Sur les épaules d’Einstein, voir la physique quantique lever son voile sur un étrange monde
par Bernard Dugué
mercredi 29 janvier 2014
3.1 Les mondes formés et informants
Comme on vient de le suggérer, la physique contemporaine inclut dans la description de ce qu’elle observe celui qui réalise les observations ou bien « perçoit » le cosmos. Les philosophes ont précédé les scientifiques en tentant de décrire la nature à partir de leur propre perception tout en utilisant des notions de physique et surtout d’ontologie. Les réalités observées, vécues et décrites sont parfois d’une étonnante richesse. Chez Plotin, la description complète de la nature comprend trois hypostases avec une de plus si on considère la matière. La description la plus intéressante est celle de Jean Scot Erigène avec une quadripartition de la nature que je présente dans cet ordre : le créé qui ne crée pas, le créé qui crée, l’incréé qui crée et l’incréé qui ne crée pas. Pour rendre plus signifiantes ces notions, il faut introduire les notions de forme et d’information. Et pour ne pas trop compliquer la tâche, on se contentera, pour ce qui concerne la physique, des deux premiers mondes, le créé qui crée et le créé qui ne crée pas.
Créer, c’est former, informer, créer l’information, organiser l’information. Nous avons ainsi deux mondes, le formé qui ne forme (n’informe) pas et le formé qui forme (informe). La cosmologie relativiste qui décrit l’espace-temps et le champ de gravité semble répondre à l’idée d’un monde formé qui ne forme pas. Et qui n’informe pas. Ce cosmos relativiste contient des masses et donc de l’énergie, son espace-temps est dynamique mais sa description n’inclut pas de fermions. Excepté les sondes envoyées, le cosmos est observable uniquement par l’intermédiaire du champ électromagnétique. On peut dire qu’en règle générale, le cosmos ne nous informe pas. C’est l’observateur qui s’informe. Lorsque les physiciens envoient un télescope dans l’espace, ils peuvent observer des galaxies qui ne se voient pas avec les télescopes terrestres mais ces galaxies sont présentes, qu’on les observe ou pas. Et leur déplacement n’a rien d’informant, il est déterminé par les équations relativistes. Le cosmos est par essence un champ de perception. Pour être précis, il existe quelques événements informant. Par exemple la période d’un pulsar qui effectue un léger saut ou alors les tâches solaires.
L’espace-temps et la gravitation n’ont pas la même signification physique que les phénomènes quantiques. L’entropie ou plutôt l’information qui s’y trouve répond à deux conjectures connues bien que souvent confondues, celles des deux entropies, spatiale et énergétique. Dans le premier cas, une structure (dynamique), dans l’autre une efficience qui semble créer de l’information et l’exprimer dans un champ d’expression.
3. 2 Mécanique quantique relationnelle et échanges d’informations
La mécanique quantique et notamment la dynamique des fermions laisse supposer une création d’information, ou du moins une transmission d’information entre le dispositif expérimental et l’observateur qui enregistre la mesure. Dans ce cadre épistémologique, la « chose importante » c’est l’observable, le quantum d’information qui est transmis pendant un instant ou si l’on ose un néologisme, un « instemps ». Le « monde quantique » se présente comme un monde informé qui informe en utilisant des quanta d’informations transmis dans l’instemps. Voilà pourquoi dans son traité de MQ, Dirac insiste fortement sur le statut épistémologique du temps. En mécanique classique, la mesure d’une variable dynamique pour un état particulier du système conduirait à un résultat exprimé par une fonction du temps. Dans la mécanique quantique, une telle mesure n’aurait aucun sens.
En osant une image facile, on peut considérer l’étude du monde classique comme l’observation d’une scène mécanique (la masse) qui se joue sur un fond d’écran (l’espace-temps) alors que l’étude du monde quantique consiste à insérer une aiguille microscopique dans le monde observable. La fine pointe de l’aiguille est alors colorée et dotée d’une microforme, étoile, carré, couleur… on appelle ces propriétés les observables. Lors d’une mesure effectuée sur un système, on détecte une étoile ou un carré mais pas les deux à la fois. Idem pour les couleur. Néanmoins, pendant un court espace de temps, il est possible de « voir » une superposition de deux formes. C’est ce qu’on appelle l’expérience de décohérence. L’image de l’aiguille permet d’expliquer ce qui se passe. On introduit une aiguille dans le système. Elle est si fine qu’elle ne perturbe pas trop le système si bien qu’elle est colorée de bleu et de rouge. On déplace l’aiguille légèrement si bien qu’elle finit par détruire la superposition et se colore en bleu ou en rouge. On dit alors que c’est l’interaction avec le monde classique qui détruit la superposition.
Le principal résultat de la mécanique quantique, c’est que lors d’une observation, la quantité d’information pouvant transiter depuis le « monde quantique » vers le « monde classique » est limitée. L’une des expressions formelles de ce postulat n’est autre que le principe de Heisenberg qui n’est pas d’incertitude mais plutôt de certitude quant à la possibilité d’extraire comme information la position et la vitesse de la particule avec une extrême précision. La relation d’Heisenberg n’est pas déduite de la limitation des informations transmises mais de la non commutativité des opérateurs impulsion et position. Avec aussi une constante de Planck non nulle. On peut penser que le quantum d’action est un quantum d’information. Mais aussi que la non commutativité des opérateurs est une propriété découlant de la nature du « monde quantique ». Lorsqu’il y a transmission d’information, on pense le plus souvent à l’émetteur et moins rarement au récepteur. Ces considérations sont déterminantes pour comprendre la mécanique quantique dont l’une des interprétations faisant référence n’est autre que la MQ relationnelle initiée au milieu des années 1990 avec un article faisant référence (Rovelli, C. Relational Quantum Mechanics, International Journal of Theoretical Physics 35 ; 1996 : 1637-1678).
Au cours de son analyse fort détaillée, Carlo Rovelli commence par rappeler les interrogations toujours irrésolues liées à la signification de la théorie quantique qui n’en perd pas pour autant son statut de description fondamentale de la nature. 70 ans après son élaboration, la MQ recèle beaucoup de zones d’ombre. L’interprétation relationnelle de la mécanique quantique admet comme postulat le rejet du concept d’observateur indépendant de l’état d’un système et donc, des observables physiques. Les états et quantités sont toujours rapportés à autre chose. Pour procéder dans la voie interprétative, Rovelli suggère d’éclairer le chemin en regardant la situation de la relativité restreinte avant 1905. Les mathématiques utilisées étaient déjà disponibles avec les travaux de Lorentz. Le coup de génie d’Einstein aurait été alors de donner une signification physique au formalisme mathématique des transformations de Lorentz. Pour cela il a fallu abandonner la notion physique de simultanéité absolue. Les difficultés liées au formalisme de Lorentz furent levées. Conclusion ; pour saisir la signification de la mécanique quantique, il faut passer à la trappe quelques évidences ou croyances.
Rovelli imagine une situation dans le laboratoire avec un système observé, S, un observateur, O et un autre observateur, P. La notion d’observateur ne renvoie pas à une conscience mais une conjoncture galiléenne comme dans le cas d’un individu observant la vitesse d’un solide. La mécanique quantique impose de distinguer S et O mais aussi et c’est la nouveauté de l’interprétation, O et P. D’où l’étonnante déduction érigée en postulat. En MQ, des observateurs séparés peuvent donner des descriptions différentes de la même séquence d’événements. Si cette assertion est exacte, la description d’un système quantique ne peut pas être considérée comme renvoyant à une situation absolue faisant abstraction des observateurs. La propriété d’un système quantique est toujours relative à un observateur donné. La physique étudie donc des relations entre « éléments physiques » ; et produit des descriptions effectuées par un système couplé à un autre système par une relation d’interaction. De l’information est échangée par le moyen des interactions physiques. Ce qui laisse supposer que l’information pertinente extraite d’un système est finie ou alors qu’il est toujours possible d’extraire un quantum d’information supplémentaire et ce indéfiniment. Ces deux options sont consignées dans deux postulats énoncés par Rovelli selon lequel la signification physique de la mécanique quantique découle de ces deux postulats.
Pour finir ce volet en espérant ne pas avoir raté l’essentiel, un mot pour résumer cette interprétation originale de la mécanique quantique et pour comprendre le ressort de cette démarche tout aussi scientifique que philosophique. Selon Rovelli, il n’est pas possible de s’échapper hors du doublet observateur observé. La mécanique quantique est alors la théorie qui répond à cette découverte inédite : la description d’un système par différents observateur n’a rien d’universel. La notion d’observateur absolu comme celle d’« état quantique absolu » s’effondre. Cette interprétation est alors confrontée à d’autres stratégies présentes dans la littérature scientifique. L’évolution d’un système donnée par l’équation de Schrödinger a posé de nombreux problèmes si bien que des hypothèses supplémentaires ont été envisagées. Par exemple la possibilité que cette équation puisse être « violée » pendant la mesure. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour la suite de présenter toutes les théories disponibles. En cette matière, il faut faire des choix qui ne sont pas neutres. Comme l’énonce avec pertinence Rovelli, on peut modifier la théorie quantique pour qu’elle réponde à ce que nous pensons être la « bonne » vision du monde, ou alors on peut accorder une confiance presque absolue à la mécanique quantique, ce qui amène à chercher une conception inédite du monde qui soit consistante avec la théorie quantique. Je dois avouer que c’est cette option que j’aimerais suivre en essayant d’aller au-delà des conventions communes.
3.3 Le temps sous le regard de l’univers quantique
Le problème fondamental de la mécanique quantique, c’est la mécanique en vérité. Pour le dire ouvertement, la physique quantique a pour fondements épistémologiques la mécanique classique alors que les processus étudiés par cette physique sont radicalement étrangers aux phénomènes captés par la mécanique rationnelle ainsi que la cosmologie, qu’elle soit newtonienne ou relativiste. La mécanique quantique dit quelque chose sur l’univers physique qu’on ne trouve pas dans les autres physiques, sauf peut-être en forçant l’interprétation de la thermodynamique. Elle dit plus précisément comment sont échangés les quanta d’information et peut-être comment ils sont élaborés. La voie de la mécanique quantique relationnelle nous place sur la bonne voie pour enfin comprendre ce qui se passe dans le monde quantique et pourquoi l’interprétation exacte devrait changer radicalement notre manière de comprendre la vie et la conscience. Un jour, on comprendra qu’en cherchant à trouver une mécanique pour les processus particulaires et quantifiés, les physiciens des années 20 ont trouvé quelque chose étrange et inattendu, un peu comme la découverte de l’Amérique en 1492. A la différence près que les physiciens n’ont pas compris sur quel continent ils sont arrivés.
La mécanique quantique décrit les processus microphysiques ; c’est donc une dynamique. L’usage du concept de dynamique est plus approprié que celui de la mécanique, bien que la « dynamique quantique » utilise des notions classiques, hamiltonien, masse, énergie, position, impulsion et notamment, le temps qui comme on l’a déjà noté, ne joue pas le même rôle que dans la cosmologie relativiste. A l’origine de la physique quantique, il y eut deux formulations, la mécanique des ondes et celle des matrices. Bien qu’elles soient mathématiquement équivalentes, leur formulation semble dévoiler des choses différentes, notamment dans le rapport au temps. Dans la mécanique des matrices, c’est l’observable qui évolue avec le temps alors que dans la mécanique ondulatoire, c’est le vecteur d’onde Ψ dont l’évolution est donnée par la célèbre équation de Schrödinger :
ih ∂ Ψ / ∂ t = - h2/2m Δ Ψ (+ V.Ψ si la particule est soumise à un potentiel)
L’équation « duale » dans la mécanique des matrices est formulée ainsi, avec H qui désigne l’hamiltonien et A l’observable.
A(t) = eiHt. A(0). e-iHt
Ces deux équations sont déterminantes pour rechercher la signification physique de la mécanique quantique. Plus précisément, il s’agit de trouver quelle est la réalité où se rejoignent la dynamique des choses physiques, l’échange d’information lors de la mesure, la place de l’observable A et ce que vient faire le vecteur d’onde ainsi que le statut de l’état quantique. Le seul raccord avec le sens commun, c’est la quantité observée, autrement dit la valeur que prend l’observable. Ce qui paraît étrange, c’est que tous ces termes formant les équations quantiques sont reliés par des relations mathématiques exactes mais sans qu’on y associe une image physique. L’une des ces relations étant donnée par l’action de l’opérateur observable sur les vecteurs d’état avec comme résultat des valeurs propres qui sont des nombres réels (car les opérateurs sont hermitiques). On constate que le temps ne joue pas le même rôle dans les deux équations. Dans une représentation, le vecteur d’onde change avec le temps, dans l’autre, c’est l’observable. Etrange conjecture dont le sens physique existe bien qu’il nous échappe encore. Une signification qu’il faut chercher en abandonnant les références à la mécanique classique et en prenant acte de la première signification émergente, celle d’une dynamique permettant l’échange d’information.
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… prenant acte de la première… etc. acte premier en quelque sorte. Aux lecteurs de ce texte, je confie qu’une interprétation inédite de la physique est proche. Je ne sais pas quand ni combien seront de la partie. Je ne peux pas en dire plus, les recherches sont en cours. Si elles aboutissent, un petit livre sera proposé à l’édition mais si je pouvais accéder à une publication en english dans une revue ou bien les ArXiv, ce serait plus présentable. Wait and see, la vérité et le dévoilement du réel physique est pour bientôt.
Lien vers la MQ relationnelle