Silex... Du nouveau ! (2)
par BURIDAN
lundi 13 juin 2011
SPHERULES... SPHERULES !
Dans cette deuxième livraison concernant les accidents siliceux des assises crétacées et tertiaires du gisement du Bois des Roches près de Vigny (Val d’Oise) je me pencherai sur l’organisation « intime » de la structure des silex boudinés au travers de l’examen de quelques sections et lames minces…
A - SECTIONS.
L’observation de sections naturelles est habituelle sur le terrain. Elle permet d’affiner l’analyse en abordant une troisième dimension, de confirmer ou abattre des hypothèses.
Echantillon h-20 86-2
Aspect du cortex. Cet exemplaire, trouvé dans la craie à bryozoaires, montre (fig. 22) une figure d’expulsion liée au choc d’un corps volumineux. La pâte a été rejetée vers l’extérieur de la cavité d’impact.
Figure 22. Ech. h20 86-2. Les figures du cortex.
Une série de traces de rebond est visible. Deux petits creux indiquent un cortex encore mou. La dernière trace, en rebroussement, montre que celui-ci était presque durci.
Ailleurs, un « poinçonnement » témoigne à la fois de la souplesse de la partie superficielle, de son élasticité et, conséquemment, de la fluidité du cœur du silex.
Un examen plus attentif de cette zone corticale permet de préciser les états du nodule. Les bourrelets témoignent d’une matière molle de consistance pâteuse. Ceux-ci ont ensuite partiellement été effacés par abrasion : la matière était devenue plus résistante. Enfin la succession des rebonds, de moins en moins marqués sur le cortex, enregistre la phase finale de son durcissement. La première encoche, la plus profonde, suggère un retour à un matériau fluide, plus fluide que celui entamé par l’abrasion…
Description de la section. Grise, on y observe des lignes foncées, les « liserés », qui se joignent ou qui peuvent être subparallèles entre eux (fig. 24). Ces liserés viennent aussi buter sur des taches, les « intraclastes » (fig. 19), qui correspondent aux lithoclastes et aux bioclastes visibles sur la surface corticale. Ces derniers sont souvent irréguliers, corrodés, ou même nuageux. Ils montrent des indices d’étirement.
La section A (fig. 23) de h20 86-2 figure trois intraclastes arrondis faisant saillie sur la surface et leurs relations avec les liserés internes. Deux liserés foncés viennent buter en étirement sur un intraclaste. Cette disposition rappelle la forme des ménisques observés sur la surface de l’échantillon type…
Figure 23. Echantillon h20 86-2 Section.
Photo A – 1 : Intraclaste en boule, corrodé dans sa partie externe. 2 : Liserés foncés en structure de ménisque. 3 : Cortex épaissit en raison d’une compression latérale. 4 : Cortex amincit par étirement et abrasion, 5 : Lithoclaste enfoncé dans la masse nodulaire, 6 : Silice granulaire de comblement de la cavité liée à l’enfoncement de l’intraclaste (5) ; 7 : Fragment organique (alguaire ?) ; 9 : Incurvation des liserés sous l’effet de la pénétration de l’intraclaste. 10 : Liserés en arborescence… 11 : Intraclaste (bioclaste) : il s’agit d’une petite éponge lithistide. 12 : Tâches nuageuses ou les liserés disparaissent…
Un deuxième intraclaste a pénétré le cœur du silex. Ici les liserés s’infléchissent, se déforment, sont comprimés à son contact… La cavité externe liée à l’enfoncement montre un remplissage blanc et dense. C’est une silice granulaire (bien visible sous faible grossissement) ressemblant un peu à du cacholong (altération superficielle blanche des silex sous l’effet des agents atmosphériques).
Sur cette coupe le cortex est très épais, notamment entre les deux lithoclastes arrondis (6 mm d’épaisseur).
Les liserés sont disposés en arborescences qui joignent un intra(litho)claste en circonscrivant et limitant le cœur du silex. Ces liserés foncés sont les équivalents des bourrelets superposés visibles sur la surface corticale des silex boudinés… Partant de cette observation, on reconnait des structures observées sur l’échantillon type (première partie de l’étude). Ici ils s’infléchissent sous l’effet d’un claste s’enfonçant dans la masse nodulaire… Ailleurs, deux liserés joignent un intraclaste arrondi en dessinant un ménisque (fig. 23 M).
Comment expliquer cette disposition alors que toutes nos observations précédentes nous montrent que le durcissement en surface des nodules s’est réalisé instantanément ??? Si ce ménisque était « durci » avant d’être inclus dans le cœur du nodule et si les liserés foncés correspondent à des surfaces de durcissement successives, comment expliquer qu’ils se soient infléchis sous la pression d’un gravier pénétrant le nodule ?
Laissons ces questions en suspens…
Remarquons : ces liserés foncés ne s’organisent pas au cœur du nodule comme une pâte malaxée. On n’y observe pas de replis, de méandres, de recouvrements, d’ondulations…
Figure 24 : autre section du même échantillon h20 86-2.
1, 2 et 3 : Intraclastes aux bordures floues. 4 : Les liserés viennent buter sur les intraclastes. 5 : Sous l’intraclaste (1) deux liserés montrent une inflexion (sur 5mm). 6 : Certains liserés sont colorés par l’oxyde de fer. 7 : Tache nuageuse. 9 : Cortex aminci sous l’effet de l’étirement lié à la pénétration d’un intraclaste. 10 : Cortex épais.
Seule certitude pour l’instant : les liserés ne correspondent pas à des auréoles de croissance disposées autour d’un nucleus, car l’accroissement très lent, par accrétion du nodule siliceux sous l’effet d’apports extérieurs, n’aurait pas permis la réalisation et la conservation des structures de fluidité (cf. première partie).
Le cortex dans ses variations d’épaisseur, témoigne d’étirements/compressions ou (sur d’autres échantillons) de zones d’usure/zones protégées…
Signalons encore la présence de taches « nuageuses » floues qui semblent s’organiser autour des intraclastes inserrés dans la masse du silex…
La seconde section (fig. 24) du même échantillon montre des liserés subconcentriques qui viennent buter sur les intraclastes…
Echantillon h-22 97-1
L’examen de cette autre section est plus complexe que la précédente (Fig. 25 et 26).
Le silex s’est organisé autour d’un gros fragment de silex clair au contour très irrégulier (fig. 25 1) ; dishamonie de ses liserés par rapport à ceux du matériau l’ayant inclus. Cela suppose que ce bloc corrodé était déjà durci lorsque la pâte molle du module l’a « avalé » dans sa masse.
En outre, il est accollé, comme solidaire, à une grande tache foncée. Le contact se fait par l’intermédiaire d’une surface de corrosion bien dessinée. Le contour des deux fragments est en prolongation. Solidaires au moment de leur inclusion dans le nodule ils ne formaient donc qu’un seul intraclaste. Pourtant leurs limites externes, au niveau du contact avec le cœur nodulaire à liserés, sont totalement différentes. Au contour net de la partie claire correspond, pour la partie foncée, une limite nuageuse, floue qui indique que des échanges se sont réalisés entre le matériau englobant et l’intraclaste foncé (migration de la MO, de la silice). Celui-ci semble même s’être, en partie, dissout dans sa masse !
Par contre rien de tel pour la partie claire aux contours nets, corrodés. Le nodule était déjà dur et sans doute dans une phase diagénétique avancée (perte totale de MO – début du passage de l’opale CT à la cristallisation en calcédoine – j’y reviendrai plus loin).
Tout cela pour souligner que les intraclastes foncés montrent fréquemment des indices de fluidification, de dissolution… Tandis que ceux de teinte claire n’ont pas ou peu été modifiés après leur inclusion…
Figure 25. Ech. h22 97-1
L : Intraclastes. G : Cavités géodiques. 1 à 4 : Les différentes phases d’inclusion de matériel exogène (lithoclastes)… 1, 2, 3 constituent au sein du silex définitif un seul lithoclaste.
Autre phénomène : on observe des cavités tapissées de petits cristaux de quartz au sein des lithoclastes foncés (à contour flou) (fig. 25 et 26). Cela implique qu’au cours de la transformation tardive du nodule en silex, autrement dit en calcédoine, il y ait eu mobilisation et libération d’espace sous l’effet de la dégradation, du déplacement et de la disparition d’une partie de ses composants (carbonates ou matière organique ?).
Figure 26. Ech. h22 97-1 Les cavités géodiques
A : Terrier d’annélide. L : Intraclastes. G : Cavités géodiques. 1, 2 : Phases de formation des intraclastes. 1 et 2 sont solidaires et forment un seul intraclaste.
Par ailleurs, les figures d’étirement observées sur certains intraclastes montrent qu’ils ont retrouvé une grande malléabilité, qu’ils ont été déformés et lors de leur inclusion dans la masse nodulaire…
Les liserés et certains intraclastes sont de teinte plus foncée que le reste du cœur du silex. Ils correspondent aux zones de porosité inter-cristalline plus faible que les parties claires du silex. Phénomène qui apparaîtra de façon encore plus évidente lors de l’examen des lames minces et qui implique une recristallisation tardive.
Autrement dit, les zones foncées correspondent aux endroits où la porosité, durant la phase de comblement des espaces inter-granulaires par la calcédoine, était restée la plus importante. La circulation des fluides y a donc été facilité. Le cortex blanc qui semble être la partie la plus poreuse du silex, représente la zone où, contrairement aux zones foncées, la silicification précoce (sous forme d’opale CT) a été la plus intense ! (Mais on pouvait s’en douter puisque les lithoclastes qui hérissent les silex boudinés correspondent pour la plupart à des fragments de croûte nodulaire !)
Illustration : le terrier d’annélide en section visible sur l’échantillon. La paroi épaisse de ce dernier, sans doute très riche en composant organiques, a tout de suite été silicifiée (phase sphérulitique/opale CT) et durcie. Mais elle montre aujourd’hui une porosité importante (aspect blanc). Par contre l’intérieur du terrier, de teinte sombre, à été soumis à une recristallisation tardive plus intense !
B - LAMES MINCES
Lame mince (éch. m-14 96-3).
La lame mince m-14 96-3 a été réalisée à partir d’un échantillon provenant du front nord de la grande carrière. Ce silex boudiné, recueilli en place dans la craie à bryozoaires, avait une allure cylindrique, il était long d’une vingtaine de centimètres. Le fragment à partir duquel a été réalisée la lame mince, correspond à l’une de ses extrémités hérissée de quelques lithoclastes (fig. 27).
Figure 27 – Aspect extérieur du silex.
Description de la lame mince.
De l’extérieur vers l’intérieur de l’échantillon on observe :
- Cortex superficiel (fig. 29 et 30). Epaisseur variant entre 0,2 mm et 4 mm (moyenne : 1 mm). Il n’est pas présent sur toute la périphérie de la section. On y observe de très gros sphérules non soudés entre eux et qui atteignent et dépassent 0,05 mm de diamètre. Elles sont associées à des sphérules plus petites, soudées entre elles par un liant calcédonieux microcristallin.
Figure 28. Lame mince m-14 96-3 vue générale.
Dimensions de la lame mince : 45 X 60 mm. 1 : Cortex externe. 2 : Cortex dense. 3 : Zone foncée du cortex dense. 4 : Liserés interne. 5 : Surface de « progradation » du liseré interne. 6 : Zone nuageuse sombre. 7 : Liseré flou. 8 : Taches en spirale.
Dans cette partie superficielle, la porosité est très importante. Les espaces vacuolaires atteignent 1,5 mm (moyenne de 0,5 mm). On observe des taches et mouchetures foncées qui correspondent généralement à des bulles d’air (fig. 29 D), quelquefois à des opaques (oxydes de fer). Les carbonates sous forme micritique y sont presqu’absents. Ils disparaissent totalement et immédiatement en profondeur, lorsque le cortex devient plus dense.
Figure 29 : Les gros sphérules du cortex superficiel.
1 : Cortex superficiel ; 2 : Sphérules géants ; 3 : Sphérules de taille moyenne ; 4 : Cortex dense. On entrevoit la structure fibro-radiaire des sphérules. 5 : Bulle d’air. 6 : Sparite. 7 : Bioclaste micritisé ; 8 :
La zone corticale externe, vacuolaire, emballe des fragments organiques silicifiés sous forme de « fantômes » recristallisés ou micritisés - donc opaques - (fig. 30) : foraminifères, filaments (écailles de poisson ?), spicules d’éponges recristallisés par la calcédoine et ayant un aspect carié…
Figure 30 – Bioclastes (foraminifères)
1 : Gros foraminifère recristallisé en silice calcédonieuse. On y aperçoit même une grosse sphérule (4). 2 : Calcédoine grossièrement cristallisée. 4 : Bulles d’air. 5 : Foraminifère montrant une cristallisation siliceuse conforme à la structure originelle du bioclaste. 6 : Pore bioclastique (les « vides » sont opaques).
- Cortex dense (fig. 31). Il reste poreux (absorption rapide de l’eau). Quelques bioclastes : foraminifères et spicules monaxones dispersés. Epaisseur variable : 2 mm en moyenne ; 3,5 mm sur la partie supérieure de l’échantillon.
En observation directe toute la surface du cortex dense présente un aspect blanc corné. Elle est juste un peu plus rugueuse au niveau de son contact avec le cœur (zone sombre en LM).
Le cortex montre une disposition en relation avec sa polarité. Sur la partie supérieure de l’échantillon constituant la LM (fig. 32 B) le cortex s’organise en bourrelets de fluidité et il montre une limite imprécise avec le cœur du silex. Dans sa partie inférieure (fig. 32 D) le cortex superficiel est distinct du cortex dense. L’un et l’autre montrent une surface ravinée, cariée et leur limite interne est soulignée par les opaques.
Figure 31 : Structure et éléments figurés du cortex dense.
A : Limite cortex externe-cortex dense. B : Cortex dense. C : Zone sombre du cortex dense. D : Cortex dense. 1 : Sphérules. 2 : filament et bioclastes microperforés. 3 : Gros spicule recristallisé grossièrement. 4 : Opaques en réseau dans la partie interne du cortex dense. 5 : Foraminifère complètement recristallisé en calcédoine. 6 : La structure radiale des sphérules est perceptible dans les zones de moiré - interférences des grains qui tendent à former un réseau. 7 : Deux bioclastes (radiolaires ?) microperforés et recristallisés assez finement en calcédoine.
Sur l’arrière du silex (fig. 32 A) les deux parties du cortex sont régulières, épaisses et elles montrent des limites distinctes chargées en opaques. Sur la partie avant (fig. 32 C) les cortex sont indistincts et sans « opaques »…
Les bioclastes, essentiellement des spicules, sont dispersés et fortement recristallisés en calcédoine. Les vacuoles sont rares.
Figure 32 : Géométrie de l’organisation corticale.
A : Partie arrière du silex. B : Partie supérieure. C : Partie avant. D : Partie inférieure. 1 : Cortex externe. 2 : Opaques et limite du cortex externe. 3 : Cortex dense. 4 : Opaques et limite du cortex dense. 5 : Cœur du silex.
- Cœur du silex (fig. 33 à ). Microfossiles dispersés et rarement brisés : spicules monaxones, gros foraminifères (fig 33 B et D), écailles de poissons (fig. 33 C), radiolaires fragmentés… Rarement déterminables, ces fossiles sont soit recristallisés soit micro-perforés. Leurs loges montrent souvent de grosses sphérules bien formées.
Figure 33. Quelques éléments figurés du cœur du silex.
A – Un intraclaste est circonscrit par des opaques. Un spicule monaxone est visible. B – Gavelinopsis très micritisé. C – Ecaille de poisson. D – Foraminifère indéterminé. A noter que la structure radiaire des sphérules est perceptible ici.
Le cœur du silex montre aussi de très nombreuses mouchetures « opaques ». Celles-ci coïncident avec les espaces qui séparant les sphérules à structure radiaire (fig. 33 D). Or les liserés, qui semblent foncés à l’œil nu, correspondent aux parties les plus claires en LM, c’est à dire aux zones les moins poreuses, où la calcédoine microcristalline dense a comblé les espaces inter-grains (comme semblent sombres ou opaques les bulles d’air emprisonnées lors de la confection de la lame mince). Les mouchetures sombres correspondent en fait les micro-vides séparant les sphérules… Cela est souligné par l’effet moiré (fig. 34) qui apparait dans les zones où les « opaques » sont les plus nombreux (sur la platine du microscope…). Moiré qui est dû d’une part à la grande transparence des sphérules elles-mêmes et évidemment à la superposition des vides inter-granulaires…
En somme les mouchetures rendent compte de la densité, de la porosité du silex mais aussi de l’organisation sphérulitique du silex… C’est cette structure poreuse, liée aux espaces inter-grains, qui donne son aspect gris et mat au cœur des silex boudinés. Ces mouchetures « opaques » varient entre 20 et 40 % en occupation de la surface.
Figure 34. Effet moiré au niveau des zones vacuolaires (sombres) du cœur du silex.
Le jeu des interférences fait apparaître agrandi la structure intime du silex. La relation parties claires/parties sombres est donc préservée : environ 50 % de vide ici, ce qui est énorme. Le même phénomène rend compte de la structure radiaire des sphérules.
Dans les zones qui apparaissent claires au microscope, où les mouchetures « opaques » amiboïdales sont les moins nombreuses, la silice est dense et uniforme. Les vides inter-grains ont été comblés par la calcédoine microcristalline et les structures radiaires des sphérules ne sont plus perceptibles (sauf, en de rares endroits, par « moiré »). L’organisation sphérulitique de cette partie du silex a donc été presqu’effacée sous l’effet de la recristallisation.
Les oxydes de fer sont présents au niveau du cortex et de certains liserés internes. On les retrouve en LM sous forme de micro-grains opaques parfois agglomérés autour de petits bioclastes. Quoique significatifs en ce qui concerne les conditions environnementales et dans le rapport avec les composants de la MO, ils ne jouent, dans l’organisation du silex, qu’un rôle secondaire.
Les liserés foncés décrits plus haut (fig. 23 à 26) lors de l’examen des coupes apparaissent en lame mince comme des bandes claires intensément recristallisées. Leur forme (convexe vers l’extérieur) correspond aux bourrelets arrondis qui sont visibles en surface.
En leur sein, les bioclastes micritisés, les petits lithoclastes étirés s’organisent selon des directions préférentielles et soulignent une disposition en micro-biseaux (fig. 34)…
Mais surtout ces biseaux ne sont bien dessinés que dans la partie supérieure du silex (je rappelle que la polarité de ce dernier a été relevée lors de son prélèvement). Dans sa partie inférieure les liserés, comme la zone corticale, s’organisent en surfaces de ravinement…
A l’avant cortex et liserés sont déstructurés et flous.
A l’arrière du silex (partie gauche de la lame mince - fig. 36) pas de liseré. Une grande tache nuageuse sombre (fig. 35-4 et fig. 36) vient buter sur un cortex très épais et bien dessiné. Elle semble correspondre au noyau nodulaire. Cette tache montre une assez grande proportion de spicules (sous forme de « fantômes plus ou moins distincts). Elle pourrait donc correspondre à un (ou des) spongiaire(s) totalement désorganisé(s). Son contour montre des indices de rupture, fluidification, déformation et même dissolution au sein du nodule encaissant dont les limites sont soulignées par le liseré le plus central… On observe d’autres indices de fluidité, par exemple de petits amas opaques qui prennent une allure de nébuleuse (fig 35 - 6)... Ces données indiquent à nouveau l’influence des contraintes et des courants…
Nous trouvons, au travers des rides et déformations internes du silex une preuve supplémentaire de la nature plastique, molle, du matériau qui est à l’origine des silex boudinés. Remarquons que les contraintes qui sont à l’origine de l’organisation en « liserés » au cœur du silex n’ont pas jouées selon une direction constante (flèches jaunes de la figure 35).
Figure 35. Relations et organisation des bourrelets et liserés.
Les flèches (jaunes et oranges) indiquent le sens des contraintes qui sont à l’origine des bourrelets et des liserés. 1 : Cortex externe. 2 : Cortex dense. 3 : Cœur du silex et liserés. 4 : Tache « nuageuse ». 5 : zone de « dissolution de la tache nuageuse. 6 : Petites tache « nébulosiques ». 7 : Gros foraminifère entièrement micritisé.
Le nodule à l’origine du silex a connu une croissance de son volume par ajouts de matériaux superposés. Les liserés correspondent aux limites corticales successives. On peut donc distinguer plusieurs phases d’accumulation (figure 36). La géométrie des clastes, leur alignement, la forme des liserés en rides permettent de déduire la direction des contraintes, des courants.
La figure 36 tente de donner la chronologie des phases de croissance du nodule. Il faut souligner, dès maintenant, que l’examen des autres échantillons montrent tous une croissance par phases successives. Cette succession qui marque la croissance en taille des nodules et se clos par leur brusque durcissement définitif, s’est réalisée sur un laps de temps relativement court (quelques années au plus). En témoignent les déformations des liserés les plus profonds lors de l’inclusion des « derniers » lithoclastes…
Cela confirme les données acquises dans la première partie de cette étude : le nodule pouvait connaître un durcissement superficiel tout en conservant une certaine plasticité interne (sans doute plus importante sous la croûte superficielle qu’au cœur du nodule). Cette matière pâteuse (spongine dégradée et opale A, plus ou moins solubilisée et déjà partiellement transformée en opale CT dans la partie centrale du nodule et au niveau de sa surface) a donc été amollie et partiellement remobilisée dans sa partie externe (sous l’effet des remous, soubresauts, vibrations) à plusieurs reprises avant son durcissement soudain et final…
Figure 36. Phases d’accumulation du nodule avant son durcissement définitif.
A : Première phase. 1 : Le nodule originel a été emprisonné par une masse plus importante (limites jaunes). Celui-ci, sans doute partiellement durci, a subit des déformations et dissolutions (2) lors de cette inclusion. Sa visco-plasticité est soulignée par les petites figures en spirale qui témoignent de la circulation des fluides au sein du nodule mou. Pendant cette période celui-ci roule sur le fond marin sur le fond marin (pas de polarité).
B : Deuxième phase (limite orange). Le nodule emballe du matériau sur toute sa périphérie en roulant sur le fond couvert de matière visco-pâteuse (spongine dégradée et silice (opale A) solubilisée). Il augmente de taille. Lors d’une phase de dynamique plus faible il est partiellement enfouis dans les sédiments. Il se stabilise sur le fond et acquière une polarité comme en témoignent les bioclastes et lithoclastes alignés et déformés (5) ainsi que la zone sombre floue qui représente une zone d’accumulation /dissolution (6). Les contraintes sont orientées de gauche à droite. Au niveau de sa partie inférieure, prise dans le sédiment, la circulation des eaux très corrosives (chargées en carbonates dissous) génère une surface corrodée (9).
C : Troisième phase (limite beige). Identique à la deuxième phase mais les contraintes sont inversées (de droite à gauche) ce dont témoignent l’allure des bourrelets (5) et l’organisation des bioclastes (8).
D : Quatrième phase (limite verte). Elle se termine par le durcissement définitif du nodule. La polarité est à nouveau inversée. Sous l’effet des courants, le nodule montre des secteurs d’accumulation à l’arrière du nodule (11), de mise place de rides /bourrelets (10), d’abrasion à l’avant du nodule (12), et de corrosion (9). Sur la photo du haut les flèches rouges indiquent la direction des courants lors de la dernière phase.
…
Observations de la lame mince CAR1 96-1.
L’échantillon a été recueilli en place dans la craie à bryozoaires de la partie nord de la grande carrière.
Dimensions de la lame mince : 45 X 60 mm
Silex allongé de petite taille : 40 x 100 mm
Le silex brisé montre une grosse tache blanche interne circonscrite par un cœur foncé où les liserés sont peu apparents. Son cortex ressemble à celui des silex cornus : épais et régulier marqué de vacuoles. Mais quelques discrètes rides de fluidité et trois lithoclastes traduisent son appartenance à la catégorie des silex boudinés…
Figure 37. Lame mince « car1 96-1 ».
1 – Eponge formant le « noyau » du silex. 2 : Cortex vacuolaire épais visible sur la presque totalité de la périphérie du silex. 2b : Bourrelet. 3 : Gros foraminifère. 4 : Liseré sombre du cortex externe. 5 : Cortex dense très corrodé sur toute la périphérie de la section. 6 – Liserés périphériques en auréoles serrées. 7 –Déformation des liserés au niveau d’un gros foraminifère. 8 –Désorganisation de celui-ci sous l’effet d’un impact. 9 – Taches allongées sombres n’apparaissant que dans la partie inférieure du silex. 10 – Petites taches circulaires s’organisant autour de bioclastes. 11 ; Auréole détritique. 12 : L’auréole détritique se fond avec les liserés. 13 : Gros lithoclaste. La flèche en rouge indique le sens des contraintes déduit du repli cortical.
Description de la lame mince (fig. 37). Le cortex externe est ici bien dessiné, constant sur la périphérie de la coupe, mais variant en épaisseur (1 à 6 mm). Il est très vacuolaire et il emballe un gros foraminifère (Osangularia) dont le test est complètement micritisé et qui laisse voir dans ses loges des sphérules bien formées (0,005 mm). Quelques radiolaires montrent leurs structures élégantes (fig. 40 H et I). Des fragments d’échinodermes très corrodés, micro-perforés, ont été complètement silicifiés (fig. 40 G et I)… Les bioclastes les plus significatifs sont des fragments algaires (fig. 40 E et F). Ils indiquent des eaux peu profondes et que les nodules gisaient sur le fond. Ils ne se sont pas constitués après enfouissement et tardivement comme l’affirme la doxa concernant la formation des silex.
La surface externe du liseré vacuolaire ne montre qu’un seul bourrelet de fluidité (fig. 37 – 2b). Son contact avec le cortex dense se fait, sur toute la périphérie de la section, par l’intermédiaire d’une surface cariée. En profondeur le cortex vacuolaire externe montre une large bande foncée chargée de nombreux bioclastes…
Figure 38 – Cortex et liserés.
1 : Cortex externe. 2 : Cortex dense. 3 : Liserés internes. 4 : Cœur du silex. 5 : Gros foraminifère (Osangularia) pris dans le cortex externe. 6 : Foraminifère perturbant le liseré interne. 7 : Liseré désorganisé sous l’effet d’un impact. 10 : Lithoclastes.
La texture sphérulitique du cortex externe est ici spectaculaire (fig. 39). Les sphérules sont bien distinctes et l’on peut appréhender leur structure fine. Sous fort grossissement, la cristallisation fibroradiée que nous avions postulé, lors de l’examen de la lame mince précédente, disparaît (fig. 39 D et E). Les sphérules montrent une organisation granulaire. Ils sont constitués de petits cristaux de calcédoine qui miment par leur alignement, une structure rayonnante. La partie centrale des sphérules est évidée et sur la partie la plus externe du cortex ils ont une fausse allure discoïdale… Ce n’est peut-être qu’une impression, puisqu’aucun d’entre eux n’apparait sur la tranche. Cependant l’organisation de ces corpuscules est vraiment semblable à celle de Kamptnerius magnificus (Defl.) qui est un coccolithophoridé des craies marquant le passage Campanien-Maastrichtien… Pourquoi ne point imaginer que la silice ait pû remplacer un à un les atomes qui constituent la thèque calcaire de cette micro-algue, l’épigéniser ? Mais le sédiment encaissant ne montre aucune diffusion de la silice en son sein (pas de reliquat après attaque à l’acide)… La silicification des micro-algues ne s’est réalisée qu’au niveau de la zone corticale externe du nodule (du silex déjà constitué ?).
Figure 39 – Le cortex externe.
A : Vue du cortex externe (1) dans sa section. La porosité importante de ce dernier est perceptible (taches amiboidales foncées. 2 : Cortex dense. B : Les sphérules sont peu cimentés par la calcédoine. C : Idem. D et E : Les sphérules ressemblent à des coccolithes ! Au genre Kamptnerius par exemple ! Mais ils sont bel et bien constitués de silice… Ils ont une allure discoïdale creuse…
Le cortex externe passe au cortex dense par l’intermédiaire d’une surface cariée qui circonscrit entièrement le cœur du silex. Le fait que cette surface affecte tout le pourtour de la section visible en lame mince, indique que cette partie du silex était complètement (ou presque) recouverte d’une couche peu épaisse de sédiment. Et surtout qu’il est, dans son état nodulaire, resté immobile. La corrosion observée résulte de la circulation des eaux chargées en carbonates qui affecte la partie superficielle du sédiment… On notera aussi que ce cortex dense, dont la limite interne est imprécise, est riche en oxydes de fer (sous forme de granules plus ou opaques). Corrosion et oxydes de fer : les deux pourraient être liés …
Figure 40 – Quelques structures et éléments figurés du cortex externe
A : Structure de détail de l’Osangularia . Les sphérules bien dessinées remplissent partiellement les loges du foraminifère. Ses parois sont micro-perforées (sombre) et leur contour est flou. Gros cristal de sparite (1). Grains d’oxyde de fer en grappe (2). Ces derniers sont assez fréquents mais toujours très dispersés. B : Les sphérules remplissant les loges du foraminifère. C : Sphérules ayant l’allure de coccolithes et structure silicifiée (flèche) faisant penser à un dinoflagellé (Palaeoglenodinium par exemple). D : Foraminifères silicifiés difficilement déterminables. E : Fragment d’algue rodophycée. F : Autre fragment algaire. G : Ossule d’échinoderme micro perforé (contours flous) et silicifié. H : Radiolaire cf. Lychnocanium. I : Autres radiolaires (Cornutella) et fragment échinodermique. Les barres correspondent à 0,03 mm.
D’ailleurs ici, le cortex dense ne mérite pas son appellation. Il reste très poreux. Mais les vacuoles s’organisent ici de façon particulière : elles s’alignent un peu à la façon des fenestrae. Cette disposition semble conditionnée par la taille des sphérules. Ici elles apparaissent beaucoup plus petites de celles du cortex périphérique… Et surtout le lien calcédonieux grossier est dispersé.
Figure 41 – les micro-fenestrae du cortex dense.
Les sphérules sont dix fois plus petites que celles du cortex vacuolaire ! (Le carré de droite a un côté de 0,03 mm).
Mais le plus spectaculaire est la présence, dans cette partie corticale, d’un grand nombre de fragments de radiolaires (souvent indéterminables) et autres organismes siliceux… Je ne résiste pas à en figurer ici quelques uns (fig. 43)… On constate que ces organismes forment souvent des taches sombres dans la matrice siliceuse…
Figure 43 : Quelques microorganismes du cortex dense.
Je n’en donne pas la détermination : ce n’est pas l’objet de cette étude. On remarquera l’abondance des fragments de radiolaires sous forme de taches sombres et les nombreux foraminifères dont le test est toujours silicifié.
Le cortex dense passe imperceptiblement au cœur du silex… Sa limite est indéfinissable … On note simplement que les sphérules disparaissent presque complètement. Ils sont recristallisés en calcédoine grossière…
Ormis une grosse tache spongiforme qui forme un noyau sombre au milieu de la lame mince, le cœur du silex est constitué d’une grande plage claire circonscrite par les liserés formant ici trois bandes sombres, serrées et onduleuses. Aucun bourrelet ou ride comme sur la lame mince précédente… Pas d’indice de mouvement violent… Cette disposition concentrique confirme un environnement calme… On remarque pourtant :
- une petite perturbation qui affecte conjointement les trois liserés : des fragments granulaires lithoclastiques (fig. 38 A) ont pénétrés le nodule sous l’effet d’un impact ;
- un infléchissement des liserés sous un gros foraminifère ;
- des replis ondulants qui témoignent de la pression exercée par un lithoclaste lorsque celui-ci a été inclus dans la masse nodulaire (fig. 37 – 13)
Cela pour faire ressortir que ce nodule, bien qu’immobile et recouvert par le sédiment, formait toujours une masse déformable donc souple, sinon molle.
Le noyau spongiforme. Cette tache est circonscrite par un liseré obscur (fig. 44 A) puis par une auréole brune aux contours onduleux. Il ne s’agit évidemment pas de l’éponge elle-même : aucun réseau n’est visible au sein dette tache. Sa bordure sombre montre un amas de spicules plus ou moins fragmentés et qui sont tous déformés, rendus flous ou obscurs, par les micro-perforations. Deux gros spicules monaxones s’évanouissent en la pénétrant, se « dissolvent » dans sa masse (fig. 44 I & K)… Il est à noter qu’à l’exception d’un gros spicule triactine (fig. 44 B), les organites de spongiaire font défaut au sein de cette zone sombre… Ce qui, d’ailleurs, contraste avec la partie claire qui l’entoure. Les spicules (généralement sous forme de fantômes) y pullulent… Il semble donc que ce soit la composition chimique originelle de ce noyau qui ait permis la solubilisation de la silice et autorisé sa mobilisation… Ce qu’indiquent aussi les petites taches sombres isolées qui englobent toutes un fossile (foraminifère). Il est donc probable que cette coloration brune soit due à la concentration de matière organique au sein du nodule mou. Cette tache sombre résulterait de la décomposition d’une (ou plusieurs) espèce(s), dont le réseau spiculaire libre était surtout constitué d’oxes. Des éléments issus de celle-ci auraient sur sa périphérie et auraient constitués l’auréole brune, où l’on observe de nombreux spicules et autres bioclastes… Bien entendu toute cette MO serait disparue lors de la formation des sphérules d’opale CT et la transformation de ceux-ci en calcédoine…
L’examen de cette lame mince nous permet au moins de postuler que les spongiaires sont à l’origine de la matière organo-siliceuse qui constituera les nodules mous… Ce ne peut être des microorganismes tels que les radiolaires ou les foraminifères qui, bien qu’assez fréquents, ne représentent qu’une part accessoire, minime, du volume des silex (les diatomées sont absentes). On peut même essayer de déduire, sur la base des organites observés, quels sont parmi les spongiaires les taxons les plus susceptibles d’avoir été à l’origine des silex boudinés… La présence de deux spicules desmaux appartenant incontestablement aux lithistides (fig. 44 J et B) n’est pas une indication suffisante pour essayer d’assigner à ceux-ci la tache sombre. Si l’on connait des biohermes à lithistides (dans le turonien de Baudres par exemple) ici, à Vigny, les éponges lithistides n’ont que très rarement été reprises dans le corps des silex boudinés…
Portons notre regard sur les spicules : prédominance des diactines (parfois géantes) associées à des triaenes , des triactynes très spéciales, quelques rhizoclones. Les microsclères semblent absentes. Les Choristida sont caractérisés par un réseau spiculaire libre et la présence de triaenes et de tétraxones… Mais la densité de leur réseau et de spicules très particuliers que l’on n’observe pas ici, semble écarter cette hypothèse…
En dernier recouirs je pense qu’il faut se tourner vers notre bonne vielle éponge de toilette ou plutôt à ses faux-frères indignes de figurer en bonne place dans nos salles de bain…
Ce qu’il nous faut pour constituer la matière molle qui permettra la formation des nodules gluants c’est de la spongine (protéine collagène iodée riche en liaisons disulfures)… Il faut donc se tourner vers des taxons à réseau spiculaires siliceux libre et riches en spongine. Je pense notamment aux représentants des Keratodisa dont de nombreuses espèces actuelles ont la particularité d’inclure dans leur fibre de spongine des corps étrangers et notamment des spicules d’autres spongiaires, des corps siliceux étrangers… Ce qui expliquerait assez bien notre inventaire spiculaire hétérogène ! Si on les associe à d’autres groupes, au squelette fait principalement d’oxes (de spicules monaxones) tels que les axinellides, on trouve et la matière organique (la spongine) et la silice (les spicules) qui vont constituer des lentilles de MO/silice…
Et cela n’est pas complètement spéculatif : de telles colonies existent actuellement ! Il suffit d’imaginer, à une échelle évidemment bien plus importante, la présence, sur les fonds boueux du crétacé, de colonies d’éponges telles qu’on les connait actuellement en Méditerranée (par exemple).
Figure 44 : La tache sombre spongiforme et les éléments figurés du cœur du silex.
A – Vue générale de la tache sombre. 1 : Elle est uniformement grise avec des ponctuations sombres vacuolaires. Très peu de spicules. 2 : La bordure noire « poussiéreuse ». 3 : Deux gros spicules monaxones. 4 : L’auréole dont les contours externes sont onduleux. 5 : Petites taches rondes s’étant constituées autour d’un microrganisme (foraminifère). 6 : Liseré sombre discontinu. 7 : L’auréole efface, perturbe, les trois liserés.
B – Gros spicule triactine observable dans la masse sombre (1). C – Oxea fusiforme (monaxone). D – Protriaene (tetraxone). E : Limite de la tache spongiforme au contour sombre « velouté ». F : Nombreux spicules monaxones très recristallisés. Flèche : rhizoclone desmal. G : La tache sombre et ses ponctuations obscures. H : Spherules perceptibles au sein d’un foraminifère complètement gommé par la recristallisation. On notera leur taille bien inférieure à celles du cortex. I : Spicule se « fondant » dans la tache spongiforme. J : Dendroclone desmal. K : Spicule géant dissout au niveau du contact avec la tache spongiforme.
C- SYNTHESE
Il ressort de l’examen des sections et lames minces :
- La matière molle à l’origine des silex résulte de l’accumulation de restes d’éponges. Pour ce qui concerne les données relevées en examinant les lames minces je postulerai une prédominance des éponges à spongine abondante et particulièrement aux Keratodisa. On remarquera l’absence très significative des lithistides…
- Les colonies de spongiaires en s’accumulant sont à l’origine d’un matériau visco-pâteux recouvrant le fond marin par place. Ces lentilles mélangeaient l’opale-A (spicules), la spongine, les collagènes. (Mais bien d’autres composants ont pu intervenir – rappelons que les spongiaires génèrent des composés organo-chimiques très complexes et très variés – ces animaux « primitifs » étant en quelque sorte des laboratoires d’expérimentation chimique naturels).
- La présence de certains organismes (algues rouges, dasycladales et Ahrdorffia stellulata) permettent d’affirmer que les silex qui nous occupent se sont formés sous une tranche d’eau peu profonde (entre 15 et 40 m) soumise aux effets de la houle et des tempêtes.
- Des copeaux durcis (fragments de terriers, petits clastes formés autour des organismes) en roulant sur le fond ont accumulé du matériau visqueux en formant des nodules.
- Les liserés internes correspondent aux cortex successifs accompagnant l’augmentation de la taille des nodules. Leur accroissement en volume s’est donc réalisé par phases lors des périodes de haute énergie (tempêtes).
- La matière qui constitue le silex est hétérogène : sphérules, calcédoine granulaire, petits fragments de test. Les clastes durcis qui sont pris dans la masse nodulaire (de même nature que le nodule mais formant des copeaux durcis) ont parfois subit des phénomènes de ramollissement/dissolution partielle.
- Les sphérules de calcédoine sont l’élément constitutif principal et primordial du silex.
- L’opale A des spicule métastable a rapidement été mobilisée dans les accumulations de spongine dégradée. L’hétérogéneité du milieu a par ailleurs favorisé simultanément la formation précoce des sphérules d’opale CT.
- La mobilisation de la MO s’est réalisée de l’intérieur vers l’extérieur du nodule. En entrainant la modification du rapport silice/MO sur sa périphérie, ce phénomène a probablement été un des facteurs du durcissement brutal du nodule dans sa forme définitive (proto-silex). Nous y reviendrons en détail dans la dernière partie.
- L’hétérométrie des sphérules doit être soulignée : celles-ci sont dix fois plus petites au cœur du silex que sur sa périphérie.
Figure 45 – Lépidosphères d’opale A (A) et sphérules d’opale CT (craie de Baudre)
- Les sphérules telles qu’elles apparaissent aujourd’hui sont toutes constituées de calcédoine à cristallisation radiale. Bien que leur forme soit héritée des microsphères d’opale CT ce dernier composant semble absent du corps des silex de Vigny.
- La transformation en calcédoine s’est réalisée du cœur du silex vers la périphérie. Sans qu’il y ait un quelconque apport de silice extérieure… Ce dont témoignent la porosité partiellement conservée des espaces inter-sphérulitiques, les structures molles externes préservées, les coccolites finement silicifiés au niveau du cortex périphérique du silex.
- Ce passage à la calcédoine s’est réalisé précocement sans contaminer le sédiment environnant… La craie à bryozoaires est, autour des silex, à 100% composée de carbonate de calcium. Ce qui est d’ailleurs souligné par la limite nette des silex dans le sédiment (ils s’en détachent facilement). Le facteur interdisant la diffusion de la silice est probablement quantitatif : toute la silice disponible a servi aux transformations internes atome par atome, d’opale A et opale CT, de l’opale CT à la calcédoine.. Rien ne se crée, tout se transforme !
- Corrélativement aucun indice ne permet de postuler des arrivées tardives et externes de silice. La calcédoine n’a pas "remplacé point par point la calcite de la craie". Le silex n’a pas grossi par "dilatations successives" liées à des arrivées extérieures de silice (cf. Hoyez, 2009)
- Les mouchetures opaques correspondent aux espaces laissés libres par ces sphérules… Pareillement les micro-perforations des bioclastes non recristallisés apparaissent sous forme de taches sombres.
- L’organisation sphérulitique explique l’importante porosité qui affecte toutes les parties du silex.
- Les zones qui apparaissent aujourd’hui comme étant les plus intensément recristallisées en calcédoine (foncées en observation directes, claires, transparentes et denses) correspondent aux liserés et au cortex dense (= dernier « liseré » ).
- La recristallisation a parfois entrainé, surtout au niveau des liserés et du cœur du silex, soit une déformation des sphérules, soit l’ennoyage (toujours incomplet) du réseau sphérulitique.
- Enfin, les micro-géodes avec des cristaux de quartz alpha bien formés se sont formés très tardivement dans les cavités laissées libres par le déplacement des carbonates ou peut-être de la MO relictuelle…
Résumé.
Pendant la formation des silex boudinés correlative au dépôt de la craie à bryozoaires, des périodes calmes et agitées (tempêtes) alternaient. Sur quelle fréquence ? Il est difficile pour l’instant de le préciser. Mais, de toutes façons, sur un laps de temps en tous cas bien inférieur à celui correspondant à celui du dépôt d’un banc de craie.
Durant les périodes de haute agitation (tempêtes), les sédiments étaient déplacés, perturbés (biseaux sédimentaires visibles dans la craie à bryozoaires). Les galets, pourvus d’une croûte résistante acquise pendant la stase, étaient partiellement re-fluidifiés (un peu à la façon d’un matériau rhéofluide ou thixotrope).
Allant et venant sur le fond couvert d’une pâte gluante, épaisse et parsemée de fragments déjà durcis, les galets se sont « engraissés ». Le cortex « ancien » a été recouvert par du matériau nouveau, donnant au nodule un volume plus important. Des écoulements, des étirements ont eut lieu, des bourrelets se sont formés au niveau de la zone superficielle du nodule, devenue plus fluide sous l’effet des chocs, des vibrations, des remous. Des figures de fluidité nouvelles se sont formés sur sa croûte et celle-ci, pâteuse et collante, a piégé, emballé de nouveaux clastes, des fragments de terriers déjà silicifiés et des copeaux plus ou moins durcis jonchant le fond de la mer.
Dans ce moment, les fragments conservant une part importante de MO ont été ramollis et partiellement, voire totalement, dissous dans la masse du nodule « hôte » !
Enfin, si le cortex définitif (celui que l’on observe) s’est figé d’un seul coup en gardant les moindres figures de fluidité, de chocs et d’abrasion, le nodule mou, avant cet extraordinaire et définitif évènement, aurait évolué entre périodes (longues ?) de stase (période séparant deux tempêtes puissantes…) et périodes dynamiques (courtes ?), entre durcissement partiel et ramollissements/dissolution…
…
Dans la prochaine partie je tenterai de faire le lien entre silex boudinés et silex cornus… Tout un programme !