Quand le train met à mal la Légende du Tour
par Fergus
vendredi 22 octobre 2010
Tour de France 1964. Parti le matin du 12 juillet de Brive, le peloton s’était lancé, dans l’après-midi, sur les pentes du plus connu des volcans d’Auvergne, le Puy-de-Dôme, redoutable « juge de paix », comme on disait alors en jargon, avec ses 4,100 km d’ascension finale à 12 % de moyenne. Et si le nom du vainqueur, le grimpeur espagnol Julio Jiménez, n’est plus connu que de quelques spécialistes, tous les amateurs de cyclisme ayant dépassé la soixantaine ont encore en mémoire le fabuleux duel qui a opposé sur le « géant des dômes » les deux grands champions français Raymond Poulidor et Jacques Anquetil dans un mano a mano entré dans la Légende du Tour. Un évènement sportif qui ne se produira plus : la route, au grand dam des fans de la « petite reine », va laisser place à un train à crémaillère.
Desservir le Puy-de-Dôme par un train n’est pas une nouveauté : dès le 19 juillet1907, une voie ferrée implantée au milieu de l’emprise routière reliait déjà, sur 14,7 kilomètres, la métropole auvergnate de Clermont-Ferrand au sommet du puy. Mais la ligne, électrifiée dès 1912, n’a jamais été rentable et son exploitation a dû être arrêtée en automne 1925 pour laisser la place, l’année suivante, à la seule desserte routière après démantèlement de la voie ferrée.
77 ans plus tard, le Conseil général, soucieux de valoriser le site, a confié à la société Thalès une étude de faisabilité sur la création d’un moyen de transport innovant alternatif à la route à péage. Dès 2004, le principe d’un train panoramique était arrêté, mais il a fallu attendre janvier 2008 pour que la société d’ingénierie québécoise Snc-Lavalin soit, au terme d’un appel d’offres, désignée par l’Assemblée départementale comme délégataire de service public dans le cadre d’une concession de construction puis d’exploitation, sur des rames automotrices suisses Stadler Rail, du futur Panoramique des Dômes !
Pourquoi un train à crémaillère ? La question peut en effet se poser, eu égard au coût d’un tel projet : 80 millions d’euros ! Mais les réponses s’imposent de manière évidente. Écologique tout d’abord car le train répondra aux nouvelles exigences environnementales et pourra, par la mise en place d’un système de récupération, produire lui-même la moitié de sa propre énergie. Touristique ensuite car les clients, confortablement assis, découvriront au fil du parcours, à travers de grandes baies, la plupart des 80 puys qui constituent la chaîne montagneuse la plus étonnante de France. Sécuritaires enfin car nul n’a oublié le dramatique accident du car polonais tombé le 22 juillet 2007 dans un ravin au bas de la descente de Laffrey (Isère) en causant la mort de 26 pèlerins. Une catastrophe qui a toujours épargné le Puy de Dôme mais qui, sur une route à 12 % de pente, pesait comme une épée de Damoclès sur la tête des exploitants et des élus locaux. En outre, le train permettra de maintenir la desserte du puy en hiver, ce qui était évidemment impossible par la route pour cause d’enneigement.
Les travaux ont débuté dès le printemps de cette année 2010, obligeant les touristes suffisamment motivés pour visiter le géant à gravir, chaussures de marche aux pieds et sac au dos, l’antique sentier des muletiers, la route étant d’ores et déjà partiellement éventrée. Après la mise en pace de la première rame du Panoramique des Dômes au cours de l’été 2011, les travaux s’achèveront au printemps 2012. Et c’est en juin de cette année que les premiers touristes pourront partir à l’assaut du Puy de Dôme dans un train à crémaillère qui les amènera sans fatigue jusqu’à la gare souterraine flambant neuve du sommet.
Nul doute que le succès sera au rendez-vous de cette spectaculaire innovation, à tel point que les chiffres de fréquentation du site – 400 000 visiteurs par an – devraient exploser. Et cela d’autant plus que le Puy de Dôme peut, depuis janvier 2008, s’enorgueillir du label Grand site de France, à l’instar des Gorges du Verdon, de la Cité de Carcassonne, de la Pointe du Raz, du Pont du Gard ou bien encore des Gorges du Tarn. Une étape, peut-être, avant que ce site exceptionnel sur le plan géologique et emblématique du Parc naturel des volcans d’Auvergne*, soit intégré au Patrimoine mondial de l’Unesco. Le dossier est en voie d’inscription sur la liste indicative française, étape décisive avant transmission aux instances internationales.
Le Panoramique des Dômes aura donc eu raison de la course cycliste. Exit le Tour de France et les envolées de ses champions sur les pentes du géant de trachyte. Il subsistera certes une voie routière en parallèle à l’emprise ferroviaire, mais elle sera désormais réservée aux seuls secours ou à des véhicules de travaux. Qui plus est, l’actuel parking situé sur le plateau sommital aux abords des ruines du temple de Mercure va totalement disparaître pour être rendu à la nature. Impossible par conséquent d’organiser une arrivée d’étape sur le Puy de Dôme. Qu’à cela ne tienne, il restera toujours aux promoteurs du Tour le Mont Ventoux : aucun projet de desserte ferroviaire ne menace la route du géant provençal !