Sida, encore une découverte majeure et une incroyable hypothèse, le Sida Vinci code

par Bernard Dugué
jeudi 13 mars 2008

De nouveau, une découverte importante sur le sida, encore moins médiatisée que la précédente concernant la protéine FOXO3a associée à l’apoptose, mais tout aussi intéressante pour ce qu’elle dévoile sur les mécanismes de défense immunitaire, leur effondrement en cas d’infection du virus HIV ou bien les possibilités de résilience avérées chez quelques sujets ou encore imaginées en vertu de quelques traitement visant à inventer un improbable vaccin. Stephen Barr, de l’université d’Alberta, a montré avec son équipe le rôle important d’une protéine issue du gène TRIM22, capable de neutraliser le processus d’assemblage du virus HIV dans une cellule infectée (PLoS). Il est connu depuis peu comme étant impliqué dans la lutte des cellules humaines contre les virus. Son mécanisme d’expression est inopérant chez les sujets infectés par le virus HIV.

Une fois de plus, les processus décrits sont complexes et, sans doute, entrelacés au possible, déjouant les investigations scientifiques qui pourtant, progressent par de petites et moyennes étapes afin de saisir comment cette machinerie aussi sophistiquée que le système immunitaire se trouve déjoué par la ruse d’un virus, provoquant l’effondrement des défenses lorsqu’il pénètre dans les cellules portant le déterminant de surface CD4, notamment les cellules T, support de la mémoire immunitaire, en induisant l’apoptose. La découverte initiée par Barr concerne une autre voie que celle impliquant la protéine FOXO. C’est un peu comme si le sida était une conquête d’un sommet avec des faces Nord, Sud et encore d’autres permettant d’accéder au sommet, ou du moins à un certain niveau où l’on contemple les résultats et on se dit, enfin, qu’on comprend ce qui se passe et qu’on peut songer à dominer la situation. Plus de vingt ans après la découverte du Pr Montagnier, la lutte contre le sida en est encore à ses balbutiements. Une nouvelle piste pour envisager une nouvelle cible, affirme Debra Jakubec, responsable de HIV Edmonton, insistant sur la prévention en pratiquant des rapports protégés, seul lutte efficace contre le virus ; alors que Barr abonde dans ce sens en évoquant sa découverte qu’il place dans l’enfance de la lutte contre HIV. Une bonne mise au point dans un contexte où la plupart pensent que l’affaire est solutionnée avec les trithérapies permettant de reculer la date fatidique de la mort chez les porteurs et, donc, de mener une vie « normale » comme s’il s’agissait d’un banal rhume persistant. Voilà une mise au point nécessaire. Le sida a deux volets, l’un d’ordre sanitaire et social, se préserver de la maladie par des pratiques efficaces, l’autre scientifique, distinct, visant à comprendre comment cette infection mine le sujet atteint en interférant avec les mécanismes moléculaires de l’immunité. C’est que font les chercheurs depuis vingt ans, avec des résultats, mais sans promesse de réussite permettant de contourner la chimiothérapie actuelle.

Et les chercheurs sont franchement déconcertés par ce virus qui ruse à l’échelle moléculaire et ne se laisse pas cerner en dépit de tous les efforts. C’est un peu comme la traque d’un tueur en série laissant des indices, mais échappant à la police. La découverte de Barr complique plus qu’elle n’éclaircit l’affaire. La protéine TRIM22 est induite par l’interféron, médiateur bien connu dans l’immunité ; elle permet de réduire la transcription du virus HIV, tout en étant soupçonnée de participer à la défense immunitaire contre d’autre virus. Les travaux de Barr ont montré que cette protéine empêcherait l’assemblage du virus dans la cellule. Le virus, faut-il le préciser, est composé d’une séquence d’information génique, ARN dans le cas du HIV, rétrovirus (ADN pour d’autres virus) et d’une enveloppe qui lui sert de protection et de vecteur pour infecter les cellules. C’est à ce niveau où cela devient ambigu car empêcher la réplication du virus suppose une action dans le noyau et au niveau des enzymes agissant sur les supports génétiques, alors qu’empêcher l’assemblage suppose une action bien distincte. Une action précisément identifiée par Barr qui semble avoir éclairci cette énigme. La protéine TRIM22 interfère avec le fonctionnement des protéines Gag, indispensables à la formation de la capside. Elle n’empêche pas son expression à partir du gène rétroviral, mais interagit une fois la protéine gag synthétisée (avec deux mécanismes possibles, migration intracellulaire ou bien dans le processus d’assemblage). Et, donc, si le virus continue à infecter la cellule, il ne peut plus en sortir équipé de cette enveloppe, avec une structure complète lui permettant de migrer et pénétrer dans d’autres cellules. TRIM22 agit grâce à deux résidus cystéine, acide aminé connu pour ses propriétés actives en termes de réaction biochimique catalytique.

L’article de Barr fait état par ailleurs d’une liaison de TRIM22 avec la protéine gag du virus HIV, mais pas avec les protéines gag du virus de la leucémie murine (MLV) et de celui de l’anémie infectieuse des équidés (EIAV), tous deux rétrovirus comme HIV, le premier de la famille gamma rétrovirus, capable d’induire des sarcomes et le second appartement aux lentivirus comme du reste HIV (dénommés ainsi pour leur temps d’incubation élevé). Par contre, une autre protéine antivirale humaine, la TRIM5alpha, possède des propriétés antivirales contre MLV et EIAV, en utilisant un même mécanisme, à savoir une interférence avec les protéines gag de la capside virale.

Y a-t-il un Sida Vinci code ?

C’est justement là où ça devient intéressant. La progression du virus est contrecarrée par un effet sur la protéine gap qui ne peut plus s’intégrer dans l’enveloppe virale, grâce à TRIM22, protéine régulatrice que l’on sait être activée par l’interféron et qui, chez les patients séropositifs, s’avère inopérante. Comme le dit Barr, pour des raisons inconnues, cette protéine ne fonctionne pas chez les sujets porteurs du HIV. Ce qui voudrait dire que le virus HIV agit de manière « intelligente » en neutralisant un processus (mais à quel niveau) interférant avec son assemblage et, donc, sa capacité à se constituer en particule virale prête pour quitter la cellule hôte et infecter d’autres cellules. Et, comme on dit, ça se corse et l’affaire devient passionnante. Dans doute plus que ne l’imaginent les scientifiques étudiant cette « bestiole moléculaire » qu’est HIV. Autant dire que nous entrons au cœur des mécanismes de la vie. Plus précisément, la mise à jour d’un réseau de signaux interprétés par les cellules, mais dont nous ignorons le code complet. Et d’ailleurs, rien ne dit que les cellules disposent d’un même code. Une investigation bibliographique étendue montre quelques coïncidences. La protéine TRIM22 joue un rôle antiprolifératif dans l’activation d’une souche de lymphocytes T (Obad et all, JICT, 10, 657) suite à une action de la protéine p53, parfois désignée comme gardienne du génome car elle intervient dans les régulations transcriptionnelles. On la retrouve justement impliquée dans le fonctionnement de HIV et, pour cause, puisque le virus a besoin d’activer les mécanismes de transcription intranucléaire pour se multiplier. Par ailleurs, on a pu détecter une intervention de cette protéine p53 dans les processus apoptotiques, sous l’activation de la protéine FOXO3a (You et all, PNAS, 103, 9051), celle qu’on retrouve justement impliquée chez les porteurs résilients, où elle présente un phénotype différent. En cherchant plus loin, on trouverait une kyrielle de découvertes de processus régulateurs mettant en scène tous ces modules protéiques et nucléiques.

Alors voilà une hypothèse à prendre pour ce qu’elle vaut de droit dans le champ scientifique, c’est-à-dire comme une hypothèse. L’information « source » du vivant est censée être portée par l’ADN, avec ses gènes, sorte de disque dur duplicable de générations en générations, transmis de cellule à cellule durant l’ontogenèse. A partir de ce système, un second dispositif devrait intervenir, métaphoriquement comparable à celui d’un système d’exploitation d’ordinateur, Windows ou Linux. Les logiciels informatiques sont composés de modules, d’éléments, parfois cibles de virus, comme peut l’être kernell32. Les voies de régulations épigénétiques, impliquant protéines régulatrices, gènes, ARN, modifications pré ou post transcriptionnelles et post-traductionnelles (phosphorylation par exemples) sont organisées comme un réseau où des motifs, des réactions, des liaisons, des séquences, agissent mutuellement les uns sur les autres, si bien que l’ensemble ressemble d’assez près à un logiciel d’exploitation avec ses modules se renvoyant la balle. Bref, si Galilée scrutait les mécanismes du vivant, il dirait, pensant à son idée d’un univers physique écrit en langage mathématique, que l’univers complexe de la vie est écrit en langage algorithmique.

Si cette hypothèse se tient, le virus HIV possède un mécanisme d’action ayant quelques similitudes avec un virus informatique étant donné que son action semble être de perturber un logiciel d’application gérant les réponses immunitaires, avec ses régulations complexes, de modules moléculaires interagissant en réseaux pour donner une réponse globale et efficace. Il se peut aussi que le virus n’agisse pas seul, soit avec des co-facteurs transmissibles, soit avec la coopération d’un état physiologique du patient. Quoi qu’il en soit, on comprend pourquoi la vaccination ne peut être une solution, face à un virus qui déjoue le logiciel informatique. Alors qu’une vaccination classique agit efficacement en introduisant une donnée formelle sur l’identité d’un éventuel intrus qui sera alors détruit par la « police immunitaire » rendue plus efficace dans le timing de la réponse.

Quelle conclusion ? Le sida, comme le cancer, nécessite une approche nouvelle, ne serait-ce que pour comprendre la logique d’ensemble de ces mécanismes de dysfonctionnement portant sur des « logiciels du vivant ». Et comme pour le cancer, je serai prudent en envisageant qu’il n’y ait pas de solution, hormis la batterie chimiothérapique qui, certes, peut être améliorée, mais ne peut pas avoir l’efficacité d’un « miraculeux » rétablissement de l’intégrité d’un organisme auquel on aurait appris à refaire fonctionner son « logiciel vital ». Mais...

Le principe de Gabor dit que tout ce qui est techniquement possible sera réalisé un jour. Alors j’énonce sa transposition en matière de science. Tout ce qui est intellectuellement accessible au savoir sera découvert un jour !


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