Sensationnel Obama. What else ?

par Bernard Dugué
mercredi 5 novembre 2008

Pour la plupart des observateurs, l’élection était pliée depuis quelques jours, voire quelques semaines. La seule incertitude concernait l’ampleur de la victoire démocrate. Le verdict est sans appel. Une victoire qui sans être écrasante reste quand même confortable, dépassant les trois Swing States, soldée par 338 grands électeurs. Que penser ?

Dans un cas de figure comme celui-ci, deux facteurs se conjuguent. Car une belle victoire renvoie forcément à une jolie baffe. L’adhésion des électeurs à Obama est sans contestation, 5 points d’écart en suffrages exprimés. Mais tout aussi incontestable est la désaffection exprimée pour son adversaire McCain. Pratiquement tout a été dit sur ce volet, mais il serait hasardeux de croire à une Amérique ayant largement changé. Le pays est tout aussi divisé qu’en 2004. Nous sommes en fait à la fin de l’ère Reagan commencée en 1980, du point de vue politique. Car, socialement, les conservateurs ont encore une implantation dans ce pays. Après trente ans de conservatisme, cette confortable victoire d’Obama résonne comme un coup de tonnerre. C’est certain. Les Etats-Unis vont-ils changer ? L’hypothèse la plus raisonnable est de dire que non et que l’engouement pour Obama tient aussi à quelques contingences, notamment la crise financière. Et comme le dit la vulgate médiatique, une lassitude après huit ans d’un président Bush signant un record d’impopularité.


Les médias n’ont cessé de nous abreuver de témoignages et propos d’Américains déclarant vouloir le changement. C’est disons un signe, mais l’on sait que la caméra et la salle de rédaction et production n’est pas fiable. Obama a suscité un tel engouement ici que tout reportage en est devenu suspect. On aurait dit que les électeurs de McCain s’étaient évaporés. Or, ils pèsent encore 47 points. Les sondeurs donnent des indications plus fiables. La structure du vote de 2004 rend pour une bonne part du résultat de 2008. L’électorat de Bush et du Parti républicain est extrêmement typé. Qui a voté Bush ? Les vieux un peu plus que les jeunes, les hommes plus que les femmes, les bacheliers un peu plus que les diplômés de l’université, les possesseurs d’armes, les riches un peu plus que les classes moyennes et les pauvres. A noter, un décalage énorme entre ceux qui ont vu leur situation s’améliorer et ceux qui ont subi l’inverse et ont voté à 80 % pour Kerry. Et aussi un décalage entre ceux qui croient que la guerre en Irak lutte contre le terrorisme et les autres. Or, la guerre en Irak est devenue subsidiaire. La situation économique préoccupante fait que nombre d’Américains ont vu leur situation de dégrader, de quoi faire pencher un peu plus la balance vers les démocrates alors que, question économie, Obama est apparu plus concerné qu’un McCain qui a toujours trahi une douce désinvolture pour la chose économique. Ajoutons à cela le vote des jeunes, la mobilisation des électeurs, la volonté générale d’inventer une autre Amérique pour les uns, d’en appeler à l’Amérique pour être sauvé pour les autres et voilà le verdict des urnes. Un vote mélangé de sanction et d’espoir. C’est le moins et le maximum qu’on puisse dire tant la sociologie positive est une science de surface.


Mais quand même, le vote des jeunes est trop remarquable pour qu’on passe un peu vite. Selon les sondages de CNN, les 18-29 ont donné 66 points à Obama, les 30-44 ont été dans la moyenne, les 45-64 étant partagés et les plus de 65 ayant inversé le vote en offrant 53 points à McCain. Le fait que les jeunes aient massivement voté Obama montre un infléchissement du peuple américain. Et cette configuration nous renvoie à notre ringardise avec un Sarkozy, soi-disant président de la rupture, boudé par les jeunes et élus par les retraités.


L’histoire permet de saisir le type d’événement que constitue une élection dans un pays marqué par l’Histoire. La victoire d’Obama traduit un revirement aussi important que le fut celui amorcé en 1980 quand Reagan l’emporta face à un Carter épris d’humanisme et d’idéalisme. Un homme à mettre en perspective avec notre Giscard. Mais sans doute faut-il remonter plus loin pour avoir quelques comparaisons. Je serais tenté de remonter à 1940 et aux années Roosevelt. Il y a peut-être plus de Roosevelt que de Kennedy chez Obama. C’est une idée étrange, comme si on remontait le temps, une anti-onde historique conduisant de Eisenhover et Truman à Roosevelt, et une onde de Reagan et Bush à Obama. Mais laissons cette remarque qui ne doit pas être prise au sérieux, bien que l’affaire soit plus importante qu’il n’y paraît.


Osons un peu d’ésotérisme. Un parallèle mystique et mystérieux entre certains propos d’Obama, sortis d’on ne sait quelle transcendante spiritualité visionnaire, et d’autres paroles venues d’en haut dans ces années 1930-40. Une clé de ces élections de 2008 ? Essayez ce livre du Tibétain délivré à Alice Bailey en 1934, Les Problèmes de l’humanité. Un texte fulgurant et visionnaire qui s’adressait à toutes les nations, notamment aux Etats-Unis, nation jeune gouvernée par des politiciens ineptes, partisans et parfois incapables selon les termes du Tibétain. Certes, les temps ont changé et les conseillers actuels à la Maison-Blanche ne sont pas parmi les plus nuls, mais ils sont restés partisans et peu enclins à comprendre les nations du monde. Pour preuve, les absurdités d’un G. W. Bush qui a trahi son pays et le monde entier. Obama semble d’une autre facture. C’est sur ce plan alliant le spirituel et le politique qu’une option nouvelle se dessine.


D’un côté, la frénésie de l’analyse superficielle, frétille de nouveauté, traque les petites phrases, trouve sensationnel l’élection d’un Noir, qui venge l’Amérique de son sinistre G. W. Bush. De l’autre, un essai de compréhension métaphysique au plus profond de l’âme d’un pays et de son élu. Et donc, un point de vue historique mérite d’être invité. C’est celui de Robert Fogel, historien atypique et iconoclaste comme l’Amérique sait en produire. Selon Fogel, les Etats-Unis ont connu quatre périodes d’éveil spirituel et religieux, vers 1800, 1870, 1940 et récemment sous G. W. Bush. Dans ce contexte, on peut considérer l’élection d’Obama dans le sillage de la religiosité exprimée sous les années Bush. Mais une religiosité d’une teinte différente. Plus lumineuse, mais parfois triste et grave, gagnant cette fois le camp démocrate, les minorités, les balayés du système qui s’en remettent à la providence politique après avoir déchanté du paradis matériel impossible à réaliser pour tous malgré tous les efforts de Bush et la si « bienveillante finance des subprimes ». La période Bush fut celle d’une œuvre sombre, d’une œuvre au noir, marquée avec la gestion des affaires politiques et financières par une sorte de secte que les historiens du futur compareront peut-être aux dirigeants nazis. Une association de malfaiteurs qui gagna les rouages de l’Etat américain et dont on a vu les résultats. No comment. Nombre d’Américains ont évoqué l’enfer de la politique républicaine sous Bush. Nous voilà sortis, mais Obama dans son premier discours a quand même averti que les temps seraient durs. Si Obama était un prophète, ce serait une sorte de Moïse disant au peuple américain qu’il va falloir s’activer et ne plus regarder en arrière vers Bush l’Egyptien. Mais il n’y a pas de peuple américain, et les riches regretteront sans doute Bush si Obama applique vraiment son programme fiscal.


Que peut-on dire de plus ? L’élection d’Obama se veut comme une sorte d’exorcisme et de conjuration de toute une époque sombre qui ne date pas de G. W. Bush bien que les choses se soient aggravées depuis huit ans. En Europe aussi, en France, les années grises ont fait leur nid de profit pour les uns et de misère pour les autres, mettant sur le devant de la scène des personnages sinistres, X dans la radio, Y chez Vivendi, et toute cette clique de gestionnaires qui ont pillé les structures sans les faire vivre, juste en les gérant avec une rigidité froide pour en tirer les prébendes. La France semble en voie de décomposition spirituelle, morale, institutionnelle, comme le fut l’Amérique de Bush. Souhaitons à Obama et aux citoyens américains de réussir, même si cette formule nous renvoie plus à un sketch comique. L’affaire est pourtant sérieuse. Autant il est risible de croire que l’Amérique va passer de l’enfer au paradis (quoique, avec Mitterrand, nous soyons passés de l’ombre à la lumière, mdr !), autant il est stérile d’affirmer avec une certitude absolue que rien ne va changer, même si c’est probable. Obama, une dernière chance pour l’Occident ? Un joker ? Un leurre ? Tout est possible.


The show must go on ! Je vous demande de sourire et si vous n’y arrivez pas alors lisez ce communiqué : « Christine Lagarde, la ministre de l’Economie a salué l’élection "symboliquement extraordinaire" de Barack Obama et estimé que l’arrivée au pouvoir d’un représentant d’une minorité s’était déjà "un peu produite en France" avec l’élection de Nicolas Sarkozy ».



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