Avec la dissolution, Emmanuel Macron joue sa majorité ŕ « la roulette Russe » ?

par Daniel MARTIN
mercredi 12 juin 2024

 

Quelques instants après l’annonce de la victoire du RN (31,4%) et le revers subi par sa majorité (14,5%) aux élections européennes, à la surprise générale, le président de la République a annoncé la dissolution de l’Assemblée Nationale. Suivant les dispositions de l’article 12 de la Constitution il a fixé la date des prochaines élections législatives les 30 Juin et 7 Juillet 2024.

En fixant le jour du premier tour des élections législative au minimum de 20 jours entre la date de dissolution celle de l’élection, Emmanuel Macron a sérieusement compliqué la vie démocratique

Pour rappel : Selon l’article 12 ( Version en vigueur depuis le 05 août 1995), modifié par la loi Constitutionnelle n° 85-800 du 4 Août 1995- art.3 : 

- Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.

- Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.

- L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

- Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections.

Concernant larticle L157 du code électoral ( Version en vigueur depuis le 09 décembre 2003) modifié par ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003 – art. 13 du journal officiel de la république 9 décembre 2003 stipule :

- Les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin.

- La déclaration de candidature est remise personnellement par le candidat ou son suppléant.

- Un reçu provisoire de déclaration est donné au déposant.

En fixant la date du premier tour de la législative le 30 Juin 2024, soit seulement 20 jours après la promulgation de la dissolution, comme l’y autorise l’article 12 de la Constitution, toutefois, conformément à l’article L157 du code électoral, le 4e vendredi précédant l’élection pour que les déclarations de candidatures doivent être déposées, c’était le Vendredi 7 Mai 2024.

Ce qui signifie qu’avec un respect strict de la loi, le premier tour de l’élection législative aurait dû avoir lieu le Dimanche 7 Juillet et le second tour le Dimanche suivant le 14 Juillet, mais là avec les festivités officielles et des départs en vacances, ce n’aurait pas été le meilleur choix possible. Ce qui explique que le président de la République, par décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 en son article 2, a décidé par dérogation à l’article L157 du code électoral, que les déclarations de candidatures seront reçues par le représentant de l’État (préfectures) à partir du mercredi 12 et jusqu'au dimanche 16 juin 2024 à 18 heures (heure légale locale). Pour le second tour, les déclarations de candidatures seront déposées à partir de la proclamation des résultats par la commission de recensement général des votes et jusqu'au mardi 2 juillet 2024 à 18 heures (heure légale locale).

On peut expliquer et comprendre l’attitude du Président de la République par le niveau de la victoire du RN (31,4%) et le revers subi par sa majorité (14,5%) aux élections européennes du 9 Juin. Défaite à laquelle, avec son premier ministre, ils ont contribué par leurs prise de position qui en faisant un scrutin de politique nationale dans un seul rapport avec le RN, quand il y avait 37 autres listes et qu’il s’agissait d’une élection Européenne. Même si la dissolution de l’Assemblée nationale devenait inévitable, plutôt qu’une dissolution instantanée de convenance, n’aurait-il pas été plus judicieux de donner un peu de temps au temps à cette dissolution, en reportant l’annonce de sa promulgation après la rentrée des vacances d’été, c’est à dire avant la reprise parlementaire ? Ce qui aurait permis dans l’immédiat d’en profiter pour suspendre toutes les mesures de contraintes budgétaires qui heurtent la population et en profiter pour engager une large concertation avec les partenaires sociaux, associations, partis politiques.

Vitesse et précipitation ne sont jamais des gages de réussite, surtout en politique et le Président de la république a ainsi pris le risque de jouer la survie de son parti et son groupe politique à l’Assemblée Nationale à « la roulette russe ».

Le jeu dangereux de la « roulette Russe » qui risque de mettre un terme définitif à l’aventure de la majorité et donner le pouvoir à la famille Le Pen

A l’issue du résultat de ces élections Européennes, cela a certes permis sur le plan médiatique de relativiser un temps le succès électoral du RN et le revers subi par sa majorité. En faisant un tel choix, vu la situation sociétale due à certaines contraintes économiques et les décisions peu satisfaisantes pour la populations qui ont été prises, tant sur le plan intérieur qu’Européen avec certains accords internationaux soutenus par la France ( le CETA par exemple), Emmanuel Macron, a incontestablement pris le risque de mettre un terme définitif à l’aventure de sa majorité et donner le pouvoir à la famille Le Pen. La Politique étant parfois ce qu’elle est, n’en doutons pas, une fois aux affaires et même avant, elle sera rejointe par pléthore d’opportunistes venus d’horizons politiques qui lui sont aujourd’hui opposés...Comme vient de le faire de façon à peine déguisée Eric Ciotti, actuel président de LR lorsqu’il annonce un accord avec le RN et affirme « qu’il veut un accord avec tous les partis de droite »pour s’opposer à la gauche et à Macron. Reprenant ainsi le discours de son ami Eric Zemmour. Un accord de LR avec le RN n’étant guère du goût de plusieurs ténors du parti, Gérard Larcher, Bruno Retailleau, olivier Marleix, Laurent Wauquiez, Valérie Pecresse, Michèle Tabarot, AnnieGenevard, François Boiron, Christian Jacob, Michel Barnier, pour ne citer qu’eux et probablement d’autres. Cela augure vraiment mal de la survie de ce parti avec Eric Ciotti à sa tête.

Il est tout aussi incontestable qu’avec la crise inflationniste que subit le pays, dont les populations les plus modestes, mais pas seulement, en font quotidiennement les frais, les discours populistes, simplistes et démagogues qui vont dans le sens de ce que veut entendre l’électorat ont le plus de chances d’être écoutés et convaincre. Le RN est un spécialiste en la matière. D’autant que les mesures d’économies budgétaire prises par le gouvernement en direction des chômeurs, de la santé, des retraité(e)s ou d’autres catégories sociétales, alors que la guerre en Ukraine a nourri des spéculateurs en tout genre, avec des supers profits qui auraient dû être taxés. Sans compter, lorsqu’à leur demande au forum économique mondial de Davos en 2023, de très très riches demandaient de participer à l’effort de solidarité, dont plusieurs Français, le gouvernement par la voix du ministre Bruno Le Maire a refusé.

Alors que les économies prises en direction des chômeurs et autres sont estimées à 3/4 milliards d’euros, des spécialistes estiment qu’une taxation temporaire des seuls super profits, conformément aux recommandations Européennes, ce serait de 8 à 12 milliards d’euros…

Quand on sait que la flambée des factures d’énergie a été un des sujets récurrents de la campagne pour les élections européennes, la Commission de régulation de l’énergie a fait savoir, lundi 10 juin, au lendemain du scrutin, que le prix moyen de la facture de gaz pour des millions de Français allait encore augmenter de 11 % en Juillet par rapport à Juin2024. De quoi renforcer les inquiétudes des ménages. Cette annonce ne pouvait pas plus mal tomber, alors même que s’annoncent les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Une bourde de plus, qu’a tenté de réparer Mardi 11 juin, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lorsqu’il s’est engagé, sur BFM-TV et RMC, à faire baisser de 10 % à 15 % la facture d’électricité… En février 2025…Où à cette date il risque d'avoir la chance de ne plus être ministre. Incroyable ! A lire : https://www.liberation.fr/economie/conso/bruno-le-maire-sengage-a-faire-baisser-de-10-a-15-la-facture-delectricite-en-fevrier-2025-20240611_GZNQNYYA7RAFPEVSITG72IYRRA/

Si on y ajoute la question de l’immigration, fonds de commerce privilégié du RN, notamment, avec la non application trop souvent répétée de la non conduite des expulsions des étrangers qui ont cependant obligation de quitter le territoire par décision de justice, la boucle est bouclée… Mais ce n’est pas en fermant les frontières, y compris celles de l’UE, tant que le problème, notamment démographique avec les besoins économiques correspondants, ne sera pas traité dans les pays à forte tendance migratoire, il y aura toujours des personnes qui iront mourir en Méditerranée et d’autres qui réussiront à arriver sur des territoires Européens.

Après l’erreur de la dissolution précipitée de convenance, encore ne faudrait-il pas commettre une autre succession d’erreurs

Penser que le RN aux affaires « se planterait », car le Président de la république dispose des outils Constitutionnels lui permettant de s’opposer à certaines propositions gouvernementales, ce qui est vrai, mais là encore c’est jouer avec le feu. Si le Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, dispose de l’administration et de la force armée, est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50, la Constitution prévoit un partage du pouvoir exécutif entre le président de la République, le Premier ministre et le gouvernement. Le Président de la République préside le Conseil des ministres (article 9) et assure le rôle de chef des armées (article 15). La Constitution donne également des pouvoirs concernant notamment : la promulgation des lois (article 10), la signature des ordonnances et des décrets délibérés en Conseil des ministres (article 13), la nomination aux emplois civils et militaires de l’Etat (article 13).

Au vu de ce texte, on peut penser qu’un décret gouvernemental fixant les modalités, par exemple d’un référendum, non signé par le Président de la République ne pourrait être mis en application, ce qui est exact, mais il s’agit d’une arme à double tranchant, car refuser de signer un décret conforme aux engagements électoraux du gouvernement peut se retourner contre le président et son parti.

Autre erreur qu’il convient aujourd’hui d’éviter de faire, c’est celle du « front républicain », dont désormais les Français se « contrebalancent », au vu de la situation politique cela ne semble plus fonctionner.

De même que ces multitudes de manifestations contre « le péril faschiste » que représenterait le RN qui sont orchestrées par des Syndicats et partis de gauche vont à contresens de leurs objectifs en renforçant électoralement le parti de la famille Le Pen. S’il y a encore des nostalgiques du régime de Vichy parmi des adhérents et sympathisants du RN, ce parti et ses dirigeant campent sur des positions différentes et acceptent les règles républicaines et démocratiques. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne souhaiterait pas remettre en cause ou limiter certains droit (avortement, mariage pour tous).

Malgré la « vague de fond » en faveur du RN lors des élections Européennes et ses perspectives d’accéder au gouvernement, d’autres forces politiques peuvent-elles, le concurrencer ?

Contrairement aux élections Européennes, il ne s’agit pas d’un mode de scrutin proportionnel à un tour sur des listes nationales, mais d’un scrutin uninominal à deux tours sur la base de circonscriptions territoriales locales au niveau départemental. Il convient d’en tenir compte sans pour autant penser banaliser le raz de marée RN du 9 Juin 2024 et sa dynamique certaine pour les 30 Juin et 7 Juillet. Certains sondages en cours démontre d’ailleurs que la vague de fond RN qui a caractérisé les élections Européennes est toujours présente pour le 30 Juin.

Il convient de noter aussi que les délais très courts et bien que les élections législative soit déterminantes pour le financement public des partis politique de nombreuses petites formations politiques, qu’ils s’agisse des écologistes, régionalistes et autres risquent d’être absentes au premier tour, ce qui serait loin d’être un plus pour la démocratie.

Les partis de gauche : Vive le front populaire ! Sept mois après l’implosion de la Nouvelle Union populaire écologique et social (NUPES), les partis de gauche, PC, LFI, PS, Verts, plus quelques autres petits groupes ont réussi à poser en un temps record les bases d’un début d’alliance en vue des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Une sorte d’auberge espagnole où plutôt que réunis autour d’un repas commun, chacun apporte le sien, dont la vue de certains menus des uns apparaissent indigestes pour les autres. Ce qui signifie aussi que pour certains choix politique, l’un peut aller vers le nord, quand les autre iront vers le sud et d’autres encore partiront vers l’Est ou vers l’Ouest… Ce qui n’est guère fiable et peu encourageant...

Concernant le parti socialiste, entre Olivier Faure, Raphaël Glucksmann qui présente son futur 1er ministre et ses exigences, mais finalement devra rentrer dans le rang ou s’effacer, car il est député Européen, de même que Carole Delga et d’autres, on ne sait plus qu'elle est la parole de ce parti. Dès lors il ne faut pas s’étonner de voir fleurir des dissidents socialistes ou radicaux de gauche contre ce nouveau « Front Populaire » le 30 juin. Dans ces conditions, en filigrane, c’est encore dans l’ombre Jean-Luc Mélenchon patron de LFI qui les « driverait », alors que par ses prises de positions il est plus repoussoir qu’attrayant.

Quand on observe l’attitude de certains de leurs différents responsables politiques chez Europe Ecologie Les Verts (EELV), telle leur secrétaire nationale orchestrant devant des caméras de télévision une manifestation de jeunes contre « le péril fachiste » et se déclarant enchantée des discussions avec ses camarades des autres partis de gauche… Alors que ce parti se couvre de voile de l’écologie, et qu’il se plaît à ignorer les fondamentaux de l’écologie, ne retenant seulement que l’aspect environnemental, on ne peut que déplorer qu’il est à l’écologie ce que le vitriol serait aux soins du visage. Et que dire des prises de positions scandaleuses de La France Insoumise (LFI) sur Israël et l’attitude de ses député(e)s à l’Assemblée Nationale, cette formation politique étant dominante au sein de ce « front populaire » (très loin de celui de 1936), ne peut que vous encourager à fuir ces partis les 30 Juin et 7 Juillet.

Que dire de LR , Entre celles et ceux qui au sein de ce parti s’efforçant de maintenir le cap des valeurs du Gaullisme, celles et ceux d’accord à une entente avec les partis présidentiels quand d’autres parmi les député(e)s désireux(ses) de conserver leur siège au palais Bourbon sont disposer à faire les « yeux doux » au RN et à son président, ce qui d’ailleurs est fait par le premier responsable de LR , Eric Ciotti, à l’évidence sans accord politique et sans informer préalablement ses ami(e)s de la direction du parti...Il y a une certitude, ce parti, là affaibli par la décision de Ciotti, où il présentera des candidat(e)s, hormis pour quelques un(e) bien implantée dans la vie politique nationale et locale, il ne fera guère ombrage au RN ou à d’autres.

Reste la situation des partis présidentiels, Renaissance, Horizon, Modem, plus éventuellement UDF qui risque fort de ne point être au beau fixe ? Ces parti seront probablement présent partout, la grande majorité des député(e)s sortant(e)s seront candidat(e)s dans leurs circonscriptions. Pour ces partis, bien que l’on note un rejet d’Emmanuel Macron, ils ne connaissent pas les tribulations de ceux de Gauche ou de LR et s’ils ont la sagesse de s’engager à suspendre les mesures gouvernementales auxquelles la populations s’oppose vu la situation économique inflationniste qui va perdurer, et surtout qu’ils évitent de trop s’afficher en « groupies » d’Emmanuel Macron ( la situation électorale de 2024 n’est plus celle de 2017 et encore moins celle de 2022 ), mais s’ils ont fait correctement leur travail de terrain auprès de la populationen plus de celui du législatif, sachant qu’il s’agit d’un scrutin uninominal à deux tours, ils ou elle peuvent avoir des chances d’être réélu(e)s sans trop de difficultés…

Bien que situation fort improbable, le pire des cas pour notre démocratie, serait qu’aucun parti ne puisse dégager un groupe suffisamment important pour pouvoir gouverner, y compris à géométrie variable par associations circonstanciées. Et il faudrait faire avec pendant un an (Article 12 de la Constitution).

Pour conclure :

Alors qu’il n’y était pas obligé dans l’immédiat, en prenant la décision de dissoudre l’assemblée nationale au soir du 9 Juin quelques instants après l’annonce de la victoire du RN (31,4%) et le revers subi par sa majorité (14,5%) aux élections européennes, Emmanuel Macron a pris un sérieux risque d’élimination de son groupe présidentiel de sa mission gouvernementale et le risque de confier la direction du gouvernement à l’aile politique nationaliste, populiste. Nul doute que la vague de fond des élections Européennes en faveur du RN et son président ne vas va pas beaucoup refluer avec le mode de scrutin, d’autant que des erreurs stratégiques par les autres partis politiques ne sont pas à exclure. Un exemple avec le président de LR qui, pour conserver son siège de député, est en train de faire imploser son parti en annonçant son alliance avec le RN. Il ne reste plus qu’au autres de conclure un accord avec Emmanuel Macron et le Gaullisme sera définitivement enterré.

 


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