L’empereur Maximilien exécuté, l’impératrice Charlotte folle : la terrible tragédie mexicaine
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 7 juillet 2025
Dans la chaleur étouffante du Cerro de las Campanas, le 19 juin 1867, le sol tremble sous les salves d’un peloton d’exécution. Maximilien Ier, empereur éphémère du Mexique, s’effondre, son rêve d’empire réduit à une tache écarlate dans la poussière. À des milliers de kilomètres, l'impératrice Charlotte, son épouse, sombre dans une nuit sans fin, hantée par des visions d’un trône perdu. Leur histoire, tissée d’ambition, d’amour et de désillusions, est une fresque tragique où l’Europe et l’Amérique se rencontrent dans un fracas de destinées brisées.
Une union d’ambition et de rêves (1856-1857)
Dans les salons feutrés du palais de Laeken, en mai 1856, une jeune princesse belge de seize ans, Charlotte, pose les yeux sur l’archiduc Maximilien de Habsbourg. Son regard s’illumine : il est grand, élégant, auréolé du prestige autrichien, mais surtout porteur d’une ambition qui résonne avec la sienne. "Il est beau, intelligent, et sa conversation m’enchante", confie-t-elle dans une lettre à sa grand-mère, Marie-Amélie, reine des Français. Cette rencontre n’est pas un simple coup de foudre ; c’est le prélude à une alliance dynastique où l’amour se mêle à la soif de grandeur. Charlotte, fille de Léopold Ier, premier roi des Belges, voit en Maximilien une échappatoire à la monotonie d’une cour mineure. Lui, frère cadet de l’empereur François-Joseph d'Autriche, étouffe sous l’ombre de son aîné et rêve d’un rôle à sa mesure.
Le mariage, célébré le 27 juillet 1857 à Bruxelles, est un spectacle de faste : soieries chatoyantes, carrosses dorés et une foule qui acclame ce couple princier. Pourtant, des murmures courent déjà. Une anecdote rapporte que Maximilien, dans une lettre à un ami, aurait écrit : "Charlotte est très intelligente, ce qui est un peu ennuyeux, mais sans doute en viendrai-je à bout". Ce ton désinvolte trahit une fêlure : Maximilien, homme de plaisirs et d’idéaux libéraux, n’est pas prêt à partager le pouvoir avec une épouse aussi déterminée. Leur union, bien que scellée par l’amour, repose sur des attentes divergentes.
Dès les premiers mois, le couple s’installe en Lombardie-Vénétie, où Maximilien est nommé vice-roi par son frère. À Milan, dans le palais royal, Charlotte s’épanouit, prononçant des discours en italien qui charment les foules. Mais Maximilien, jugé trop libéral et dépensier, est destitué en 1859. Le couple se retire au château de Miramare, près de Trieste, un palais blanc caressé par les vagues de l’Adriatique. Là, dans ce décor de conte, leur mariage commence à vaciller. Charlotte, avide d’action, s’ennuie ; Maximilien, lui, se perd dans ses passions pour la botanique et les plaisirs interlopes.
Le mirage mexicain : un trône fragile (1864-1866)
En 1863, une délégation mexicaine frappe aux portes de Miramare, offrant à Maximilien une couronne impériale. Ce projet, orchestré par Napoléon III, vise à établir un empire catholique au Mexique pour contrer l’influence américaine et soutenir les conservateurs mexicains contre le républicain Benito Juárez. Charlotte, éblouie, voit dans cette offre l’occasion de réaliser ses rêves d’impératrice. "Nous sommes à présent, en Amérique, si remplis de jeunesse et d’avenir", écrit-elle à Maximilien dans une lettre datée de septembre 1864. Mais Maximilien hésite, conscient des risques. Il signe néanmoins, sous la pression de sa femme et après avoir renoncé à ses droits sur la couronne autrichienne, un pacte douloureux exigé par François-Joseph.
Le 12 juin 1864, le couple impérial fait une entrée solennelle à Mexico, sous des arcs de triomphe fleuris. Mais l’accueil est tiède : les rues poussiéreuses de la capitale cachent une hostilité latente. Charlotte, rebaptisée Carlota, s’investit avec zèle, visitant le Yucatán et s’intéressant aux cultures autochtones. "La population indigène est la seule à permettre à l’État de vivre", note-t-elle dans un journal de 1865, témoignant de sa volonté de réformer l’agriculture et les conditions de travail. Maximilien, lui, s’égare dans des réformes libérales qui aliènent ses soutiens conservateurs. Une légende prétend qu’il aurait visité de nombreuses maisons closes, alimentant les ragots sur son mariage stérile.
Les difficultés s’accumulent. La guerre de Sécession américaine s’achève en 1865, renforçant le soutien des États-Unis à Juárez. Napoléon III, sous pression, annonce le retrait des troupes françaises en 1866. Maximilien, isolé, envisage d’abdiquer mais Charlotte le presse de tenir bon. Dans une lettre désespérée à son frère Léopold II, elle écrit : "Si nous abandonnons maintenant, tout sera perdu, non seulement pour nous, mais pour l’honneur de l’Europe". Cette foi en leur mission, mêlée de naïveté, précipite leur chute dans un abîme dont ils ne soupçonnaient pas la profondeur.
La descente aux enfers : la folie de Charlotte (1866-1867)
En juillet 1866, Charlotte embarque pour l’Europe, déterminée à plaider la cause de Maximilien auprès de Napoléon III. À Paris, dans les salons dorés de Saint-Cloud, elle affronte l’empereur français avec une fougue tragique. "Sire, je suis venue pour parler d’une affaire qui est la vôtre", lance-t-elle, selon un compte-rendu d’époque. Elle reproche à Napoléon sa trahison, citant ses promesses de 1864 : "Mon appui ne vous manquera jamais". Mais l’empereur, accablé par la guerre austro-prussienne et les pressions américaines, reste inflexible. Humiliée, Charlotte s’effondre, refusant un déjeuner officiel et arpentant les salons, les joues en feu.
À Rome, son état mental se détériore sérieusement. Lors d’une audience avec le pape Pie IX, elle s’écrie, convaincue d’un complot : "On ne peut empoisonner des marrons !", avant de dévorer des châtaignes rôties achetées sur une place publique. Cette scène, rapportée par un officier pontifical, marque le début de sa descente dans la paranoïa. De retour à Miramare, ses lettres à Maximilien deviennent incohérentes, mêlant souvenirs de leur lune de miel à des imprécations contre la France : "L’Autriche n’est plus ; elle devient un empire magyar", écrit-elle en septembre 1866. Confinée par sa famille au château de Bouchout, Charlotte, totalement brisée par la nouvelle de l’exécution de Maximilien en 1867, sombre irrémédiablement dans la démence.
Maximilien, resté au Mexique, s’accroche à un trône fantôme. Capturé à Querétaro, il est jugé et condamné à mort. Le 19 juin 1867, face au peloton, il s’exclame : "Que mon sang soit le dernier versé pour ce pays !". Ces mots, rapportés par un témoin oculaire dans El Diario del Imperio, résonnent comme un ultime acte de noblesse. Une rumeur prétend que Juárez, franc-maçon comme Maximilien, aurait envisagé de l’épargner en échange de son exil, mais la réalité est plus cruelle : l’empereur tombe sous les balles, son rêve d’empire réduit à néant.
Une impératrice condamnée à l’oubli (1867-1927)
Charlotte, recluse au château de Bouchout, en Belgique, vit désormais dans un monde de chimères. "Je vais te confier un secret : quand tu voudras échapper à ton passé, fais semblant d’être folle", aurait-elle glissé à une dame de compagnie. Cette phrase, troublante, suggère une lucidité intermittente derrière sa démence. Ses lettres, parfois signées d’un pseudonyme, révèlent une obsession pour Maximilien et le Mexique. En 1869, elle écrit : "J’ai été grosse neuf mois de la rédemption du diable", une phrase énigmatique qui alimente les spéculations sur un éventuel enfant, hypothèse rejetée par les historiens.
Pendant la Première Guerre mondiale, le pavillon autrichien flotte sur Bouchout, protégeant Charlotte de l’occupation allemande. Le roi Albert Ier, son neveu, lui rendait visite à Bouchout mais Charlotte restait isolée, entourée de dames d’honneur qui, jusqu’en 1909, rapportaient son comportement à Léopold II, puis à d’autres membres de la famille royale. Les murs du château, froids et humides, semblent emprisonner ses souvenirs d’un empire évanoui. Une correspondance peu connue, conservée aux archives de Bruxelles, montre qu’en 1916, un officier allemand s’étonne de ce pavillon autrichien, preuve de son statut ambigu d’archiduchesse intouchable.
Charlotte s’éteint le 19 janvier 1927, à 86 ans, sans jamais revoir le Mexique. Son destin, celui d’une femme ambitieuse brisée par l’histoire, contraste avec la gloire et la popularité de sa belle-sœur, Sissi. Pourtant, ses efforts pour comprendre les cultures mexicaines et ses réformes avortées laissent une trace discrète mais poignante. Dans une lettre à sa grand-mère, elle écrivait en 1864 : "Nous voulons bâtir un pont entre l’ancien et le nouveau monde". Ce pont, fragile, s’est effondré, mais l’écho de leur tragédie résonne encore.