Si le singe est moins intelligent et moins dément que l’homme, c’est à cause des méthylations

par Bernard Dugué
mardi 25 septembre 2012

L’étude des mécanismes épigénétiques ne cesse de livrer des résultats importants montrant le rôle essentiel de ces processus dans le développement des organismes mais aussi les transformations évolutives laissant des « traces épigénétiques » dans les différentes espèces (comme on a pu l’exposer précédemment). Ces mécanismes sont de plusieurs types. Modifications des histones, de l’ADN, expression des gènes, régulation par les nombreux types d’ARN, de petites tailles ou plus longs. Une équipe de chercheurs conduite par Soojin Yi à Atlanta vient de publier des résultats portant essentiellement sur le degré de méthylation de l’ADN consigné en établissant des cartes épigénétiques ciblant les régions du génome. Les méthylations assurent nombre de fonctions dont certaines ont été identifiées. Elles sont présentes chez les vertébrés mais absentes de deux invertébrés parmi les plus étudiés, la mouche drosophile et le ver nématode. Les méthylations interviennent de manière déterminante dans l’expression ou la répression des gènes et leur rôle évolutif est largement établi, ainsi que leur rôle dans le passage du génotype au phénotype. L’étude récemment publiée a consisté à comparer les cartes épigénétiques de cellules du cortex préfrontal, les unes provenant de l’homme et les autres du chimpanzé (J. Zeng et al. American J. Human Genetics, 91, 1-11, 2012).

Les généticiens se demandent comment les schémas de méthylation diffèrent sensiblement entre espèces très proches et si ces différences sont déterminantes pour le phénotype et l’évolution. En utilisant une technique spécifique, Yi et ses collaborateurs ont trouvé des divergences appréciables en comparant les cortex de l’homme et du chimpanzé. Ils ont pu aussi relier ces divergences aux différences d’expression des gènes dans les cerveaux respectifs de ces espèces proches. Mieux encore, des profils de méthylation spécifiques ont pu être associés à des pathologies propres à l’homme. Ces processus de modifications de l’ADN sont donc d’une grande importance car ils déterminent le phénotype des cellules tout en modulant l’expression des gènes. Dans les détails, les méthylations sont directement impliquées dans la répression des gènes lorsqu’elles se produisent au niveau de ces séquences particulières que sont les promoteurs et qui peuvent permettre l’expression des gènes ou bien les rendre silencieux lorsqu’ils sont précisément méthylés. Autre champ d’intervention pour les méthylation, celui des épissages alternatifs ainsi que la régulation des micro-ARN, petits fragments d’une à deux dizaines de nucléotides dont le rôle régulateur est très important.

Le premier résultat à retenir de ces études, c’est le haut degré de méthylation dans les cellules de cortex cérébral, comparativement à d’autres cellules du même organisme. Phénomène qui contredit l’hypothèse d’une méthylation croissante en fonction du degré de différenciation cellulaire. De plus, ce haut degré de méthylation serait compatible avec le constat que l’expression des gènes cérébraux est particulièrement soumise aux contraintes évolutives. Ainsi, ces méthylations exerceraient un contrôle sur un éventuel bruit présent dans toute expression génétique. Ces hypothèses sont fort intéressante dans le cadre du paradigme récent de la dynamique génomique génératrice d’instabilité et de bruit qui, s’il est maîtrisé, permet la différenciation phénotypique et surtout, la plasticité cellulaire. Et justement, cette plasticité qu’on associe aux facultés mentales développées de l’homme semble associée à un degré de méthylation cérébrale moins élevée que chez le singe. L’homme est plus intelligent que le singe mais le revers de la médaille, c’est que la plus faible méthylation du cerveau serait aussi corrélée à la genèse de diverses pathologies parmi lesquelles l’autisme, l’addiction, quelques formes de démence et enfin certains cancers. Enfin, on peut observer une augmentation de méthylation avec l’âge, ce qui laisse penser que l’expression génique se stabilise. Ce fait a été constaté chez des sujets de 47 et 48 ans comparés à un autre de 31 ans. Ces résultats sont en effet compatibles avec les données récentes montrant une instabilité expressive du cerveau chez l’enfant et l’adolescent. Mais passé les 55 ans, il semble que l’expression génique se déploie à nouveau. Et comme le soulignent Yi et ses confrères, d’autres résultats vont dans un sens contraire, ce qui montre le chemin à parcourir pour avoir des données fiables pouvant être insérées dans un schéma global de la dynamique informationnelle liée au génome et à l’épigénome.

La conclusion la plus tangible reste donc le lien entre une méthylation plus faible de l’ADN chez l’humain et la fragilité de l’homme face à cette panoplie de pathologies qui lui collent à la peau, certaines liées à la prolifération cellulaire, d’autres à des dégénérescence et enfin certaines liées à des désordres cérébraux manifestes. Pour le reste, le rôle des processus épigénétiques apparaît de plus en plus complexe, laissant penser comme je l’avais déjà suggéré que les secrets du vivant échappent à notre compréhension et par voie de conséquence, à la maîtrise totale de la vie, pour le meilleur et pour le pire. Pour finir, cette question des méthylations ouvre un questionnement sur le sens de l’évolution. Mais je resterai silencieux sur ce sujet.


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