Un Nobel 2008 de chimie pour des recherches d’avenir aux interfaces

par Bernard Dugué
jeudi 9 octobre 2008

Le Nobel de chimie a été attribué à un Japonais et deux Américains pour leurs travaux sur une molécule fluorescente. Osamu Shimomura (Marine Biological Laboratory et Boston University Medical School), Martin Chalfie (Columbia University) et Roger Tsien (University of California, San Diego). L’occasion de saluer une prouesse chimique ayant des application dans le domaine des sciences de la vie.

 

L’initiateur de ces travaux, c’est Shimomura, l’octogénaire, qui en 1956 découvrit une protéine fluorescente dans un mollusque, une protéine qui est responsable de l’étrange luminosité de ce mollusque une fois mort et qui isolée brille 40 000 fois plus. En 1962, alors qu’il était scientifique aux Etats-Unis, il découvre ça en isolant l’aequorine, protéine responsable de la fluorescence d’une méduse pêchée dans le Pacifique et baptisée GFP. De banales recherches, mais qui ont eu de surprenants développements. Parce que les sciences sont interconnectées. La suite est très bien racontée dans ce papier de Libé.

Que rajouter de plus, sinon contextualiser ces travaux dans une perspective plus large. Un mot sur la fluorescence. C’est un phénomène physique bien connu. Une molécule absorbe un quantum d’énergie dans le spectre des ultraviolets, donc invisible, pour ensuite émettre un rayonnement dans le domaine visible, jaune, vert, orange. Ces propriétés sont utilisées pour créer de l’ambiance dans les discothèques. Des lampes diffusent un rayonnement du proche ultraviolet, limite visible (faut pas déconner avec ça, ça grille une rétine vite fait quand c’est dans le strong ultraviolet). Le blanc ressort ainsi que tous les motifs dopés avec des produits chimiques fluorescents. Le principe que les lauréats du Nobel ont utilisé est identique, sauf que c’est appliqué à la microscopie par fluorescence. Une cellule ou un tissu peut être éclairé par un rayonnement fluorescent. Si à un endroit de la cellule la molécule est présente, alors le rayonnement visible permet de la détecter alors que les autres zones restent sombres. Exactement comme dans la discothèque. Sauf que cette technique permet une détection précise de processus biologiques effectuée sans altérer le système vivant. Bref, comme une IRM ou un scanner que vous passez sans dommage.

Les techniques d’analyse non destructives sont très utiles car elles permettent de voir des processus vivant en œuvre, sans détruire la structure. Pas comme dans ces analyses biochimiques où le tissu est broyé, centrifugé, extrait, pour quelques tests de réaction dans un tube à essai. Il existe d’autres techniques non invasives, comme la résonance magnétique nucléaire qui permet, en introduisant par exemple un foie de rat dans l’appareil, de suivre grâce à la résonance du phosphore, la production d’ATP, ou alors certaines réactions du cycle de Krebs en direct en utilisant un substrat dopé au carbone 13. Il se murmurait dans les années 80 que ces travaux pourraient justifier le Nobel. Ce ne fut pas le cas. Mais le Nobel 2008 récompense une prouesse technologique dont le ressort est similaire.

Ce n’est pas un Nobel de chimie, mais un Nobel de l’interface chimie-biologie qui a été décerné. Très prometteur et matière à réfléchir sur l’avenir des recherches transdisciplinaires. Sans la génétique, les découvreurs de la molécule GFP n’auraient jamais été couronnés par le Nobel. Ce sont tous les développements aux interfaces qui ont montré l’utilité de ces prouesses biotechnologiques dont la place mérite d’être située au niveau des travaux de Charpak. Un artisan de la détection des particules grâce à la chambre à bulle. Le Nobel de chimie 2008 couronne non pas une avancée théorique, mais la mise au point d’un outil d’investigation très sophistiqué qui, comme la chambre à bulle de Charpak, permet de visualiser des phénomènes invisibles à nos yeux. Des phénomènes essentiels car ils concernent l’expression des gènes. Il est possible d’introduire un « mouchard » dans un organisme, en l’occurrence, faire en sorte que le gène de la GFP s’active simultanément avec d’autres gènes. En plus, il existe des variantes de la GFP modifiées par le génie génétique, si bien qu’on pourrait visualiser l’activation coordonnée de plusieurs gènes. Cette aventure ne fait que commencer. Et comme la science se joue sur la théorie autant que la pratique, souhaitons que, dans dix ans, un Nobel couronne un théoricien capable de livrer quelques lois sur le réseau qui coordonne l’expression des gènes.


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