Razorback, un mois après
par Pierre Luce
lundi 3 avril 2006
Il y a un peu plus d’un mois, une opération policière conjointe belge et suisse mettait fin au règne du serveur Razorback 2 sur le réseau de peer-to-peer eDonkey. Qu’en est-il maintenant ?
Le 21 février dernier au matin, la police fédérale belge effectuait une perquisition chez l’hébergeur des serveurs de peer-to-peer Razorback, tandis que les administrateurs étaient quant à eux "entendus par la Justice" en Suisse. Ce coup de force de la Motion Picture Association américaine avait en premier lieu jeté un grand froid sur la communauté eDonkey, dont les serveurs Razorback constituaient la plus importante zone d’échange. Petit aperçu de la situation un mois après...
Dans la journée, un des deux administrateurs fut relâché, et put donc rapidement transmettre son témoignage sur le forum Open-Files.com, suivi de près par son avocat, relayé par le site Ratiatum, tandis que l’autre administrateur fut libéré dans la soirée. Parlons-en, de ce site, Ratiatum ! C’est un site sur les médias et loisirs numériques, proposant entre autres des échanges légaux de fichiers via le réseau eDonkey... et les serveurs Razorback ! Très concernés par l’affaire, ils délivrèrent régulièrement des informations sur l’évolution de la situation.
Reprenons au début, à ce communiqué de la MPAA. Cette dernière, association de majors américains du film et de l’édition musicale, lutte intensément depuis des mois contre le piratage et les échanges de fichiers via le P2P. Elle annonce, au moment même de la perquisition, une "grande victoire dans le combat que nous [la MPAA] menons contre l’échange illégal de fichiers", à grand renfort d’accusations plus que calomnieuses à l’encontre de l’association Razorback.
En effet, le "véritable danger pour la société" est accusé de diffuser du contenu "offensant pour la morale", du contenu pédophile, des manuels de fabrication de bombes ou des "vidéos adressées par des terroristes". Comme s’il y avait besoin d’aller sur eMule pour trouver tout ça !
Quelles ont été les conséquences ? Premièrement, beaucoup de sites totalement légaux qui étaient hébergés sur les serveurs Razorback se sont retrouvés à la rue, notamment beaucoup de sites de promotion de l’échange légal de fichiers libres de droit. Et quant au téléchargement illégal ? Cela n’a eu aucun impact, pour deux raisons. Primo, le million d’utilisateurs du serveur Razorback 2 se sont rapidement redirigés vers d’autres serveurs, ne faisant pas diminuer d’un octet la quantité de fichiers téléchargés sur le réseau eDonkey.
Et, le plus ironique, je trouve, c’est que la MPAA espérait récupérer les logs (journaux) de connections de ces millions d’utilisateurs, afin de pouvoir les identifier et les poursuivre en justice. Seulement, ces données sont conservées dans la RAM (mémoire vive) du serveur et se sont donc envolées définitivement au moment où les policiers belges ont débranché la machine.
Juridiquement, les administrateurs peuvent encourir des peines très lourdes s’ils sont condamnés pour complicité de contrefaçon, mais l’affaire mettra plusieurs mois avant de passer devant un tribunal. Et une condamnation est peu probable : les serveurs ne font que de l’indexation de fichier, tout comme Google indexe des pages Web. Donc, en quoi les responsabilités en cas d’indexation de matériel illégal seraient différentes ? Nombre de sites inscrits dans Google feraient des cibles parfaites pour la MPAA, pourquoi ne s’y attaque t-elle pas ?
C’est donc un coup de pub pour la MPAA, mais surtout un coup d’épée dans l’eau, voire une auto-flagellation : Razorback était une des seules associations à prôner la distribution de fichiers protégés par des DRM. Sans affecter le réseau eDonkey, cette action n’aura fait que dégrader encore plus les relations entre les internautes et la MPAA.