Sur la prise de contrôle annoncée de nos ordinateurs par le gouvernement

par Marc K.
vendredi 22 mai 2009

Un récent article sur ce site annonçait l’imminence du contrôle gouvernemental de nos ordinateurs. Vrai ou faux ?

J’ai trouvé extrêmement grave l’information suivante :

Le gouvernement prend le contrôle de nos ordinateurs en automne prochain !

publiée récemment ici
(voir : http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/le-gouvernement-prend-le-controle-56293?id_article=56293&id_rubrique=34)
 
J’ai essayé de vérifier et je n’ai trouvé aucun article d’aucune loi qui établirait que "le gouvernement prend le contrôle de nos ordinateur en automne prochain".

Une telle affirmation (aussi énorme) est (évidemment) inexacte : je souhaite démontrer ici que le texte ainsi titré est, sur ce point, infondé et basé sur une incompréhension des dispositions votées par le parlement, et une série d’amalgames.
Il me faut, aussi, clairement exposer que cet exercice n’a aucunement pour but de prendre position sur les multiples problèmes (c’est un euphémisme) que posera la loi HADOPI.
 
Le texte publié sur Agoravox cite un seul article de loi : "l’article 10 bis c".
Le contenu de cet article n’est pas cité. Seul son titre est reproduit intégralement : "Simplification des procédures de contrôle par les services de l’État des logiciels intégrant des mesures techniques permettant le contrôle à distance de fonctionnalités ou l’accès à des données personnelles"
Cette citation est assortie d’un lien :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1626.asp#P687_149830
Ce lien ne renvoie d’ailleurs pas à un texte de loi, mais à la discussion, en commission des lois (...), des amendements au projet de loi HADOPI.

On peut toutefois trouver (voir page 66 du rapport du Sénat, http://www.senat.fr/rap/l08-396/l08-396.pdf) le texte de cet article "10 bis c", adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture et adopté sans modification par le Sénat :
"Article 10 bis c - À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 15 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, les mots : « est tenu de transmettre à ce service » sont remplacés par les mots : « est tenu, à la demande de ce service, de transmettre à celui-ci »."

Si quelqu’un est capable de comprendre le rapport entre un tel article et l’affirmation que "le gouvernement prend le contrôle de nos ordinateurs en automne prochain", il a gagné !

De quoi s’agit-il, en réalité - et pourquoi cet article est-il cité avec un tel objectif dans le texte sur Agoravox ?

Cet article 10 bis c vient modifier, on l’a lu, l’article 15 de la loi DAVDSI de 2006.
Cette modification, à l’évidence, n’est pas fondamentale ; et seuls les premiers mots "Simplification des procédures" dans son titre sont représentatifs de son contenu. Les termes suivants, dans ce titre, ne font que décrire l’objet de l’article 15 qu’il s’agit de modifier.

Examinons donc l’article 15 de la loi DADVSI.
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=MCCX0300082L
Cet article (c’est moi qui souligne) soumet à déclaration obligatoire, au service de l’Etat chargé de la sécurité des systèmes d’information, "l’importation, le transfert depuis un Etat membre de la Communauté européenne, la fourniture ou l’édition de logiciels susceptibles de traiter des oeuvres protégées et intégrant des mesures techniques permettant le contrôle à distance direct ou indirect d’une ou plusieurs fonctionnalités ou l’accès à des données personnelles des logiciels."

Ouh là ! ça sent le soufre ! "contrôle à distance", "données personnelles" ; il est clair qu’en isolant ces expression, on peut imaginer bien des choses...
Voyons de plus près.

L’article 15 de la loi DADVSI, qui ne figurait pas dans le projet de loi initial, a été introduit pour la première fois comme un article 7 bis par l’amendement n° 273 (2ème rect.) présenté par MM. Carayon, Cazenave, Lasbordes et Mme Marland-Militello, (voir le texte et l’exposé des motifs, ça tient en une page : http://www.assemblee-nationale.fr/12/amendements/1206/120600273.asp )
Pour mémoire, ces députés UMP se sont illustrés comme ... des défenseurs, au sein de la majorité, des logiciels libres, et leur amendement vise à introduire un contrôle sur les logiciels - notamment ceux de Microsoft, nominativement cité dans l’exposé des motifs, qui incluent certaines fonctionnalités de contrôle plus ou moins apparentes. Il s’agit aussi de contrôler le type de logiciels montés sur les ordinateurs des services de l’Etat.
Je cite simplement la conclusion de l’exposé des motifs :
"L’objet de cet amendement est d’éviter que la gestion de droits d’auteur ne compromette de facto la sécurité des utilisateurs individuels, des entreprises, des administrations. Cet amendement permet d’une part l’identification des fonctionnalités gérées à distance afin d’en prévenir une utilisation illégale (vol ou destruction de données, espionnage, organisation de la défaillance de systèmes) et d’autre part d’informer le consommateur des capacités techniques du produit dont il fait l’acquisition.
Pour des raisons évidentes, il propose que les produits intégrant ce type de technologies ne puissent être utilisés au sein des administrations qu’après autorisation du service compétent.
"

Essayons de résumer : l’article en cause vise à contrôler, non pas les ordinateurs des français (!), mais certains logiciels qui sont susceptibles d’y être installés (éventuellement d’ailleurs à l’insu des internautes) par les mécanismes de protection des enregistrements audio ou vidéo, les fameux "DRM".
De tels logiciels pourraient en effet prendre le contrôle de programmes, ou transférer des données personnelles à l’éditeur du logiciel, M**soft, par exemple. Et la surveillance de tels logiciels concerne aussi les administrations, pas seulement les citoyens.
C’est la surveillance de tels logiciels, leur contrôle, qui est introduit par l’article 15 de la loi DADVSI.
Et la modification future de cet article par l’article 10 bis c de la loi HADOPI (non encore promulgée à ce jour) vise apparemment à supprimer son côté systématique pour en limiter l’application aux logiciels qui posent problème.

Voilà à partir de quoi un article sur Agoravox est titré, carrément : "Le gouvernement prend le contrôle de nos ordinateurs en automne prochain !"...

Loin de moi l’idée d’approuver les multiples aspects liberticides de l’action du gouvernement, ni de nier la nécessité de le combattre notamment sur ce terrain.
Mais, de grâce, avec d’autres moyens que des arguments aussi excessifs, qu’un peu de bon sens (sinon la laborieuse vérification que j’ai exposée ici) aurait dû éviter de reproduire.
A vouloir trop prouver, on finit par discréditer la cause qu’on prétend défendre.

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