Une nouvelle théorie scientifique de l’évolution de la lignée humaine

par Véronique Anger-de Friberg
vendredi 13 janvier 2006

Si la voie explorée par Anne Dambricourt Malassé, pour expliquer l’évolution des espèces, semble séduire le grand public, elle suscite en revanche la méfiance de scientifiques, réfractaires à une théorie qui remet en cause l’hypothèse néo-darwinienne de l’origine de la bipédie permanente, et de son évolution, qui a donné notre mode de locomotion.

Pour la paléoanthropologue, le processus d’hominisation se situe d’abord "à l’intérieur, dans l’histoire de notre génome" et n’est pas induit -comme dans l’hypothèse de l’adaptation à la savane- par le climat.
L’objet du litige est un os situé à la base du crâne, en arrière des fosses nasales : l’os sphénoïde. Un petit os, dont, hier encore, le commun des mortels non scientifique ignorait vraisemblablement jusqu’à l’existence... Explications d’Anne Dambricourt Malassé.

 

Véronique Anger : Votre hypothèse de l’évolution humaine attribue un rôle fondamental au phénomène de flexion de l’os sphénoïde dans l’évolution humaine avec, par voie de conséquence, un rôle moins important attribué au milieu et au hasard. Pouvez-vous expliquer -avec des mots simples- ce que cela signifie ?
Anne Dambricourt Malassé :
Il ne s’agit pas d’hypothèses, mais de découvertes (qui remontent à ma thèse de 1987) publiées à l’Académie des sciences en 1988 et, à nouveau, dans la revue de l’Académie des sciences Paléovol (2006) après publication dans des revues spécialisées.
Je n’ai pas travaillé sur le sphénoïde, et il ne peut pas être étudié seul, il implique tous les os autour de lui, y compris la colonne cervicale, et surtout les membranes qui descendent jusqu’au sacrum. Je travaille depuis plus de vingt ans sur la sphère basi-cranio-faciale, la mandibule, puis la base. (Tous les os de la base du crâne sont considérés). Je suis remontée alors au sphénoïde en découvrant son rôle central. Ceci est connu des ostéopathes et kinésithérapeutes.
Je suis remontée à l’origine de ses changements de forme. Il est plat chez tous les embryons de mammifères. Chez nous également, mais il tourne sur lui-même au terme de la période embryonnaire (sept semaines après la fécondation chez l’homme). Cela s’explique par des contraintes locales dues à l’enroulement du tube neural sus-jacent (le futur cerveau).
Ce mouvement de rotation du sphénoïde(1) s’observe chez les premiers primates, il y a environ cinquante cinq millions d’années. Il est de faible amplitude. Le processus embryonnaire est mémorisé dans l’ADN évidemment, il est transmis par la mémoire génétique du développement. Par ailleurs, l’évolution est irréversible (loi dite de Dollo(2)). Dans ce cas particulier, l’évolution ne peut se traduire que par une augmentation de la rotation du couple " tube neural sphénoïde ". L’évolution, dans ce cas de figure, est nécessairement celle de l’information génétique correspondant à l’amplitude de rotation. L’os ne peut donc en aucun cas demeurer plat (ce qui donnerait alors des monstres avortés).
En revanche, si l’amplitude ne change pas, il n’y a pas d’évolution. Ce sont des espèces qui dérivent les unes des autres avec cette même embryogenèse. C’est d’ailleurs ce que l’on constate : les espèces actuelles de prosimiens (comme les lémurs de Madagascar) ont la même amplitude que les espèces fossiles. Après vingt millions d’années -au cours de cette période, aucun changement d’amplitude, aucune corrélation n’ont été observés- apparaissent des espèces possédant une base plus raccourcie, plus fléchie. Ce sont les singes (les macaques, par exemple). Puisque l’évolution existe irréversiblement, cette information va encore évoluer. Il arrive nécessairement un seuil où le phénomène de rotation correspond à un tel raccourcissement de la base -c’est-à-dire à un tel degré de rotation ou de gain de verticalité (qui se distribue de la face au sacrum)- que celle-ci est visible après la naissance et impose au corps de l’enfant, une locomotion au sol, autour d’un axe du corps " verticalisé ". Ainsi apparaissent les premiers hominidés ou bipèdes permanents (de l’enfant à l’adulte).
On pensait que la cause de cette locomotion était post-natale et, encore récemment, on croyait qu’elle était due au développement fœtal du cerveau. Il faut chercher une cause plus précoce encore, un processus qui participe du développement des organes et du squelette comme de la complexité croissante du cerveau, elle est embryonnaire.
Le milieu n’est donc pas à l’origine de cette dynamique interne propre aux tissus embryonnaires, ni à la répétition de cette évolution. L’embryon du chimpanzé ne passe évidemment pas par un stade de prosimien puis de singe. On constate une réorganisation interne selon des contraintes, ou logiques, internes. Tous ces termes sont couramment utilisés en biologie intégrative, discipline familière des systèmes dynamiques intégrés auto-organisés.
Pour résumer, depuis le début de ma recherche (1987-1988) il a toujours été question d’unité céphalo-caudale (tête bassin) de l’embryon et des gènes précoces du développement. J’ai pu observer que cette dynamique de rotation évoluait toujours dans le même sens, et j’en ai conclu à l’existence d’un processus de mémorisation des mutations et de réactualisation. Ces mutations sont donc engrammées(3) ou intégrées (et non pas programmées). Le milieu est important bien sûr, mais il n’est pas à l’origine de la complexité croissante du système nerveux central, ni de nos capacités de réflexion consciente. Encore moins, à l’origine de la réitération d’un mécanisme embryonnaire qui intègre les effets passés.
L’origine du déclenchement de cette évolution interne est à mon sens le hasard, le second principe de la thermodynamique(4), c’est-à-dire le désordre spontané qui menace tout état d’équilibre. Face à l’entropie, les systèmes ont des mécanismes de réparation, acquis par "apprentissage " (autopoïèse). Ceux qui ont cette mémoire évoluent et se reproduisent. Les autres disparaissent. La mémorisation et l’origine de l’information sont encore inconnues.
Les branches les plus avancées en chimie ont intégré la mécanique quantique, qui permet de prendre en considération des potentialités d’informations non actualisées (dites " virtuelles ") et canalisent les potentialités futures à chaque actualisation.
Ces découvertes ont des implications médicales importantes en orthopédie dento-maxillo-faciale. D’ailleurs, j’ai essayé de financer ma recherche -qui a un coût élevé (des téléradiographies dans les trois plans)- en sensibilisant la communauté à ces questions de santé publique. C’est l’origine de la publication d’un article de neuf pages, en 1996, dans une revue de grande vulgarisation (La Recherche) et à l’origine du documentaire de Thomas Johnson, diffusé le 29 octobre dernier, sur Arte :" Homo sapiens : une nouvelle histoire"(5).

 

VA : Il est toujours difficile pour le néophyte de s’y retrouver dans une bataille d’experts ! Êtes-vous en mesure aujourd’hui de démontrer scientifiquement la réalité de votre théorie ? Avez-vous progressé dans vos recherches ?
ADM :
La question de l’interprétation a toujours été scientifique. Comme je vous le disais, elle est publiée dans Les actes de l’Académie des sciences. Il s’agit de trois découvertes majeures :
- La relation entre la face et le sphénoïde (encore niée en 1990)
- L’origine embryonnaire de sa rotation
- Enfin, le caractère reproductible de son évolution.
Il appartient donc aux contradicteurs de démontrer que ce constat est inexact en reprenant l’intégralité des fossiles et, ensuite, en démontrant comment le climat contrôle le développement de l’embryon.
Jusqu’à présent, ce n’est pas ce que conclut la génétique du développement. Par ailleurs, très peu de chercheurs se sont penchés sur le sujet, car il est particulièrement onéreux, complexe et peu valorisant pour quelqu’un désireux de publier vite et facilement. De plus, il inquiète, car il touche à des mécanismes d’organisation interne logiques.
La paléontologie est encore trop éloignée de la science de la complexité, des systèmes dynamiques déterministes, de leur modélisation. Dans ce contexte, toute logique interne est impensable, faute de quoi elle connote immédiatement le vitalisme, la recherche d’un plan divin, d’un programme intelligent, etc.
Quant à la sélection naturelle, elle est évidente quand on traite d’embryogenèse. Plus de cinquante pour cent des fécondations avortent spontanément chez la femme. Les malformations que j’ai étudiées aident également à comprendre la logique de construction naturelle du crâne, alors que l’embryogenèse ne s’est pas développée.

 

VA : Si votre théorie semble séduire une partie du grand public, en revanche, elle suscite la controverse -voire une certaine agressivité- de la part de certains de vos confrères réfractaires à une explication contredisant l’hypothèse néo-darwinienne de l’adaptation au milieu...
ADM :On cherche des présupposés religieux (nécessairement coupables) dans ma théorie, sans même s’être documenté sur ma position à cet égard. Pourtant, j’ai écrit et décrit depuis longtemps quel avait été mon ressentiment à l’égard de ma propre religion, le catholicisme. J’étais agnostique en 1987. Je ne risquais donc pas de chercher un quelconque plan divin... Que j’aie pu découvrir une logique interne, un processus, cela n’a en aucune manière touché ma conscience à propos de l’évidence d’un plan divin ou d’un Créateur. D’ailleurs, cela ne m’intéressait pas.
En 1988, au moment où je me suis exprimée sur ma conception de la révélation du sens de sa vie propre -à savoir qu’elle se vit de personne à personne- j’ai vécu un drame personnel. Je suis devenue plus hostile encore à ma religion. J’étais toujours profondément athée, ce qui me permet de prendre du recul vis-à-vis de ces procès d’intention sans fondement.
Pour autant, être athée ne signifie pas renoncer à ce fil conducteur qui est le mien : le sens de ma vie se trouve dans l’altérité, et non dans l’objectivité. Il se révèle dans les expériences personnelles, et d’Être à Être. Je pense que la source de conflit naît souvent d’une incapacité d’écoute et de compréhension, associée à un ego surdimensionné.
Découvrir me passionne. Découvrir que je m’inscris dans une logique interne ou un processus de complexité croissante n’a rien changé à mon athéisme, la réalité d’une transcendance dans ma vie personnelle n’a de sens que dans l’instant présent. A contrario des courants émergents aux États-Unis, je ne cherche pas à éliminer le mystère des origines, je ne connais pas l’origine du changement de la mémoire génétique entre un grand singe et un australopithèque. Il faut intégrer la mécanique quantique, cela ne fait plus de doute pour les spécialistes de cette science. Et c’est au cœur de cette même science que le mystère demeure authentiquement en tant que mystère. Bernard d’Espagnat le décrit très bien : le réel qui nous contient est voilé à notre regard à partir d’un certain niveau d’approche. Je veux dire par là que nous ne saurons jamais ce qui s’est passé il y a cinq millions d’années, et qu’il est impossible d’évacuer le mystère. Ce n’est pas la preuve que Dieu existe, non. C’est le constat qu’on ne peut exclure le mystère de nos origines et, si le mystère se vit dans l’instant présent, c’est une ouverture d’esprit qui ne peut plus être nommée " d’âge infantile de l’humanité".


Entendons bien que dans notre singularité à tendre vers la nécessité d’une signification de notre être, il demeure dans les origines de cette aptitude, un mystère. C’est une conscience réfléchie qui est concernée, elle émerge d’une logique interne qui se traduit par la verticalisation de l’axe embryonnaire, un processus qui se démarque de toutes les autres lignées mammaliennes, et dont l’équilibre locomoteur demande le développement des capacités de réflexions. Il est impossible de dire la nécessité d’une verticalisation en termes d’adaptation écologique, c’est une évolution qui se déroule avec ses contraintes internes, et la nécessité d’en tenir compte aussi.

 

VA : A propos de dessein intelligent(6), une partie de la communauté scientifique vous reproche de faire le jeu des néo-créationnistes qui auraient -selon elle- trouvé dans votre hypothèse de puissants arguments en leur faveur. Dans une interview au journal Le Monde(7) (daté 29/10/05) vous avez déclaré : "Il n’y a jamais eu de relation entre la religion et les trois découvertes scientifiques en présence que je développe depuis 1987." et "Je ne suis pas croyante à cause de cette découverte ou avant cette découverte. C’est historiquement profondément faux puisque j’étais distante de toute religion. Je considère qu’il demeure un mystère pour la conscience face à ses origines.".ADM : La plupart des propos publiés dans Le Monde puis, ces jours-ci, dans Le nouvel observateur, reflètent bien la méconnaissance des articles scientifiques. Si je ne fais pas le jeu de l’athéisme, je ne peux que faire le jeu du créationnisme... Ce mode de raisonnement est classique.
En réalité, pour des motifs idéologiques déjà montrés, mon livre La légende maudite du vingtième siècle, mon article publié en 1996 et, à présent, le documentaire d’Arte, sont devenus la cible d’une campagne de discrédit, sans argument objectif, et faisant intervenir toujours les mêmes détracteurs. Le sous-titre "L’erreur darwinienne" ainsi que la couverture ont choqué. Ce sont des contraintes éditoriales classiques, que je ne contrôle pas. En 2006, on est encore face à du " prêt à penser ", chacun dans son rôle et son style, avec toujours les mêmes médias jouant le rôle de caisse de résonance (Science et Vie, Pour la Science…).

 

VA : À propos de l’évolution humaine, Pierre Teilhard de Chardin(8) pensait que "L’humanité se rassemble pour rejoindre Dieu, en cet hypothétique point oméga qui représenterait de facto, et sans tristesse aucune, la fin des temps.". Pensez-vous, comme cet homme que vous admirez, que l’Homme est déterminé et que sa finalité est de rejoindre Dieu ?
ADM : Vous n’êtes pas sans savoir que Teilhard était reconnu de son vivant par la communauté internationale comme l’un des grands théoriciens de l’évolution des mammifères, et qu’il aurait dû enseigner au Collège de France si son Ordre ne le lui avait déconseillé, au grand dam de la communauté scientifique. C’est, entre autres, pour remédier à ce vide aux effets conséquents pour ma génération (et pour les générations futures, si rien ne change) que le Muséum a accueilli la base de son enseignement.
Cela ne m’intéresse pas d’utiliser la théorie de l’évolution pour tenter de prouver la mort de Dieu ou sa naissance... Mon questionnement est devenu plus philosophique et, plus encore, éthique. Je ne suis pas déiste, a contrario de Darwin (on oublie de le rappeler), et encore moins à la recherche d’une gnose. Je veux comprendre, apprendre, et vivre à travers la découverte, ce qui reste inconnu de ma propre nature. La capacité gratuite de la découverte est déjà pour moi quelque chose d’extraordinaire à vivre : un immense sentiment de liberté.
Au fil du temps, la dialectique scientifique de Teilhard m’a paru sensée et remarquablement structurée. Ainsi, en 1989 (alors que j’étais véritablement athée) j’ai accepté à 29 ans la fonction de secrétaire générale de la Fondation Pierre Teilhard de Chardin qui est hébergée au Muséum et, par là-même, sous la tutelle de l’État. Elle respecte la laïcité. Cette proposition émane du Professeur Jean Piveteau (décédé depuis) alors seul spécialiste en paléontologie humaine à siéger à l’Académie des sciences et président d’honneur de la Fondation. L’actuel Président est Henry de Lumley, dernier professeur à avoir été le directeur du Muséum.
La vocation de la fondation n’est pas de développer une anthropologie, voire une anthropogenèse judéo-chrétienne. Sa vocation est de bien faire comprendre la pensée de Teilhard et, par conséquent, de sérier les niveaux de sa réflexion. Concernant la christologie de Teilhard, je suis bien incompétente pour vous répondre. La christologie relève des spécialistes de la Compagnie de Jésus(9) tels que le Père Gustave Martelet sj. Et, s’il faut analyser sa pensée de ce point de vue, c’est aux pères jésuites compétents, comme le Père François Euvé, de vous renseigner.
Personnellement, c’est seulement au titre de docteur du Muséum en paléontologie humaine que je peux analyser Teilhard " paléontologue théoricien de l’évolution ", qui est aussi l’auteur d’une science que nous pratiquons depuis, en paléontologie, la Géobiologie, qui conduit à explorer le terrain et à réfléchir sur des distances continentales et intercontinentales. Personnellement, je me rends en Asie centrale et en Inde depuis 1996.

 

VA : Si l’avenir vous donne raison, votre hypothèse sera vraisemblablement reconnue comme l’une des plus importantes découvertes de l’histoire de la paléontologie. N’étant pas moi-même une scientifique, je ne suis évidemment pas en mesure de porter un jugement éclairé quant à la justesse de votre théorie. Je me bornerai donc à constater qu’au XXIe siècle, la plupart des esprits -y compris l’élite intellectuelle- ne sont pas plus enclins à admettre une nouvelle vision de l’évolution qu’ils n’étaient, à l’époque de Darwin, disposés à admettre que l’homme descendait du singe... cette théorie étant alors considérée comme totalement fantaisiste et scandaleuse.
Il est amusant d’observer, à près d’un siècle et demi d’intervalle, comment la "religion" (de la science ou de Dieu) persiste à passionner tout débat lié à une interprétation nouvelle de l’évolution humaine...

ADM : Je suis bien de votre avis ! Cela dit, je pense que, petit à petit, les découvertes en présence seront mieux et plus largement diffusées.
Le ton s’est aggravé par rapport à 1996 et 1997. Les détracteurs me prêtent des sympathies avec des thèses pourtant incompatibles avec mes articles scientifiques. Il n’est écrit nulle part dans mes publications que l’apparition de notre anatomie est programmée depuis soixante millions d’années. En outre, je n’ai jamais adhéré à " l’intelligent design " fort débattu aux États-Unis actuellement. C’est incompatible avec mon engagement à la Fondation Teilhard de Chardin. Aussi observe-t-on des inventions et des déformations des faits historiques. Ce fut le cas à propos du documentaire diffusé par Arte. La chaîne a été honnête ; elle n’a rien caché. De plus, ce film n’a jamais été soutenu par l’association UIP, qui n’a jamais été la courroie de transmission du Discovery Institute (Intelligent design). Il s’agit là d’une calomnie lisible dans la Lettre ouverte de Thomas Johnson, le réalisateur, accessible sur Hominidés.com due à un groupe de scientifiques du Muséum, survenue après projection de ce documentaire au sein du Grand Etablissement(10) avec la co-production Discovery Network Communication (Discovery Channel).
Enfin, il n’a jamais existé de pétition de soutien à l’Intelligent design ; et je n’ai jamais signé de pétition de cette nature.
La réalité historique est celle-ci : il y a quelques années, un journaliste américain affirmait que la sélection naturelle et le hasard des mutations génétiques étaient les seuls processus évolutifs naturels. Je fais partie de 400 chercheurs qui ont accepté à l’époque, de dire que cette affirmation était inexacte.
Cela représente quatre fois plus de signatures que celles recueillies pour la pétition appelant à la vigilance, publiée dans Le nouvel observateur. J’aurais aussi bien pu la signer et j’y lis des noms qui auraient aussi bien pu se joindre aux 400 signatures. L’UIP devient le danger ; je deviens le fer de lance de cette psychose... C’est un montage.

 

VA : Pourquoi ne parvenons-nous pas à étudier cette piste comme une théorie scientifique recevable ?
ADM :
Il est impossible de démontrer que les trois découvertes n’existent pas. Elles sont publiées et reconnues. Apparemment, le courant de l’Intelligent design les aurait reprises à son compte. Un des ténors de ce courant, William Dembski, considère que mes découvertes permettent d’étayer cette interprétation. Je lui ai fait savoir que telles n’étaient pas mes conclusions. Je lui ai également demandé de ne plus faire apparaître mon nom.
Il est évident que cette découverte dérange l’athéisme militant et que je ne peux pas empêcher non plus des scientifiques de chercher une interprétation. C’est le risque de la science. Nonobstant, je ne vais pas taire ces découvertes, qui ont des implications éthiques et médicales, au motif qu’elles contrarient l’athéisme ou qu’elles peuvent être interprétées dans un sens déiste, théiste, gnostique ou transcendantal. Aux scientifiques de se montrer honnêtes. À moi d’affirmer mon autonomie et de sérier les différents niveaux de la polémique.
A la différence des États-Unis, en France, il est de plus en plus difficile de débattre. En 1996, alors que j’étais informée de la mise en route de la première cabale et que Le nouvel observateur sortait déjà un article sans fondement pour affirmer un présupposé judéo-chrétien dans ma recherche, un éditeur français m’a demandé si j’acceptais de préfacer Le darwinisme en question, le livre de l’avocat américain Phillip E. Johnson, traitant de la récupération idéologique de la théorie de Darwin, le néo-darwinisme, pour servir la cause de l’athéisme en quête d’arguments scientifiques. En lisant le manuscrit, j’ai retrouvé la même " philosophie de combat " (Guillaume Lecointre, voir " Darwin contre la Science ", numéro hors série du Nouvel observateur) que celle que je vivais en France. J’ai donc préfacé le livre, en mettant le lecteur en garde contre la dimension binaire et exclusive du débat, que ce soit aux États-Unis ou en France. Je rappelais toutefois qu’avec Teilhard de Chardin, l’alternative était offerte de laisser chacun continuer sa propre réflexion par-delà les théories scientifiques construites sur l’étude des faits et des phénomènes.

 

VA : N’était-ce pas un peu tenter le diable, si je peux me permettre l’expression... d’accoler votre nom à l’ouvrage d’un auteur réputé pour ses idées soutenant le créationnisme ?
ADM :
Vous avez certainement raison, hors contexte, c’est incompréhensible. Il faut laisser le temps faire son travail, on ne connaissait pas les conditions historiques de ce choix. Il est nécessaire de les faire entendre maintenant. C’est une façon d’éveiller les consciences, au contraire, sur une diabolisation de tout ce qui ne va pas dans le sens des attentes néo-darwiniennes,de faire prendre conscience de la réalité de cette " philosophie de combat ", car elle ne cache pas qu’elle vise la foi judéo-chrétienne.
L’approche de Phillip Johnson est une analyse critique, non pas de l’aspect scientifique, puisque ce n’est pas son domaine, mais de l’aspect idéologique du néo-darwinisme, à travers la façon dont les faits sont présentés ou tenus de côté, voire à travers des lacunes. Il en conclut que le néo-darwinisme n’est pas convainquant, et que pour un croyant (ce qui est le cas de trois ou quatre milliards de monothéistes) l’existence d’un Créateur pour expliquer l’ordre du monde reste acceptable.
Naturellement, il ne prétend pas que le monde s’est créé en sept jours... Le vrai débat ne se situe pas là. Il consiste à savoir si, oui ou non, la théorie de l’évolution détruit les fondements de la foi judéo-chrétienne fondée au moins sur l’attente. Lui répond que non, car le néo-darwinisme n’est pas crédible. Personnellement, je réponds également non, mais sur des considérations autres, lesquelles, précisément, ne sont pas assez connues aux États-Unis. Je pense en particulier, donc, à la synthèse scientifique de Teilhard et à la place qu’il accorde à la gratuité de l’amour, à la liberté de donner sa confiance à l’amour comme transcendance du sens : se savoir né, parce qu’aimé. (" Tu es, Seigneur, notre Père, notre Rédempteur : tel est ton nom depuis toujours... Ah ! si tu déchirais les cieux, si tu descendais.. " Isaïe 63, 16b, 19a. In " Teilhard aujourd’hui ". N° 16 - décembre 2005).

VA : Mais comment expliquez-vous un tel "blocage psychologique", en particulier de la part de vos pairs ? Je pense à Yves Coppens ou au paléontologue argentin Fernando Ramirez-Rozzi, qui émettent les plus grandes réserves. "Pour une raison mystérieuse, (Mme Dambricourt) a voulu faire de cet os la pièce centrale de toute l’anatomie humaine. Or, on sait depuis longtemps que définir l’homme à partir d’un seul caractère est absurde." a déclaré Ramirez-Rozzi au journal Le Monde (29/10/05) qui cite d’ailleurs au nombre des "ennemis" de votre théorie le paléontologue Jean-Jacques Jaeger ou l’anthropologue André Langaney. Toujours dans Le Monde, Pascal Picq semble reconnaître pour sa part qu’il est intéressant d’avoir soulevé la question de la flexion de l’os sphénoïde chez les hominidés, tout en précisant qu’il n’est pas d’accord avec votre interprétation.
ADM : Pascal Picq est devenu bien plus prudent après avoir affirmé qu’il n’existait pas de découvertes et que ma recherche était obsolète. Je constate que les explications destinées à lui faire comprendre que je ne cherchais pas à démontrer un programme dans l’évolution ont fini par porter leurs fruits.
Yves Coppens est bien plus proche de ces idées de mutations intégrées et actualisées qu’il n’y paraît dans le documentaire. Il reconnaît, au demeurant, la complexité croissante, et il est bien le seul à avoir eu le courage de rappeler que Teilhard était un des grands penseurs de la théorie de l’évolution. Yves Coppens lui a d’ailleurs rendu un long hommage lors de son cours de clôture au Collège de France, en juin 2005.
La différence entre nous, c’est que lui est convaincu que, sans la savane, la bipédie ne serait pas apparue. Je pense, pour ma part, que sans la forêt les grands singes auraient disparu, et cette potentialité évolutive avec eux. Conséquence, il n’y aurait pas eu d’hominidés, d’êtres en bipédie permanente suite à une nouvelle évolution du développement de l’embryon et, par conséquent, à une nouvelle rotation du sphénoïde. C’est la forêt qui a sauvé la bipédie permanente d’origine embryonnaire et phylogénétique. Il s’agit donc d’une sélection naturelle positive.
Quant à Fernando Ramirez, il s’agit d’un de nos anciens étudiants. C’est un admirateur de Richard Dawkins. Je me souviens qu’il parlait de son livre L’horloger aveugle avec enthousiasme. Ramirez étudie des dents fossiles. De toute évidence, il se place déjà dans une certitude : "L’évolution est régie par les lois du hasard et des nécessités alimentaires".
De telles certitudes constituent un présupposé, en sorte que tout ce qui vient heurter ses intimes convictions devient, par essence, "du délire" pour le citer à mon propos. Un esprit scientifique devrait faire preuve d’humilité et savoir se laisser surprendre par l’inattendu.

 

VA : Science et religion seront-ils indéfiniment frères ennemis ?

ADM  : Je suis chercheur avant tout, c’est-à-dire, libre de réfléchir aux implications et à la signification de ce que j’ai découvert, et à ce que cela signifie dans ma vie, enrichie de tout ce qui n’est pas scientifique ou objectif, comme l’expérience de la relation d’être à être. La découverte d’une logique interne me donne toute liberté de m’interroger, hors du cadre de la science, du point de vue philosophique et éthique, sur la finalité de ce processus.
Chacun a son idée sur le sens de sa vie. On ne veut pas se sentir réduit à une " logique interne " si elle devait concerner l’intégralité de nos capacités. Nous avons besoin de liberté, d’inconnu, d’espace pour la créativité. Ce qu’il faut comprendre dans notre histoire interne, c’est précisément cette différence entre le niveau macro-évolutif qui n’est pas touché par l’entropie (la dégradation) et le niveau singulier, qui est mortel, qui souffre dans son corps et son esprit. C’est cela qui est important.
Le néo-darwinisme affirme -désormais à l’encontre des faits- que c’est ainsi que notre histoire s’est construite. Or, cela est inexact. Cette découverte (enfin entendue du grand public) le prouve. Elle est encore loin d’être comprise.
Concernant la foi, elle ne peut pas être l’otage de la vision néo-darwinienne à travers des critiques contre l’Intelligent design, puisque ce mouvement ne fait pas appel à la foi en la révélation des origines de l’amour.
Et elle ne le sera pas non plus de mes observations puisque, comme je vous l’expliquais et -à la différence de l’Intelligent design- le mystère des origines demeure déjà avec le changement de mémoire génétique de deux embryogenèses. Plus nous descendrons dans les profondeurs de la mémoire génétique, plus nous retrouverons le "Réel voilé", tel que l’explique si bien le Professeur Bernard d’Espagnat.

 

(1) "Le sphénoïde n’évolue pas en lui-même bien sûr. Ses changements sont une conséquence de l’évolution de l’information qui code son développement dès la fécondation. C’est donc l’information génétique qui évolue et on constate dans le cas de notre lignée qu’elle évolue sur plusieurs millions d’années entre deux transformations anatomiques. Je ne suis pas en mesure de dire comment cela est possible, puisque c’est en dehors du champ des compétences des paléontologues. Quant aux biologistes, ils étudient des périodes de temps trop courtes pour constater ce type de processus. Il faut donc poser la question à des spécialistes en chimie quantique et commencer à traduire les changements de forme par des équations, pour écrire une théorie au sens mathématique. Les faits en eux-mêmes montrent qu’il existe dès la formation du patrimoine héréditaire des processus de mise en mémoire de l’information, de sorte que tout changement anatomique ne vient pas exclusivement de l’environnement. Cela peut provenir aussi d’une mémoire contenue dans le patrimoine héréditaire. Ce sont les bases d’un consensus objectif qui se dessinent, sans référence religieuse précisément.". Source : "Les arguments d’Anne Dambricourt-Malassé" (propos d’ADM recueillis dans Le Monde.fr du 29.10.05)
(2) Loi, en biologie, dite loi de Dollo, qui pose l’irréversibilité de l’adaptation à base générale de Dollo. plus d’infos sur :
http://archquo.nouvelobs.com/...
(3) C’est-à-dire : stockage de l’information
(4) Voir : http://www.sciences.univ-nantes.fr/physique/perso/blanquet/synophys/42tropi/42tropi.htm
(5) L’émission "Homo sapiens, une nouvelle histoire de l’Homme" diffusée le 30 octobre 2005 sur Arte a suscité la polémique chez les scientifiques (avec les interventions de Philippe Tobias, Didier Marchand, Jean Chaline... Pour ceux qui s’intéressent aux lois de fractalisation de la complexité, lire l’excellent livre de Jean Chaline (en collaboration avec Christian Nottale et Pierre Grou) Les arbres de l’évolution)
(6) "intelligent design" ou "dessein intelligent". Le dessein intelligent tente de réconcilier science et religion. Voir aussi : http://www.designinference.com/
(7) "Un film soupçonné de néo-créationnisme fait débat" (Le Monde.fr du 29/10/05)
(8) Jésuite, chercheur, théologien et philosophe, Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) est connu pour ne pas voir d’opposition entre la foi catholique et la science
(9) Qu’on nomme aussi "Jésuites"
(10) Les "grands établissements" sont des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel régis par les dispositions du livre VII du code de l’éducation site en ligne : http://www.wikipedia.org/wiki/Grand_établissement

 

Pour en savoir plus sur la théorie scientifique d’Anne Dambricourt Malassé :
Sur le site de l’Académie des Sciences - Rubrique Conférences
Voir p : 24. Partie "Les premiers hominidés" : "Evolution du chondrocrâne et de la face des grands anthropoïdes miocènes jusqu’à l’Homo sapiens. Continuités et discontinuités"
Voir aussi p : 14. Partie "La question de la diversité des hominidés" : "Développement embryonnaire et évolution"
"Un texte fondamental de la pensée d’Anne Dambricourt Malassé. Paysages mentaux des racines évolutives humaines"

Muséum d’Histoire naturelle
Le site Hominidés.com les évolutions de l’Homme
Et pour ceux qui s’intéressent à Teilhard de Chardin, nous vous invitons à lire sa Messe sur le monde rédigée en 1923 alors que le père jésuite se trouve au milieu du désert.

 

*Anne Dambricourt Malassé est paléoanthropologue, chargée de recherche au CNRS et docteur en paléontologie humaine du Muséum national d’histoire naturelle. Par ailleurs, elle est secrétaire générale de la Fondation Pierre Teilhard de Chardin. Elle a également publié La légende maudite du vingtième siècle (Editions La Nuée Bleue. Octobre 2000). Biographie


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