision comparativement à 0,9 pour le sommeil). D’où la déclaration de Madame Julie Mandeville rapportée dans Le Devoir de juin 2008 : « Du point de vue de la santé publique, il est plus rentable d’éloigner les jeunes de la télé que de faire la promotion de l’activité physique. »
    http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/080618/dq080618c-fra.htm
  • Les impacts de la consommation médiatique sur divers autres aspects de la santé des jeunes ont donné lieu a une pléthore d’études. En décembre 2008, le National Institute of Health des États-Unis a effectué une revue de 1800 études et publié une synthèse de leurs conclusions sur le site du Center for Health & Health Care in Schools.
    http://www.healthinschools.org/News-Room/News-Alerts/December-2008/Review-of-Studies-on-Media-Exposure.aspx
 
2) IMPACTS SUR LES TROUBLES DU COMPORTEMENT ET LA CRIMINALITÉ
L’influence des divertissements électroniques violents a donné lieu à une Commission royale d’enquête du Gouvernement de l’Ontario et le Rapport de la Commissaire Judy LaMarsh a été publié en 1977. On y décrit l’impact de la violence utilisée par l’industrie des communications sous la forme d’une allégorie avec les additifs chimiques dans l’alimentation et les polluants comme le plomb, le mercure et l’amiante.
 
FACTEURS CAUSALS
En 2001, le Conseil supérieur de l’éducation publiait un Avis transmis au Ministre de l’éducation du Québec : « Les élèves en difficulté de comportement à l’école primaire : COMPRENDRE, PRÉVENIR, INTERVENIR. » On y constatait que l’augmentation de 300% du nombre d’enfants affectés était attribuable à 3 facteurs principaux : structure familiale fragilisée, encadrement parental déficient et exposition à des divertissements électroniques violents.
http://www.cse.gouv.qc.ca/FR/Article/index.html?id=2001-05-003&cat=2001-05-01
 
AGRESSIONS TÉLÉVISÉES EN HAUSSE
Quelques années plus tard, en 2005, 2 chercheurs de Laval publiaient le fruit de leurs observations : augmentation de 432% du nombre d’actes d’agression diffusées par les réseaux privés de télé depuis 1995, année où l’industrie télévisuelle canadienne promettait de se réglementer elle-même pour contrecarrer l’intention éventuelle du législateur canadien invité à agir par une adolescente, Virginie Larivière.
http://www.cem.ulaval.ca/OBSERVATIONS68.html

JEUX VIDÉO : VENTES ET CONTENU VIOLENT EN HAUSSE
Durant la même décennie, les jeux vidéo de meurtre (First Person Shooter, FPS) connaissaient les plus fortes augmentation des ventes et des études indiquent que 40% de ces jeux sont utilisés par des jeunes, malgré qu’ils soient classés 18 ans et +. Les ventes de jeux vidéo sont passées de 12,5 milliards $US en 2007 à 18,8 milliards $US en 2008.

CRIMINALITÉ VIOLENTE : UN SOMMET CHEZ LES ADOS EN 45 ANS
En 2006, le Canada atteignait son niveau de criminalité générale le plus bas en 25 ans et la criminalité VIOLENTE des jeunes battait des records : deux fois plus de crimes violents que les adultes et deux fois plus qu’il y a 20 ans. (Statistique Canada et Ministère de la sécurité publique du Québec, 2006)

UNANIMITÉ CHEZ LES SCIENTIFIQUES
Selon le Dr. Michael Rich, Directeur du Centre Médias et Santéde l’Hôpital pour enfants de Boston (Harvard Medical School & Harvard School of Public Health) et porte-parole de l’Académie des pédiatres des États-Unis, (American Academy of Pediatrics, AAP) « plus de 3500 études ont reconnu le lien entre le spectacle de la violence des médias et le comportement violent. »
http://aappolicy.aappublications.org/cgi/content/full/pediatrics ;108/5/1222
 
MYTHE ENTRETENU ARTIFICIELLEMENT
Malgré cette quasi-unanimité, des organismes financés par l’industrie invoquent 18 études qui n’ont pas identifié ce lien pour entretenir le mythe qu’il s’agit d’une question « controversée ».
http://www.media-awareness.ca/francais/enjeux/violence/recherche_effets_violence.cfm

3) AUTRES DOMMAGES À LA SANTÉ DES JEUNES
Outre l’obésité et la violence, d’autres facettes de la surconsommation médiatique nuisent au développement de saines Habitudes de vie chez les jeunes.
  • En décembre 2008, des chercheurs de l’Université de Yale publiaient les conclusions de 30 années de recherche sur la contribution de la consommation médiatique à divers dommages causés aux ados : l’alcoolisme, le tabagisme, la dépendance aux drogues, l’hyperactivité, les résultats académiques.
    http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/12/01/AR2008120102920.html
  • L’impact sur la sexualisation précoce et l’hypersexualisation des fillettes ne fait pas de doutes selon Lilia Goldfarb, du YWCA de Montréal, qui témoigne dans le film de Sophie Bissonnette, SEXY INC, produit par l’ONF. http://www.jacbro13.com/uqo/table.htm
  • La pornographie est devenue le principal moyen d’éducation sexuelle des jeunes selon le professeur Richard Poulin, du Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa.
    http://saveurdujour.wordpress.com/2008/11/29/hypersexualisation-erotisation-et-prostitution-chez-les-jeunes-par-richard-poulin/
  • Les publicités sexistes constituent des attaques au respect et à la dignité des personnes selon Madame Élaine Giroux, coordonnatrice de l’action féministe à l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et membre fondatrice de la Coalition nationale contre les publicités sexistes, (CNCPS). http://jacbro13.com/uqo/texte/egiroux.doc
  • Selon la chercheuse Francine Descarries, de l’UQAM, qui a fouillé des études nord-américaines récentes, les médias et l’industrie de la publicité ont contribué à faire échouer le Québec dans la lutte aux stéréotypes sexuels et sexistes. La représentation stéréotypée des rapports homme-femme propagée par ces industries ont influencé les jeunes entre 12 et 18 ans, étape cruciale dans la construction de leur identité.
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2008/06/09/001-sexisme-medias-csf.shtml
  • Selon Béatrice Alain, du Conseil québécois sur le tabac et la santé, les jeunes dont les acteurs préférés fument à l’écran courent 16 fois plus de risques d’adopter une attitude favorable envers la cigarette. http://jacbro13.com/uqo/texte/beatricealain.doc
  • La publicité médicale pour des produits pharmaceutique et boissons stimulantes influence la consommation de médicaments selon M. Luc Bonneville, professeur à l’École des sciences de l’information de l’Université d’Ottawa. http://www.jacbro13.com/uqo/bonneville.htm
  • Les héros proposés aux jeunes influencent leur conception de la virilité et leur construction de la masculinité ; cette influence a été constatée dans la majorité des 20 fusillades survenues en milieu scolaire aux États-Unis, selon Yanick Dulong, doctorant en Sociologie à l’Université Carleton, Ottawa. http://www.lmsi.net/spip.php?article877
  • La société canadienne de pédiatrie (SCP) confirme que la consommation médiatique touche le déficit d’attention et l’hyperactivité, les comportements agressifs et la violence, le tabagisme, l’alcoolisme, la mauvaise alimentation, l’obésité, une faible estime de soi, les attitudes et comportements sexuels à risque. http://www.cps.ca/Francais/sujets/MediaScope/index.htm
4) AMÉLIORER LA PROTECTION DES JEUNES CONTRE LES « MATÉRIELS NUISIBLES »
Devant cette pléthore d’impacts négatifs, force est de constater qu’un loi interdisant la pub aux enfants ne suffit pas -et ne peut suffire seule- à protéger les enfants et les ados de la publicité et de la surconsommation médiatique. Il faut assurer la protection contre divers écrans : y compris l’ordinateur, les consoles de jeu, les ipod, les jeux de hasard en ligne, les chansons misogynes, les caméras vidéo et youtube, etc. Les parents ont besoin d’être renseignés sur les impacts négatifs si l’on veut qu’ils puissent encadrer la consommation médiatique de leur enfant.

LES SOLUTIONS NE TOMBENT PAS DU CIEL
Considérer que les médias ont tous les droits de diffuser et reprocher aux parents de mal élever ou de mal protéger leur enfants n’est pas une réponse acceptable. Il faut innover, il faut oser, c’est un enjeu de civilisation comme l’affirmait récemment Donald Cuccioletta, professeur à l’Université du Québec en Outaouais. http://www.jacbro13.com/uqo/donald.htm
 
ÉDUQUER AUX MÉDIAS
En France, au Québec et ailleurs dans le monde, on a constaté que, parmi les solutions envisagées, la plus efficace et la plus durable consistait à ÉDUQUER les enfants et les ados à la CONSOMMATION ÉCLAIRÉE des médias ; et c’est ici que l’intervention de l’État pourrait servir à coordonner les efforts de plusieurs ministères concernés par les dommages à la santé et la prévention. Les parents et les enseignants du XXIe siècle ont besoin d’éducation aux médias ; ils ont besoin de prendre connaissance des dommages que la surconsommation médiatique, y compris la pub, entraîne chez les jeunes. Il faut cesser d’attendre que les médias veuillent bien accepter de voir les dommages qu’ils occasionnent ou amplifient. 

OEUVRER DE CONCERT
En utilisant les preuves accablantes recueillies par des scientifiques du monde entier, en coordonnant les efforts de milliers d’intervenants auprès des jeunes, notre société pourrait protéger plus efficacement sa population-jeunesse, renseigner les familles et outiller ses écoles en matière de consommation médiatique éclairée. Évidemment, il faudra prendre des précautions pour que l’éducation aux médias échappe au puissant lobby médiatique et qu’elle ne se limite pas à redorer l’image d’une industrie qui s’est livrée à des abus comparables à ceux commis par les industries du tabac et de la malbouffe.

CE 20E ANNIVERSAIRE NOUS FOURNIT UNE OCCASION EN OR
Le 20e anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’enfant nous donne l’occasion d’inviter les décideurs politiques et médiatiques, les gouvernements familiaux, les écoles et l’ensemble de la société à prendre des mesures positives pour se conformer à la Convention internationale qui réclame que l’on « protège les enfants contre les matériels qui nuisent à leur bien-être » ? http://www.droitsenfant.com/cide.htm

Jacques Brodeur, retraité de l’enseignement et conseiller en prévention pour l’organisme à but non lucratif EDUPAX, Trois-Rivières
 

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