Supercalculateur pour recherche bling-bling ? La science simule

par Bernard Dugué
jeudi 10 janvier 2008

C’est avec un large sourire que Catherine Bréchignac et Arnold Migus, respectivement présidente et directeur du CNRS, ont annoncé l’acquisition par le laboratoire Idris d’un supercalculateur IBM dont le montant, entretien compris, est de 25 millions d’euros sur 4 ans. La dépêche ne dit pas si c’est cette somme qui sera débitée chaque année ou seulement le quart. Mais si en euros cela fait cher, cela fait des heureux, les actionnaires, dirigeants et salariés d’IBM. A quoi peut bien servir cet instrument ? Ben, à faire des calculs. Et que calcule-t-on ? En fait des tas de choses, simulations diverses, notamment en biologie moléculaire, calcul de structures protéiques et surtout, des simulations sur le climat. Madame la ministre Pécresse fut aussi de la fête à l’occasion d’une conférence de presse. Pour un ministre de la Recherche, accueillir un supercalculateur, c’est comme pour son homologue aux Transports couper le ruban en inaugurant un pont suspendu ou pour le Garde des Sceaux, poser la première pierre d’un tribunal, quoique, par les temps qui courent, ce serait plutôt une prison qu’on construirait. En 2001, ce fut Roger-Gérard Schwartzenberg qui fit de même à Montpellier, avec IBM installant une machine de 700 gigaflops, plus grosse puissance hors Etats-Unis, avec à la clé un beau discours. On croirait la recherche française suspendue à l’achat de ces coûteuses bécanes dont l’unité de puissance n’est pas le cheval vapeur mais le téraflop.

Le supercalculateur acheté par la France en 2008 accuse 207 téraflops ce qui le place à la troisième place du classement des grosses machines. Car il existe un Top 500 des superordinateurs et tous les six mois, les nations se mesurent à travers ce classement un peu comme les milliardaires bling-bling se jaugent à travers la longueur de leur yacht. Sous couvert d’ironie se pose la question de l’utilité de ces grosses machines. La plupart de nos citoyens seraient prêts à fustiger et moquer la célébration du Dieu argent par quelques privilégiés mais peu seraient enclin à moquer la vénération du Dieu calcul qui à travers la science, sert l’universel progrès occidental et offre les moyens d’une puissante emprise sur les choses naturelles. Comme dirait Gabor, augmenter d’année en année la puissance des ordinateurs est techniquement faisable, alors autant le réaliser. Et pourquoi s’en plaindre, plus c’est puissant, mieux c’est, enfin, c’est relatif.

L’essentiel dans ce genre d’acquisition, c’est d’avoir un programme de recherche en adéquation avec la capacité de la machine. Sinon, où est l’intérêt. Ayant changé mon disque dur récemment, j’ai été obligé de prendre un 160 gigas, pas possible d’avoir moins. Et me voilà avec un disque dont l’espace occupé est de 2 gigas, soit même pas 2%. Et je ne vois pas quoi faire de l’espace restant, vu que je déteste regarder des films sur petit écran et que toute la musique que j’aime elle vient de mes disques. Mais je pourrais très bien me forcer et enregistrer des tonnes de DVD et autres fichiers MP3. Ce constat illustre la question enquiquinante pour les responsables de la recherche. Est-ce que l’acquisition des supercalculateurs répond à un besoin ou bien est-ce que ces machines déterminent un certain nombre de programmes tout en servant d’éléments de prestige ? On touche ici le fondement de la critique technoscientifique. Est-ce que les instruments tournent autour d’un programme de recherche pensé, théorisé, auquel cas la technologie est un moyen pour la science ? Alors que dans le cas contraire, on s’efforce de faire cadrer les programmes avec la capacité de la machine et la science devient un moyen pour la technologie. Interrogez des chercheurs et vous verrez que cette interrogation n’est pas dépourvue de fondements.

Ellul avait noté dans les années 1970 que ce qui manquait aux ordinateurs personnels, c’était le système d’exploitation et cela, Bill Gates l’a bien compris, fournissant à la planète entière tout ce qu’il faut pour rendre le PC convivial et fonctionnel. Un supercalculateur obéit à ce même constat. Comment exploiter la puissance de calcul ? Dans le cas d’une recherche appliquée, les limites ne sont plus celles du calcul mais celles provenant de deux éléments cruciaux. D’une part, l’insertion des données empiriques et d’autre part, l’établissement des bons modèles théoriques et des programmes qui y sont subordonnés. A quoi bon disposer de 207 téraflops si on n’a pas assez de données expérimentales ni de modèle fidèle de ce qu’on souhaite simuler. C’est comme se retrouver avec une chaîne haute fidélité de 10 000 euros avec comme seuls CD les Sex Pistols et un vieux Françoise Hardy.

Toujours est-il que ce calculateur vient à point nommé pour servir une belle cause devenue urgente, enfin, disons plutôt décrétée urgente par les milieux autorisés de la haute autorité sur le réchauffement climatique, le GIEC, et la France de participer à cette vénérable entreprise en y allant de sa contribution du denier calcul, simulant des évolutions climatiques comme en d’autres temps, on priait pour faire tomber la pluie. Il y a quelque chose de comparable entre la dévotion religieuse et la pratique scientifique. On sait bien que les prières sont inefficaces mais cela n’a pas empêché l’Eglise de bâtir des cathédrales et les prêtres de prier en soutane noire ; alors, pourquoi ne pas apprécier ces temples de la recherche et louer les blouses blanches participant à des simulations pour vénérer le Dieu calcul et croire que le réchauffement sera conjuré. Et puis montrer à nos concitoyens que la France est bien placée, en troisième position mondiale sur le Top des téraflops.

La prévision du réchauffement est face à des obstacles insurmontables qui ne sont pas liés au calcul mais à la fiabilité des modèles utilisés et l’établissement des lois climatiques adéquates. Il suffit de quelques paramètres et autres coefficients présentant une petite variation pour introduire des différences notables au final, une fois la simulation effectuée. Et ces différences, elles peuvent très bien ressortir avec des calculateurs dix fois moins puissants. Alors nos climatologues peuvent bien se targuer de développer en nombre des modèles de simulation, ce n’est pas tout, encore faut-il savoir lequel est le bon. Bref, ce supercalculateur répond à une recherche ostentatoire, faisant le bonheur des politiques et directeurs épris de gloire et de célébrités auprès du grand public, non sans soigner le profit des industriels du supercalcul. On ne s’en plaindra pas, IBM emploie beaucoup de Français dans ses centres de recherche. Et ne boudons pas notre plaisir, avec 207 téraflops, nous sommes au troisième rang et notre président ne fera pas un flop en l’annonçant à l’occasion d’une conférence de presse prochaine.


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