¥-robot : les embûches vers la robotique domestique

par Charles Bwele
mardi 13 février 2007

Les ménages nippons veulent des robots domestiques aussi humanoïdes et polyvalents que possible ; les roboticiens les veulent ultrasûrs et ultra-intelligents.

Fer de lance

Au fait, pourquoi les Japonais sont-ils si robophiles et les Occidentaux essentiellement robophobes ? Des facteurs religieux, socioculturels et démographiques expliquent cette divergence.

À l’inverse des traditions chrétiennes très à cheval sur la spécificité humaine, les rites animistes du shintoïsme différencient très peu la matière inanimée des êtres vivants. Pendant que Hollywood focalise sur l’inéluctable dualité homme-robot et la dérive machiniste (Robocop, Matrix, i-Robot, etc), la culture manga met en scène des sociétés symbiotiques où humains, robots et hybrides vivent en parfaite harmonie. D’une certaine façon, l’Occident est plutôt « Terminator », le Japon plutôt « Ghost in the Shell » (l’esprit dans la machine).

Depuis trois ans, le vieillissant archipel - qui compte déjà plus de 23 000 centenaires - a atteint le seuil de l’hémorragie démographique. Ses jeunes actifs délaissent massivement les services de proximité pour des emplois à haute valeur ajoutée. À l’image des familles coréennes ou hong-kongaises, les ménages nippons pourraient aisément recourir à l’immigration domestique en provenance des Philippines ou de Thaïlande.

Malheureusement, les sujets de Sa Majesté l’empereur demeurent froidement hermétiques à toute coexistence rapprochée entre gaïjin et autochtones. À Tokyo, Kyoto ou Osaka, de nombreux bars et restaurants affichent ouvertement la mention « For Japanese Only ». En outre, l’extrême codification des moeurs nipponnes ne facilite guère la communication interculturelle. D’où la préférence pour des androïdes intelligents, nettement plus prévisibles qu’une nounou manilloise ou une infirmière thaï.

Bon nombre de ces robots domestiques seront multifonctionnels, parfaitement intégrés aux environnements urbains et domotiques, activables et téléguidables grâce à une télécommande, un ordinateur wi-fi ou un visiotéléphone mobile afin de rechercher un restaurant pour la soirée, configurer le navigateur GPS, appeler l’ascenseur, récupérer le courrier, alerter les secours.

Aujourd’hui, l’Empire du soleil levant détient une lointaine pole position dans la robotique industrielle et domestique. Celle-ci mobilise près de 3,5% du PIB, implique tous les secteurs technologiques (nanotech, intelligence artificielle, télécoms et internet, servo-mécanique, etc), ainsi qu’une myriade de firmes nipponnes : Sony, Honda, Toshiba, NEC, Epson, Fuji, Toyota, Mitsubishi, Matsushita, Sanyo...

Métal hurlant

Toutefois, la longue expérience des chaînes de montage démontre que les robots industriels provoquent une centaine d’accidents graves par an dans le monde ; des senseurs défectueux et/ou une motricité ultrarapide y étant pour beaucoup.

La prudence reste donc de mise avant toute introduction massive de leurs cousins domestiques. Les roboticiens japonais planchent déjà sur plusieurs scénarios hautement probables : un droïde de 10 kg trébuchant au-dessus d’un nourrisson. Une panne de batterie peu avant une injection d’insuline. De possibles dysfonctionnements suite aux tripatouillages d’un gamin espiègle et curieux...

Par ailleurs, il est impossible de prévoir avec certitude le comportement d’un humain et a fortiori celui d’un robot dans une situation critique. Ce dernier produira-t-il les automatismes adéquats en cas d’incendie d’une chambre d’enfant ou lors d’une crise cardiaque de son propriétaire ? Scientifiques, techniciens, politiques et écologistes ont beau répéter (à juste titre !) que le risque zéro n’existe pas, le grand public fait la sourde oreille. Inévitablement, plus les droïdes se généraliseront et se perfectionneront, plus les utilisateurs deviendront exigeants au point de refuser toute notion de défaillance. Last but not least  : les casse-têtes chinois de la responsabilité juridique et des assurances. Qui devra-t-on traîner en justice en cas d’accident : le robot ou son manufacturier ? Vers qui se tourner pour le versement des dommages et intérêts ?

D’autres questions d’ordre éthique turlupinent les ingénieurs nippons. Poupées gonflables et divers gadgets sexuels se vendent comme des petits pains. Inéluctablement, robotique et TIC apporteront de considérables innovations dans cette gadgetterie et boosteront une fantasmatique populaire nippone, souvent très controversée pour des moeurs étrangères. Dès lors, apparaîtront très probablement des « sexbots » à la physionomie infantile. Faudra-t-il pour autant autoriser leur fabrication et leur exportation ? Devra-t-on considérer la « robopédophilie » comme une dangereuse perversion, voire un crime à caractère sexuel ? Crime contre qui ?

Compte tenu de leur incontournable suréquipement en capteurs, détecteurs, senseurs, caméras et micros, les « housebots » feront aussi d’excellents auxiliaires de police, enregistrant les moindres faits et gestes de leurs compagnons de chair. Intégrant des systèmes distants de mise à jour, de suivi et de guidage en temps réel, ils deviendront aisément exploitables par quelque volonté malveillante. Comment garantir la sécurité électronique des confidences du papy esseulé à son « robotichien » ? Comme pour les ordinateurs, ne verra-t-on pas émerger des virus ou du piratage robotique ?

On le voit, ingénieurs et manufacturiers en robotique n’ont pas que du zinc sur la planche.



Lire l'article complet, et les commentaires