{R, g} = 8π G Tμυ / c4 La cosmologie contemporaine a rendu l’univers inintelligible
par Bernard Dugué
mercredi 20 novembre 2013
La cosmologie relativiste étudie l’espace-temps et son articulation avec les masses. Elle repose sur les équations d’Einstein. En plus de représenter notre cosmos local, elle se donne également comme objectif de construire les modèles d’univers possibles (à partir des équations cosmologiques). Dans le cas d’un univers statique, avec comme condition l’homogénéité de l’espace et l’absence de collisions entre éléments (modèle du gaz d’étoiles), il existe trois modèles possibles. Le modèle de Minkovski est euclidien, sans courbure et sans masse et de plus, infini. Le modèle de de Sitter est sans masse lui aussi mais il est courbe. Celui d’Einstein est courbe mais avec des masses ; il correspond à notre cosmos (H. Andrillat, L’univers sous le regard du temps, Masson, 1993). D’aucuns ont pu dire que l’univers d’Einstein c’est la matière sans le mouvement alors que celui de de Sitter c’est le mouvement sans la matière. Les univers théoriques supposent une validité du système de modélisation établi par Einstein. La constante cosmologique permet d’examiner de multiples univers théoriques ou d’ajuster le modèle à notre univers réel. Mais connaît-on l’univers complet ? Certainement que non car les observations sont insuffisantes pour savoir ce qui l’en est de l’espace-temps-matière à des milliards d’années lumières, dans un lieu et un temps où rien ne garantit la validité des équations d’Einstein. La cosmologie relativiste est au minimum valable dans notre système solaire.
Ainsi, on peut faire de la science moderne avec les équations d’Einstein. L’orbite de mercure a permis de vérifier la validité la cosmologie relativiste. L’utilisation des horloges de précision embarquées dans des avions ont aussi permis de vérifier le lien entre la gravité terrestre et le déroulement du temps. De plus, les corrections relativistes ont sont utilisées pour que les GPS donnent l’exacte position des objets sur notre planète. Einstein a permis d’élaborer ces deux grandes inventions pour l’humanité que sont la bombe atomique et l’écotaxe pour les camions. Pour le reste, on distinguera une cosmologie restreinte, qui appartient à la science, et une cosmologie universelle, qui incorpore la métaphysique. Et dont les développements sont incessants, s’insérant sans doute une nouvelle étape de la connaissance du monde, l’ère authentiquement post-moderne, avec la métaphysique et la fin du matérialisme, ou pour le dire autrement, la fin de l’objectivisme et du scientisme. C’est aussi l’étape du nouveau réalisme. On verra pourquoi.
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Autant commencer par un regard sur l’équation d’Einstein.
½ gμυ R - Rμυ - Λ gμυ = 8π G Tμυ / c4
Cette équation vise à comprendre la géométrie spatiotemporelle du cosmos, donnée par le membre de gauche, en fonction de ce qu’il y a dans le cosmos, donné par le membre de droite où Tμυ est le tenseur de la mécanique des milieux continus, avec deux paramètres fondamentaux, p, la pression du milieu matériel et ρ sa densité. Dans le membre de gauche, il faut distinguer les deux tenseurs R spécifiant la courbure, le premier étant d’ordre zéro et le second d’ordre 2. Ces deux tenseurs sont les plus généraux pour décrire la géométrie spatiotemporelle. Quant à gμυ il s’agit du tenseur de métrique, avec trois composantes spatiales et une temporelle. Une métaphore permet de comprendre le tenseur de métrique qui est en fait un système de mesure permettant de coller à l’espace temps (et de représenter sa genèse si on est réaliste). Imaginons cet espace comme un écran plat LED mais à trois dimensions. La métrique est en quelque sorte la manière dont sont disposés les pixels, ainsi que la fréquence de balayage. On peut alors comprendre le rôle de la constante cosmologique qui intervient comme coefficient multiplicateur du tenseur de métrique. Voici une métaphore qui possède évidemment ses limites. Si l’univers correspond à votre écran plat de 102 cm, la constante cosmologique permet de calculer la possibilité que votre écran passe à 82 cm ou à 127 cm sans que le programme que vous regardez ne soit altéré. Cela étant, pour nous humains, il n’y a qu’un seul cosmos, celui que nous observons. Mais pour les physiciens, il existe d’autres possibilités.
Trois objets singuliers dont représentés dans le cadre des cosmologies relativistes empiriques ou alternatives. L’espace-temps vide ; c’est l’espace de « de Sitter » (en fait, c’est l’espace anti de Sitter qui va nous intéresser). L’espace-temps avec notre système solaire et galactique ; c’est l’espace empirique, le cosmos, celui que les hommes peuvent observer, mesurer, représenter avec des formalismes mathématiques mais dont l’ontologie reste à établir. Et enfin les trous noirs qui sont des objets théoriques censés être engendrés lorsque les masses courbent tellement l’espace-temps que le rayonnement reste piégé à l’intérieur. Les trous noirs et l’espace AdS sont des objets théoriques que les théoriciens de la physique font « graviter » dans le contexte d’une cosmologie compatible avec la mécanique quantique. Car la cosmologie contemporaine part d’un postulat fondamental, celui de l’unicité du réel. Ce qui, d’un point de vue épistémologique, conduit à combiner les théories physiques afin de trouver une synthèse qui les dépasse. Ces tentatives ont conduit à des formalismes d’une complexité inouïe qu’il serait intéressant de rendre accessibles, sans pour autant se soumettre à l’impératif de Stephen Hawking pour qui une théorie du Tout devrait être compréhensible par tous. Le philosophe de la nature cherche à comprendre quelles sont les réalités qui peuvent être extraites, voire extrapolées à partir des nouvelles cosmologies définissables comme post-modernes, voire post-relativistes. Une réflexion (ardue) s’impose car les formalismes sont assez étranges, avec parfois des espaces en cinq dimensions et des notions non triviales comme la non séparabilité ou alors la surface d’un trou noir.
Ayant tenté de comprendre avec mes modestes moyens ce qui découle des investigations physiques, qu’elles soient cosmologiques, quantiques ou thermodynamiques, j’ai pris conscience comme d’autres d’un sérieux problème, celui de la signification physique des formalismes mathématiques. Au point de me demander si les théoriciens n’accordent pas une confiance illégitime et aveugle dans les formes mathématiques au point d’oublier le sens physique des choses auxquelles elles se raccordent. Je ne souscris donc pas à la puissance démonstratrice des mathématiques physiques mais je ne veux pas non plus me limiter aux limites de l’empirisme et d’une science qui abdique, soumise aux restrictions de l’objectivité. Il faut donc chercher les significations physiques dans les formes abstraites tout en supposant que d’une part une proportion de ces formes mathématiques n’ont pas de corrélats physiques et que d’autre part, des formalismes alternatifs peuvent être imaginés pour répondre à l’exigence de représenter et comprendre la nature. J’erre dans le cosmos des modèles d’univers. De quoi renoncer à l’idéal d’intelligibilité. Ce qui n’empêche pas de prendre connaissance de ces théories où semble-t-il, deux résultats remarquables méritent d’être examinés. Les trous noirs quantiques et la correspondance AdS/CFT.
La correspondance AdS/CFT s’applique à un « objet théorique » que les physiciens ont élaboré dans le cadre de l’unification entre gravitation et physique des particules, cet objet pouvant être représenté doublement. D’un côté un espace anti de Sitter qui est l’inverse (courbé négativement) de l’espace de Sitter, lequel est l’une des solutions des équations d’Einstein. Dans cette correspondance, il possède cinq dimensions. L’autre représentation est un champ supersymétrique quantifié (CFT) et possédant quatre dimensions. Il est construit avec la QCD, théorie quantique qui décrit l’interaction forte. AdS contient la gravitation, CFT non. Cette correspondance a nécessité l’usage du principe holographique et des astuces de calcul redevables au physicien argentin Juan Maldacena dont l’article paru en 1998 est l’un des plus cités dans le domaine de la physique théorique. Plus précisément, cette correspondance établit que la gravité quantique en cinq dimensions est équivalente à une théorie locale des champs en quatre dimensions. Ce qui renvoie à l’expérience holographique où une structure en trois dimensions est « encodée » sur une surface. Maintenant, on peut se demander quelle signification physique accorder à cette étrange conjoncture qui est aussi une conjecture ontologique.
Les trous noirs quantiques sont aussi des objets étranges dont certaines propriétés étonnantes ont été découvertes dans les années 1970 par les physiciens Beckenstein et Hawking dont on retiendra la célèbre formule pour calculer l’entropie du trou noir, ce qui marque la jonction avec la thermodynamique. L’entropie est proportionnelle à la surface du trou noir : S (BH) = ¼ k.c3/hG.A. Soulignons la présence des quatre constantes fondamentale de la physique, c, G, h, k. Je me permettrai un petit commentaire iconoclaste sur la constante k qui n’a rien de fondamentale car elle est établie à partir d’une convention, celle qui inscrit 100 degrés entre le point de congélation de l’eau et celui de son ébullition. Et donc, S (BH) contient une « contamination anthropologique ». Pourquoi pas considérer k comme une « constante maudite », à l’image d’un verset satanique ? Après cette plaisanterie, je tiens à mentionner des investigations théoriques sur les trous noirs, menée actuellement avec des travaux sur « l’entropie d’entanglement » qui risquent d’aboutir et dont les résultats seront aussi importants que la conjoncture de Maldacena. La nature de la gravitation pourrait en être bouleversée.
Pour l’instant, il faut rester modeste et reconnaître que ces résultats cosmologiques rendent l’univers intelligible au point qu’on regrette l’ère de Newton avec la force de gravitation et tous les récits scientifiques modernes érigées en fables pour singes savants. Allez, un peu d’ironie. La physique étudie le trou noir, un objet qui n’existe pas et qui obéit à la mécanique quantique, une théorie que personne ne comprends ; et en plus, rien ne dit que ce trou noir qui n’existe pas doive obéir à la théorie quantique. La conjoncture de Maldacena énonce qu’un « objet » en quatre dimensions est équivalent à un « objet » en cinq dimensions qui contient la gravitation. Allez comprendre ! Etre physicien requiert une foi inébranlable dans la toute puissance des mathématiques. Un physicien théoricien est un peu comme un théologien, vous savez, ce type qui dans un silence monastique étudie Dieu, un être qui n’existe pas et dont personne ne comprend les paroles !
Il ne nous reste plus qu’à composer un requiem socratique pour des obsèques de la modernité dont l’achèvement est proche (mais pitié pour mes oreilles, ni David Guetta ni Jean-Michel Jarre). La modernité a permis d’utiliser avec de plus en plus d’efficacité une nature que les savants ne comprennent plus. Le cosmos est devenu inintelligible. De plus, si vous prenez les origines de la vie, la transformations des espèces, l’apparition de la conscience, eh bien vous comprenez aussi que dans ces domaines, l’inintelligibilité est de mise, du moins si vous accordez un crédit aux critiques du matérialisme comme Thomas Nagel qui a publié un petit livre riche en controverses (et dont je vous livrerai prochainement une recension). Nous voilà donc à la fin de la Modernité. Le rêve d’utilisation de la nature a trop bien fonctionné au point d’aliéner l’humanité devenue esclave du faire et qui en se réclamant de la science, croit comprendre cette nature alors que dans le cadre scientifique moderne, la matière, la vie et le cosmos sont devenus ou restés inintelligibles. Cette situation est-elle définitive ou bien allons-nous assister à une nouvelle intelligibilité ? C’est la question fondamentale du 21ème siècle.
Je reste optimisme, autant que peut l’être Nagel, avec moins d’hésitation car j’entrevois ce que sera cette nouvelle conception sans savoir si la tâche n’est pas au dessus des possibilités de représentation et compréhension, du moins en cosmologie. Que dire de plus. Je n’ai pas trop cherché à conjecturer sur la cosmologie quantique, qui me paraît plus difficile que la théorie quantique des champs avec l’ordre relationnel et algébrique sous-jacent. Rien à signaler, à part ce rêve de type saint Martin pendant lequel je jouais avec la logique et les mathématiques, parvenant à démontrer quelque chose dont je ne me souviens plus.
liens utiles
http://arxiv.org/pdf/1104.3712v1.pdf
http://www-library.desy.de/preparch/desy/proc/proc02-02/Proceedings/pl.6/deboer_pr.pdf