Une nouvelle manière de faire de la politique

par Eric Lombard
lundi 30 juin 2008

Chacun a eu son Grenelle : Nicolas Hulot, celui de l’environnement ; Martin Hirsch, celui de l’insertion. Premiers succès pour ces hommes qui incarnent une nouvelle manière de faire de la politique. Leur priorité : faire avancer concrètement des causes qui peinent à être prises en considération par la classe politique traditionnelle, en évitant de rentrer en politique.

 


Des chemins de traverse

Tout dans leur parcours les oppose, tant les études que la vie professionnelle, mais l’un comme l’autre donnent une inflexion décisive à leur trajectoire entre 30 et 35 ans.

Le CV de Martin Hirsch est moins connu que celui de Nicolas Hulot. Des études brillantes : Normale Sup, puis l’ENA, lui ouvrent la porte du Conseil d’Etat, de la haute administration et des cabinets ministériels, dans la continuité de la tradition familiale d’"engagement fort pour le service public", mais dans "un rapport distancié à la politique". En entrant comme bénévole à Emmaüs en 1994, il répond à l’appel d’un ami, mais sans doute plus profondément à un besoin d’ouverture à la réalité sociale qu’il n’appréhende jusque-là qu’au travers de rapports. "Certains entendent toujours la même musique qui émane de leur monde un peu fermé. Moi, j’ai pu entendre les deux sons de cloche. La désespérance des personnes les plus frappées par la crise sociale. Les interrogations de ceux qui tiennent les manettes voyagent et sont confrontés à la concurrence internationale. Travailler sur la pauvreté impose de pouvoir se faire entendre des uns comme des autres." Pendant dix ans, en tant que président d’Emmaüs, il passe presque tous ses week-ends dans les communautés.

Nicolas Hulot n’a pas fait d’études supérieures dignes de ce nom. L’aventure le démange : il commence par gagner sa vie en parcourant le monde avec un appareil photo, fait plusieurs boulots pour la radio et la télé avant de connaître la célébrité avec Ushuaia, le magazine de l’extrême. Ses incessants voyages lui font toucher du doigt la fragilité d’une nature menacée. "Je ne suis pas né écologiste, je le suis devenu". Sa prise de conscience débouche en 1990 sur la création de la fondation Ushuaia, qui deviendra en 1995 la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, dédiée à l’éducation à l’environnement. "Il m’aurait paru irresponsable de profiter de la nature sans avoir le sentiment de la spolier à mon tour si j’étais resté les bras croisés."

Environnement, pauvreté, même combat ?

Leurs causes ne sont pas aussi éloignées l’une de l’autre qu’elles pourraient le paraître, car, comme le souligne Nicolas Hulot, "aucun des acquis économiques et sociaux ne pourra résister à la crise écologique et que les premiers exposés à ces aléas sont, comme de coutume, les plus démunis".

Pour Martin Hirsch, c’est donc la lutte contre la pauvreté. "La pauvreté est un sujet orphelin, comme il y a en médecine les maladies orphelines. Pourtant les maladies orphelines sont des maladies rares, alors que la pauvreté ne l’est pas assez". Saisissant une opportunité offerte en 2004 par le ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille de l’époque de "faire une opération pour les enfants pauvres", il s’investit dans une commission qui va donner naissance au concept de RSA, Revenu de solidarité active. "Riches idées contre la pauvreté" titre Libé lorsque le rapport est rendu public en 2005, mais le gouvernement Villepin l’enterre. Martin Hirsch s’accroche et trouve une oreille attentive auprès de conseils généraux qui doivent faire face à l’explosion du nombre de RMIstes. Avec la petite structure associative qu’il crée alors, l’Agence nouvelle des solidarités actives, il va préparer le terrain pour l’expérimentation du RSA et vendre le concept aux candidats à la présidentielle de 2007. La tâche n’est pas facile. "Les candidats pensent que les exclus ne sont pas ceux qui votent et que ceux qui votent veulent des politiques pour eux, pas pour les plus pauvres qu’eux". Il suit alors la même stratégie que Nicolas Hulot, convaincre les candidats de reprendre ses propositions dans leur programme. "Je disais même que j’étais le « Hulot aux tous petits pieds » !"

Si la pauvreté est un vieux problème qui peine à être résolu, le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité sont de nouveaux enjeux dont l’urgence n’est pas encore véritablement reconnue. Par l’opinion, mais aussi et surtout par les hommes politiques qui fondent toute leur action sur une croissance tous azimuts faisant l’impasse sur les limites imposées par la finitude de la planète.

Pendant que les experts du Comité de veille écologique planchent sur le contenu du pacte écologique, Nicolas Hulot rencontre en tête-à-tête l’ensemble des leaders politiques pour leur en exposer les enjeux – "curieusement, ces hommes qui par ailleurs sont nourris d’une somme d’informations et de connaissances, et parfois dotés d’une certaine intelligence, étaient sur ces sujets-là d’une ignorance crasse" – et le sens de sa démarche. Porté par plus de 700 000 signatures, le pacte obtient l’adhésion des cinq des principaux candidats, qui le signent solennellement le 31 janvier 2007.

La politique à reculons !

Déjà en 2002, Nicolas Hulot avait décliné la proposition de Chirac qui voulait le nommer ministre de l’Ecologie. S’il annonce alors sa candidature aux présidentielles, c’est uniquement pour faire pression sur les autres candidats déclarés. Il l’a dit depuis : "Le pire qui pouvait m’arriver, c’était d’être obligé d’aller jusqu’au bout". Il se sentait plus à sa place à "continuer à jouer ce rôle que je crois essentiel de médiateur entre la société civile et politique, entre la communauté scientifique et l’opinion".

Même état d’esprit chez Martin Hirsch : "Je n’ai jamais vraiment été tenté par l’engagement politique. Je me sens mieux à l’interface de plusieurs univers. Et je n’aime pas l’odeur des écuries". Et quand c’est l’écurie de droite qui l’appelle, lui dont le cœur est à gauche ? "Les emmerdes commencent !" se dit-il quand Nicolas Sarkozy lui demande de rentrer au gouvernement. "J’étais très, très partagé". Et s’il finit par accepter, c’est avec des pincettes, en demandant à bénéficier d’un statut de haut commissaire taillé spécialement pour lui et en exigeant que les réformes soient inscrites dans une lettre de mission. "L’originalité ne réside pas simplement dans l’appellation (haut commissaire), mais dans le fait que mes attributions sont liées à des réformes à faire".

Expérimenter, être concret, s’appuyer sur les gens concernés

Au-delà de la similarité de leurs démarches, on trouve chez Nicolas Hulot et Martin Hirsch de nouvelles attitudes ou façons de faire.

L’expérimentation est un des leitmotivs de Martin Hirsch. "L’expérimentation en matière sociale est trop peu utilisée en France. Bien des dépenses auraient été évitées, des souffrances épargnées et du temps aurait été gagné en comparant différentes stratégies sociales à petite échelle, pour sélectionner la meilleure avant de la généraliser". Il a trop vu de lois inapplicables restées lettre morte. Il est également convaincu "que les questions pratiques sont aussi essentielles que les lois ou les rapports. Là peut se faire la différence". "J’ai toujours travaillé avec une obsession en tête : il est facile de penser des réformes ou de critiquer le système. En revanche, il est bien plus coton de passer à l’application et de concevoir les transitions entre un mauvais système et le système idéal". Pour passer à la pratique, il reçoit l’aide précieuse de Benoît Genuini, qui démissionne de ses fonctions à la tête d’Accenture et apporte avec lui les méthodes de ce grand cabinet de conseil en organisation.

Nicolas Hulot insiste sur le fait d’arriver avec des propositions concrètes, et non pas avec une liste de dysfonctionnements. "Nous sommes arrivés avec une sorte de plate-forme, donc les politiques ne pouvaient plus nous dire « vous êtes des yaka ». Ca les a obligés à travailler sur ces sujets-là, sur lesquels ils n’avaient absolument pas travaillé". Et quand il cherche le soutien de l’opinion avec le Défi pour la terre, il demande aux gens de s’engager personnellement sur des gestes quotidiens pour la préservation de l’environnement.

Si la démocratie participative est explicitement l’un des quatre piliers du pacte écologique, elle sous-tend également l’action de Martin Hirsch qui bataille pour que les gens concernés par le RSA fassent partie des multiples commissions ou instances qui gèrent leur quotidien ou réfléchissent aux moyens de mieux lutter contre la pauvreté.

Rien n’est encore gagné

L’un est finalement rentré en politique, l’autre pas, mais peu leur importait. Ce qui a déterminé leur choix, c’est l’efficacité. Avec la reconnaissance de leurs causes respectives et l’organisation des Grenelle, ils ont de fait gagné la première manche. Mais le succès de la deuxième manche n’est pas acquis. Lobbies, manœuvres politiques et contraintes budgétaires vont peser sur le processus législatif. Que restera-t-il des propositions issues des Grenelle dans la loi et surtout dans les faits ?

Nicolas Hulot a récemment partagé son inquiétude sur la taxe carbone. "Le comité opérationnel chargé de cette réforme a été supprimé !" Le système qu’il défend n’est pourtant pas un impôt de plus, puisqu’il propose d’en reverser le produit de manière uniforme à tous les ménages. "Cela profitera donc aux plus modestes, puisqu’ils consomment moins d’énergie que les ménages riches. La Colombie britannique utilise un tel système. L’écologie peut être la base d’une nouvelle politique de redistribution". Nicolas Hulot, Martin Hirsch, même combat ?

Sources  : beaucoup des citations de Martin Hirsch sont extraites de son livre avec Gwenn Rosière et Jean-Michel Helvig, La Chômarde et le Haut Commissaire, chez Oh Editions. Nicolas Hulot a détaillé la genèse du pacte écologique le 29 mai 2008 lors d’une conférence au Forum 104 à Paris. Enregistrement à télécharger.

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