S.O.S. Marine de Loire

par C’est Nabum
mardi 15 janvier 2013

Bonimenterie du réel

De la voile à la toile

La marine de Loire mène à tout, il suffit d'en sortir. Une fois encore, une soirée pas ordinaire fut l'occasion de mettre sous le clavier les vicissitudes de deux mariniers jamais à court de surprises. Pourtant, en ce vendredi fin d'après-midi, nos deux compères avaient les meilleures intentions du monde.

Le soleil couchant éclairait la Loire d'un voile mordoré à vous couper le souffle. Ils étaient sur le quai à admirer le plus beau des spectacles, celui qui leur fait penser que leur pays est le plus beau puisque c'est le leur. Ils prenaient des photographies, ils flânaient, n'ayant d'autre ambition que de profiter, à s'en remplir les yeux, de ce spectacle qui venait après une semaine grisâtre.

Nos deux compères étaient heureux et comme des gars d'ici, ils se retrouvèrent autour d'un petit verre de vin blanc. C'est ainsi qu'on montre son contentement en notre doux pays ligérien. Ils parlaient de leur rivière, consultaient des documents, des livres d'histoire. La Loire coule dans leurs veines, elle ne laisse jamais en peine de récit.

Quand une grande dame distinguée, veuve d'un grand serviteur de l'état, vint pousser la porte du Girouet. Elle avait voulu, elle aussi, profiter du spectacle que le mariage du fleuve et du soleil offrait aux gens qui prennent le temps de jouir de ces magnifiques instants. Âgée mais encore alerte, la dame rentrait chez elle à pied.

« Les enfants », car telle était sa manière d'appeler ceux qui eurent pu être de ses anciens élèves, « j'ai grand souci en ma maison. Depuis quelques jours, je n'ai plus de télévision. Ma box ne fonctionne plus malgré la visite récente d'un technicien venu à son chevet. S'il a remis en marche internet et le téléphone, mon téléviseur reste aveugle. J'en suis bien marrie ! »

Les deux compagnons toujours prompts à rendre service, se proposèrent de pousser jusqu'à chez elle pour examiner d'un peu plus près cet étrange mystère de la technique récalcitrante. Ils n'avaient rien de mieux à faire et l'idée de donner un petit coup de main n'était pas sans leur déplaire.

Mais s'il est facile de se penser capable de résoudre les aléas de la modernité, il est bien plus délicat de mettre ses propos en actes. Devant la box obstinée, nos deux lascars restèrent eux aussi dans le noir. Ils pestèrent, multiplièrent les gestes aléatoires, débranchèrent, rebranchèrent, changèrent toutes les connections sans que rien de bien tangible ne se passât. Ils devaient admettre qu'ils avaient le nez dans la farine.

En désespoir de cause, le plus débrouillard fit appel au secours de la maintenance à distance. Un certain Nestor prétendait lui aussi régler d'un coup de baguette magique le problème de la dame qui n'en pouvait plus. Nestor demanda une multitude de renseignements, de codes et de détails à son interlocuteur souvent en peine de lui répondre. L'autre marinier faisait la conversation avec la dame, c'était là sa seule compétence indiscutable.

Le temps passa, Nestor et son interlocuteur n'avancèrent guère dans la résolution du problème. L'espoir ne semblait pas venir de ce côté là. Le bavard eut alors l'idée d'appeler un ami, voisin de la dame et technicien à l'ancienne de nos défunts PTT. L'un de nos deux mariniers savait le garçon toujours disposé à rendre service et ne fut pas surpris de l'entendre dire qu'il arrivait dans l'instant.

Le professionnel sur place ne fut pas surpris des difficultés techniques. Le matériel de la dame datait de Mathusalem ou peu s'en faut. Il avait bientôt dix ans d'âge, une éternité en matière de communication. C'est alors que la dame, ancienne professeur de lettres découvrit avec jubilation et gourmandise de la langue, qu'elle était victime d'un concept qu'on nomme dans les milieux autorisés et malveillants « L'obsolescence programmée ». Que les idées vilaines et les intentions honteuses peuvent avoir de jolis noms …

Après des efforts désespérés, Nestor d'un côté et le voisin technicien de l'autre admirent qu'il n'y avait d'autre solution que de changer la Box et le décodeur. C'est ainsi qu'il convient de faire dans une société dite de consommation. Pour ajouter une petite touche d'exotisme, tout ce matériel qui ne tient pas l'épreuve du temps, nous vient de Chine. Devant tant de nouvelles désagréables, la dame se dit que ce soir encore, elle passerait la soirée sans télévision. Demain, il lui faudra changer tout cet équipement complexe. Elle fera le trajet à pied, elle n'est pas certaine qu'elle trouvera bon accueil dans la boutique de monsieur Orange. Pour lui faciliter la tâche, nos compères démontèrent les appareils qui avaient rendu l'âme. Quant au voisin charmant, il promit de passer dès le lendemain dans l'après-midi pour remonter ce que sa société voudra bien lui redonner.

Voilà une histoire banale, elle se passe en bord de Loire. Elle eut tout aussi bien se dérouler ailleurs. Nous sommes devenus les esclaves d'appareils énigmatiques et bien complexes. Vivre sans eux est devenu difficile, obtenir réparation est chose plus délicate encore et comprendre quelque chose est cette fois, une épreuve insurmontable.

Devant tant de contrariétés, nos deux compères poursuivirent leur chemin pour se dépêcher d'ouvrir une bonne bouteille. Un petit vin de France, voilà bien la dernière production humaine qui échappe à l'odieuse obsolescence programmée. Ils burent un verre pour oublier l'aventure et c'est là que j'appris ce que je viens de vous céder. Vous en ferez le meilleur usage à n'en point douter …

Numériquement sien.

vidéo qui s'autodétruira bientôt : 


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