Un Nobel 2007 de chimie conventionnel et élégant
par Bernard Dugué
jeudi 11 octobre 2007
Avec l’attribution du prix Nobel de chimie à Gehrard Ertl, c’est une fois de plus une science articulée à des objets d’usage courant qui est récompensée. Tout le monde connaît le pot catalytique en usage dans les automobiles depuis des années. Le principe de la catalyse a été découvert depuis bien longtemps. Une réaction chimique peut prendre des heures, voire des siècles pour s’effectuer. Mais grâce aux catalyseurs, l’affaire est pliée en quelques minutes, voire quelques seconde. Le principe de la catalyse est utilisé par les systèmes vivants et leurs enzymes dont le fonctionnement coordonné constitue l’usine chimique la plus complexe qui soit et que l’homme ne pourra jamais fabriquer. Par contre, dans les laboratoires de chimie, on peut étudier les différentes réactions catalytiques, enzymatiques ou non. Il en existe quelques types dont la catalyse dite hétérogène, utilisant un solide mis en présence de réactifs en solutions ou bien dispersés sous forme gazeuse. Le gaz d’échappement contient des tas de résidus et notamment le monoxyde d’azote, gaz toxique qui grâce à la structure en abeille des cellules catalytiques dopées au platine, peut être éliminé. Tout se passe au niveau d’une surface d’interaction entre le métal et le gaz. C’est pour cette raison qu’on parle aussi de chimie de surface.
Gerhard Ertl, lauréat le jour même de son 71e anniversaire, est ce qu’on peut appeler un vieux routard de la chimie, avec une carrière longue, parsemées de conférences dans le monde, de distinctions et dont la bibliographie affiche au compteur 673 publications dont seulement une partie concerne les réactions dans un pot catalytique. Ertl a étudié des dizaines de réactions catalytiques, en creusant les mécanismes que l’on sait être fort complexes. Contrairement à la physique ou la biologie, la chimie est une science qui se prête difficilement à la vulgarisation, avec son côté aux apparences ésotériques, mais qui n’en reste pas moins rationnel, accessible seulement aux spécialistes d’une discipline. On peut seulement saluer une belle recherche qui, sans être d’une folle nouveauté, possède de nombreuses applications, notamment dans la synthèse chimique, mais aussi les nanotechnologies.
Par exemple, le micro-usinage électrochimique est une application réalisée grâce au champ de recherche ouvert et exploré par Ertl et quelques confrères français. On connaissait la micro-lithographie permettant d’usiner des matériaux à des échelles micrométriques. Comme par exemple le très connu microprocesseur équipant tous les PC, mais aussi comme électronique embarquée dans l’électroménager, les véhicules, etc. Ces techniques de lithographie, si elles sont parfaitement maîtrisées, sont limitées aux structures bidimensionnelles. Et c’est justement pour résoudre ce problème que le micro-usinage électrochimique est employé, afin de produire des micro, voire nanomatériaux de structure tridimensionnelle. Nous voilà encore dans le champ des nanotechnologies, au même titre que l’électronique de spin consacrée la veille par le Nobel de physique.
D’autres travaux d’Ertl présentent un intérêt dans la recherche fondamentale. Ils concernent les oscillations chimiques étudiées dans des dispositifs de catalyse hétérogène, avec notamment le platine. On connaissait ces réactions en phase liquide depuis la découverte des oscillations du permanganate par les chimistes russes Belousov et Zhabotinskii. C’est tout un champ interdisciplinaire qui est concerné, celui des structures dissipatives et de la création d’ordre dans la manière inerte. Et une compréhension de l’origine de la vie, ou du moins, des possibilités de structuration et de création de forme inhérente aux matériaux non organisés. La vie en tant que forme ordonnée et organisée, pourrait alors être comprise comme émergence d’un ordre supérieur transcendant l’ordre matériel. Mais ce ne sont que spéculations servant à pointer comment des recherches spécialisées peuvent avoir des applications dépassant leur objet pour peu que les scientifiques décident de dépasser les frontières de leur discipline.
Pour le volet politique et national, on soulignera la bonne tenue de la recherche européenne, avec l’Allemagne en pointe, pour autant que le Nobel soit un indice significatif et que l’origine nationale de travaux scientifiques ait une importance avérée. Pour les politiques oui, mais pour le citoyen, peu importe la nationalité des chercheurs du moment que les savoirs acquis et les applications technologiques soient accessibles à tous. La science, et les scientifiques le revendiquent, n’a pas de frontière. Et un sportif peut encore avoir la gagne pour son pays (j’en doute), un chercheur (notamment du public) ne travaille que pour la cause scientifique universelle et pour ses intérêts personnels additionnés au plaisir de chercher et au bonheur de trouver. Ensuite, la science peut être récupérée et servir d’autres intérêts d’ordre géopolitique ou financiers, mais c’est autre chose. Mais si la science ne doit être un prétexte à un concours d’excellence joué par les nations, chaque pays se doit d’accorder une attention soutenue aux recherches et de donner aux chercheurs les moyens pour trouver. En France, comme d’ailleurs en Grande-Bretagne ou en Allemagne, cette question a fait et fera encore débat. Mais si les moyens sont importants, l’esprit, la culture scientifique l’est autant. Picasso disait que l’œuvre d’art, c’est 90 % de transpiration et 10 % d’inspiration. On pourrait dire que la découverte scientifique, c’est 90 % d’intendance et de paillasse et 10 % d’inspiration. Quant à l’Allemagne, il se confirme que cette nation est actuellement l’une des meilleures au monde pour la chimie aux côtés du Japon, mais bien derrière les Etats-Unis. N’oublions pas qu’elle fut en tête, entre 1870 et 1920. Et que la comparaison pertinente actuellement, c’est Etats-Unis/Europe/Orient.