Wizzgo privé de télé

par Yannick Harrel
mardi 18 novembre 2008

Par une ordonnance de référé en provenance du tribunal de grande instance de Paris, le juge des référés a porté le 6 novembre dernier un coup létal au concept qui fit l’heure de gloire de la société Wizzgo.

Sur la vague des offres numériscopiques
 
Il faut en effet comprendre quel est le principe de Wizzgo pour mieux appréhender toute la substance de cette décision de justice.
 
Le site de la société visée propose un service de capture numérique, appelé aussi numériscope, de différentes chaînes de la TNT, moyennant l’installation d’un programme pesant un peu plus de 10 mégas en téléchargement libre. Une fois celui-ci correctement mis en place sur votre disque dur, vous pouvez opérer un choix de programmes et en effectuer le ou les enregistrements souhaités comme bon vous semble : l’opération s’effectuant toutefois en décalé une fois l’émission arrivée à son terme. En outre est proposé un système de synchronisation avec des appareils mobiles tels que l’iPod ou l’iPhone pour visionner les contenus sélectionnés de manière nomade.
 
Le gros avantage du service proposé est qu’il ne nécessite pas de carte télé pour l’acquisition des chaînes, ce qui en plus de sa praticité le rend très accessible. Seule limite : un crédit de 15 heures d’enregistrement sur une durée de 30 jours par compte.
 
Quid de la légalité de cette offre ?
 
Wizzgo s’était déjà fait taper sur les doigts il y a quelques mois, le 6 août 2008 pour être totalement exact, après avoir suscité l’ire de M6 ainsi que de W9 (filiale de M6), donnant lieu à une condamnation par le juge des référés dans un exposé cinglant : il est interdit de créer et s’approprier une richesse économique à partir d’un service de copie d’oeuvres ou de programmes audiovisuels qui se soustrait à la rémunération des titulaires des droits de propriété intellectuelle ; que le service offert par la société Wizzgo est manifestement illicite.

Wizzgo avait en effet tenté de se soustraire à tout risque d’interdiction en se retranchant derrière l’exception pour copie privée. Or cette dernière avait déjà subi un sérieux coup d’arrêt avec la décision de la plus haute juridiction judiciaire, le 28 février 2006 [1]. S’adosser à ce principe était déjà périlleux, mais dans sa dernière ordonnance en référé en date du 6 novembre, le juge des référés enfonça le clou encore plus profondément. Ainsi d’une part il énonce que contrairement à ce qu’elle prétend, la copie générée par Wizzgo n’est pas transitoire puisqu’elle est téléchargée et conservée par l’utilisateur, qu’il importe peu à ce sujet que cette copie soit cryptée puisqu’elle est décryptable par l’utilisateur et que la copie dans sa version cryptée et décryptée forme un tout. Un élément de défense majeur qui tombe à l’eau, et le magistrat de poursuivre : en outre, la reproduction réalisée a "une valeur économique propre" puisque sa réalisation et sa mise à disposition constitue l’objet même du service de Wizzgo, service qui se présente comme gratuit mais est en fait rémunéré par la publicité. Dès lors, les services proposés par la société Wizzgo sont illicites et constituent des contrefaçons des droits d’auteur et des droits voisins des demanderesses. En somme, Wizzgo est accusé de délit de contrefaçon. Et pour achever la société, il est précisé peu après que la société Wizzgo qui reproduit les marques sous forme incrustées dans les programmes copiées ne justifie pas avoir une autorisation des titulaires de marque pour ce faire…Dès lors, elle commet ainsi des actes de contrefaçon de marques suivantes…
 
C’est un coup très dur pour Wizzgo qui est débouté non seulement de sa défense fondée sur l’exception de copie privée mais est accusée frontalement de contrefaçon d’œuvres protégées par les droits d’auteur, et non seulement vis à vis des émissions enregistrées (bien que cryptées) mais aussi vis à vis des marques des chaînes reproduites sur les fichiers numériques. On pourrait croire que le calvaire soit terminé pour Wizzgo, mais il n’en est rien puisque le juge des référés tient à parachever la sentence en invoquant le délit de concurrence déloyale puisqu’il met en exergue que les sociétés demanderesses exploitent également des services concurrents de “télévision à la demande” (catch-up TV) et plusieurs plateformes (orange 24/24 TV et France TVVOD.FR) et que le service proposé par la société Wizzgo est susceptible de détourner les téléspectateurs de regarder la télévision, d’affecter l’évaluation de leur nombre et donc les recettes publicitaires qui s’en déduisent. Fermez le ban !
 
Quel avenir pour la numériscopie ?
 
A travers Wizzgo, ce sont tous les autres services de numériscopie non formellement accrédités qui dépendent de cette décision et qui devront très rapidement, à peine de sanctions pouvant être très lourdes, revoir leur principe de fonctionnement ou nouer des partenariats avec les différentes sociétés de l’audiovisuel. Sachant que cette dernière possibilité est de moins en moins probable puisque justement les chaînes tiennent à maîtriser la mise à disposition de leurs émissions dans les tuyaux numériques : un trésor jalousement gardé comme Wizzgo vient de l’apprendre à ses dépens.
 
[1] La Cour de Cassation trancha au sujet de l’exception de la copie privée en rappelant que celui-ci n’était pas un droit mais bel et bien une exception et que les mesures techniques de protection insérées dans les DVD étaient justifiées, bien qu’elles empêchassent toute copie, en raison du préjudice économique qu’il résulterait de leur absence. Pour de plus amples informations sur le sujet, voir le billet de Jurizine.net sur ce problème de droit.

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