Riposte dégradée
par Yannick Harrel
mardi 7 octobre 2008
En ce 6 octobre 2008 a été sonné l’hallali de la future et désormais obsolète loi « Création et internet » prévoyant l’instauration d’une énième autorité administrative, l’HADOPI. Critiquée par de nombreux organismes et experts, le pouvoir politique dans un semblant d’autisme en phase avancée n’a jamais semblé flancher sur sa volonté de promouvoir cet ensemble de mesures censé sauver l’industrie culturelle. Las, le président de la Commission européenne vient de donner un véritable soufflet au président du Conseil de l’Union européenne.
Un projet de loi contesté largement, mais adoubé en haut lieu
Pour plus d’informations sur ce projet de loi, je puis vous recommander ce très bon article d’Antoine Gitton ayant le mérite d’être particulièrement herméneutique sur le sujet, et ne se privant pas au passage d’égratigner les errements successifs précédant cette nouvelle gabegie législative. Relisez-le si vous êtes passés à côté : il vaut largement la peine d’y consacrer quelques minutes.
Il ressort de tout le cheminement de cette volonté de promouvoir cet ensemble de mesures une impression éminemment désagréable d’un passage en force. Ainsi, malgré les réticences du Conseil d’Etat, de l’ARCEP (Autorité de régulation des télécommunications), de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) ainsi que de l’ensemble des fournisseurs d’accès (excusez du peu !) notre ministre de la Culture, épaulé par le président de la République, tentèrent tout de même d’imposer à toutes et à tous la solution miracle aux téléchargements illégaux (la contrefaçon numérique pour être précis) [1].
Dogmatisme répressif et juridiction d’exception pour freiner un phénomène plus complexe qu’on ne tente de le faire accroire allèrent de pair avec la mauvaise foi et même la négation la plus complète du récent vote par le Parlement européen de l’amendement 138 de la directive que l’on nomme le plus souvent par « paquet télécom » [2].
Le vote des parlementaires européens fut sans appel : 573 députés favorables à l’amendement et 74 contre, soit 88 % d’approbation dans l’hémicycle ! Si Mme Albanel adopta (feignit ?) une attitude sereine pour la suite des événements [3] (la directive devant encore être transmise au Conseil européen pour approbation définitive), la décision des eurodéputés provoqua l’ire du chef de l’exécutif français.
Un président héraut d’une cause perdue
Habitué à ne voir aucun obstacle lui résister, le président de la République envoya une lettre au président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, lui demandant de passer outre le vote parlementaire. D’autant que le temps était compté avant le vote de la loi par l’une des chambres prévu le 18 novembre 2008.
Désobligeante fut la réponse du président de la Commission puisque si l’on en croit Le Figaro dans son édition du 06/10/2008, la Commission « respecte cette décision démocratique du Parlement européen ». Et son président va plus loin, indiquant que « cet amendement est un rappel important des principes juridiques clés inhérents à l’ordre juridique de l’Union européenne, particulièrement au regard des droits fondamentaux des citoyens ». En clair : la position française sur le sujet n’est pas celle de l’Union.
Je laisse soin aux analystes politiques de s’épancher sur la portée d’une telle rebuffade, qui ne fait que s’ajouter à tant d’autres soit dit en passant, ainsi que la cote d’amour de l’actuel président au sein des instances européennes. En revanche plus inquiétant dans l’immédiat est de constater qu’en dépit des avertissements réitérés des institutions et acteurs suscités, le principal garant de l’ordre républicain en France ait souhaité jusqu’au risible imposer un texte manifestement contraire à des principes établissant une justice indépendante et garante d’impartialité envers tout justiciable.
Le magazine en ligne Numerama avait en son temps proposé de faire reprendre par la blogosphère les dix bonnes raisons de s’opposer à un tel projet de loi : cette opposition reste toujours d’actualité tant la velléité affichée en haut lieu ne présage rien de bon pour la suite…
[1] Pour plus d’informations, se référer à l’article de Wikipédia.
[2] Pour suivre toute la procédure, depuis sa genèse jusqu’à sa transmission actuelle au Conseil, je vous invite à vous rendre sur le site de l’Observatoire législatif du Parlement européen. Et plus particulièrement ICI.
[3] L’article du Nouvel Observateur du 25/09/2008 indique en effet que pour Madame la ministre de la Culture, « Les mesures envisagées par le projet de loi ne portent en aucun cas atteinte aux droits et libertés fondamentaux », a notamment précisé la ministre de la Culture et de la Communication. Et sur la procédure suivie, elle fait observer que le texte doit encore être transmis au Conseil de l’Union et à la Commission. « Son adoption définitive apparaît donc, à ce stade, hautement improbable », assure-t-elle.
Crédit photo : AFP