Une révolution copernicienne se dessine en sciences de la nature

par Bernard Dugué
mercredi 21 octobre 2015

Juste un moment pour réfléchir aux révolutions scientifiques. Je sais bien que ce sujet ne passionne pas les foules dans notre monde qui privilégie l’agir et l’avoir plutôt que l’être et le comprendre. Mais ce petit billet permettra aux amis de la connaissance et de la gnose de se rassembler autour de ces quelques notes dispersées en marge d’un monde qui continue sa course, entre ordre étatique, médiatique, et chaos social. Je reste très pessimiste sur l’avenir du monde. Aucun signe de la libération face au totalitarisme technocratique qui avance

1. Liminaire sur les révolutions scientifiques

Comme l’a suggéré Thomas Kuhn, la science est faite de périodes ordinaires avec des myriades de chercheurs affairés dans les laboratoires et les bureaux ; périodes entrecoupées de phases critiques au cours desquelles se dessinent des changements brusques dans les théories et les conceptions de la nature qui en découlent. Bien avant Kuhn, les épistémologues connaissaient le concept de révolution copernicienne alors que Koyré avait écrit des pages éclairantes sur la transition du monde clos au monde infini au moment de la modernité. En ce sens, la révolution copernicienne est bien une rupture au sens de Kuhn mais cette rupture mérite d’être placée au sommet de la hiérarchie dans le domaine des changements de paradigme. Lors d’une révolution copernicienne, l’architectonique des savoirs bascule complètement. Pour donner une image, cette révolution s’apparente à une inversion des pôles. Avec l’héliocentrisme issu de Copernic et Galilée, le centre de notre cosmos devient le soleil alors que dans la cosmologie médiévale, la terre était au centre de l’univers.

L’élaboration de la relativité a représenté un changement de paradigme majeur mais n’a rien d’une révolution copernicienne, pas plus que la mécanique quantique qui dans sa méthodologie, est restée une mécanique, de précision certes, mais une mécanique et c’est d’ailleurs cette conception mécaniste qui fait obstacle à l’interprétation de la physique quantique (qui est en fait une monadologie). Peut-être assisterons-nous à une révolution copernicienne mais cette fois dans le domaine de la représentation, autrement dit une révolution épistémologique dans laquelle le concept central de la physique n’est plus l’énergie mais l’information. Cette possibilité a été discutée par les chercheurs les plus en pointe comme Seth Lloyd ainsi que Paul Davies qui lui, tente d’articuler la physique de l’information avec la biologie de l’information.

Si l’on suit attentivement la démarche proposée par Davies et ses confrères, alors nous pouvons déceler une autre révolution copernicienne qui concerne cette fois les deux immenses champs scientifiques que sont la physique et la biologie. Voici mon opinion sur cette question. Pendant plus d’un siècle, depuis la fin du 19ème, la biologie a toujours été à la « remorque » de la physique. C’est si l’on veut de défaut congénital majeur d’une science moderne qui s’est voulue réductionniste et mécaniste. Le résultat est « désastreux » du point de vue ontologique car la conception et l’interprétation du vivant et de son évolution ne sont pas accordées avec l’essence de la vie. La conception du vivant est fausse si vous voulez, y compris dans les versions alternatives alliant la systémique, la cybernétique, la théorie classique de l’information et quelques considérations holistiques. Lire par exemple la présentation des deux grands courants actuels en biologie par John Maynard-Smith (La Construction du vivant, Cassini, 2001). A mon sens, « l’erreur » de la biologie c’est non seulement de baser la compréhension du vivant sur une partie de la physique mais aussi de croire que la physique contemporaine livre une description complète de la « matière ». Je pense bien évidemment aux sciences physico-chimiques, à la thermodynamique statistique et à la physique quantique. Autant dire que Davies et votre « serviteur » sont sur la même longueur d’onde.

2 Physique, biologie, information ; une conjecture proposée par Paul Davies

La transdisciplinarité caractérise les travaux menés par Paul Davies et quelques confrères dans un champ déjà bien labouré concernant le lien entre la physique et la biologie. Rappelons une fois de plus que la biologie se place depuis six ou sept décennies sous la « gouverne » de la physique. Malgré cette alliance, des questionnements ont surgi. Davies en donne une présentation claire dans l’introduction de son article consacré à l’architecture de l’information dans une cellule vivante (S.I. Walker, H. Kim, P.C.W. Davies, Informational architecture of the cell , 2014). Avec un constat de départ simple dans son principe. La vie n’a pas encore pu être comprise à partir des règles du monde physique mais pourtant, les composants extraits du vivants se comportent comme des éléments matériels régis par les règles du monde physique, notamment la chimie qui repose sur la théorie électromagnétique mais aussi emprunte beaucoup à la physique quantique et ses orbitales électroniques. Dans mon étude sur le vivant, j’avais établi un constat équivalent, en invoquant la possibilité que l’origine de la vie soit due à une transgression des lois physiques. Ce qui sous-entend évidemment que les lois physiques sont insuffisantes pour expliquer la vie et si transgression il y a, ce n’est pas contre les lois physiques mais avec des lois étrangères à celles que l’on connaît pour le « monde physique ».

Cette manière de voir les choses est loin d’être consensuelle. (à suivre)


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