Comment perdre 5 milliards d’euros en 15 jours ? Les marchés dérivés

par gebroulaz
mardi 29 janvier 2008

Comment Jerôme Kerviel a-t-il pu perdre 5 milliards d’euros en quelques jours sans que personne ne s’en rende compte ? Voici quelques pistes pour comprendre et rétablir certaines vérités.

Les marchés dérivés, comment ça marche ? Le principe éponyme des marchés dérivés est qu’ils dérivent d’un autre instrument financier qui peut être de nature très variée (pétrole, actions, indices, score de Sarkozy à la prochaine élection, etc.). Les deux types les plus connus de produits dérivés sont les contrats dits Futures et les options. Dans le cas qui nous intéresse, nous allons nous concentrer sur les Futures.

Un Future est contrat (au sens propre du terme, qui donc lie deux entités) qui donne l’obligation de fournir à une date fixée, un instrument donné. Par exemple, si j’ai acheté il y a 3 mois un future "France Telecom Janvier 2008" (un produit : Action France Telecom, une échéance : Janvier 2008, c’est-à-dire, le 31 janvier 2008) à 30 euros, j’attends que la contrepartie me livre à cette date une action France Telecom, quel qu’en soit le prix. Si l’action vaut 32 euros à l’échéance, je suis gagnant, si elle vaut 28 euros, je suis perdant ; j’aurais pu l’acheter moins cher si j’avais attendu un peu.

L’avantage des contrats Futures est qu’ils permettent de spéculer sans investir (ou très peu). Si on reprend l’exemple ci-dessus, rien n’oblige le vendeur du Future à posséder l’action avant l’échéance du contrat. Tant qu’il me livre mon action le 31 janvier, il le respecte. De mon côté, lorsque j’ai acheté le contrat Future FTE Jan 08 au cours de 30 euros il y a 3 mois, le 28 octobre 2007, je n’ai pas déboursé 30 euros. On aperçoit ici le côté immatériel de l’opération.
Lors de l’achat du contrat, chaque contrepartie paie au clearer (grosso modo la bourse qui liste cet instrument) ce que l’on va appeler une caution (pour "s’assurer" qu’elle respectera sa partie du contrat). Chaque soir, voire parfois même en journée, a lieu les appels de marge. On calcule les gains et les pertes de chacune des contreparties en fonction des variations du cours et on les solde. Si le soir du 28 octobre 2007, le cours de clôture du Future valait 29 euros, j’ai dû payer 1 euro par contrat au vendeur du Future. Si le surlendemain, le Future vaut 33 euros, je recevrai 4 euros (33-29) du vendeur, et ainsi de suite, tous les jours. Cela ne s’arrête qu’à l’échéance du contrat ou si je déboucle ma position, c’est-à-dire si je revends mon contrat Future. Auquel cas, je suis remboursé de mes 2 euros de "caution" et c’est terminé.

Le trader de la Société générale jouait sur ce genre d’instruments, dérivés des indices, principalement le DAX allemand. Les indices boursiers reflètent la valorisation des plus grandes capitalisations cotées sur la place. Un indice est composé de la moyenne pondérée du cours des actions qui le composent. Ainsi, quand je "possède" un indice, je possède en fait 10 actions Total, 2 France Telecom, 3 Renault, etc. Mis bout à bout, cela correspond à un montant qui, pour des raisons de commodité, est transformé en points. Un indice DAX "vaut" environ 7 000 points, c’est-à-dire 175 000 euros, soit 25 euros du point d’indice. La "caution" étant de quelques milliers d’euros par contrat, on comprend vite qu’en investissant peu, on "dispose" d’un capital gigantesque.

On estime que les positions du trader fou étaient d’environ 140 000 contrats, environ 280 000 000 euros déboursés. Finalement pas tant que ça, comparé à ses engagements (40 000 000 000 euros). Ce trader aurait très bien pu devenir le héros de sa banque si le marché avait monté. Malheureusement passées les périodes de fin d’année où les cours sont soutenus artificiellement par les gérants de portefeuille pour présenter un bilan convenable, des ventes massives ont eu lieu début 2008, tout cela aggravé par la crise de confiance actuelle. Le DAX est passé de 8 000 points le 02/01 à 6 850 le 21/01 en clôture. D’où une perte de 28 750 euros par contrat.

Comment le trader a-t-il pu payer ses appels de marge ? Sans doute en vendant d’autres instruments, probablement des options. Ce faisant, il creusait encore un peu plus sa tombe, les options étant des instruments à risque de perte illimité lorsqu’on a un position vendeuse (ou "short").

Il est donc parfaitement plausible que ce trader ait pu opérer seul, les montants réellement payés étant "raisonnables" au regard des fonds propres d’une banque.

Cela n’excuse en rien les responsabilités de son management qui n’a pas mis en place les outils hors Société générale qui auraient pu les prévenir à temps. Il faut aussi insister sur le fait que la Société générale n’est pas responsable du krach de lundi 21 janvier, ayant débouclé les positions de M. Kerviel sur les marchés dérivés et non sur les marchés actions. En revanche, la perte a été largement amplifiée par la dégringolade de ces marchés actions dits sous-jacents.

Enfin, tout le monde n’est pas perdant dans l’affaire. Les marchés dérivés étant des marchés à "somme nulle", tout ce qui a été perdu par la Générale a été récupéré par ses concurrents. Non seulement la SG risque-t-elle de se faire OPAbiliser, mais en plus avec son propre argent !


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